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Pourquoi le monde arabe semble obsédé par les théories du complot ? - Analyse

Pourquoi le monde arabe semble obsédé par les théories du complot ?

Six experts dissèquent cette réalité pour « L'Orient-Le Jour » ; Tarek Mitri donne une solution : qu'historiens et intellectuels fassent davantage leur travail.

Attentats contre le World Trade Center le 11 septembre 2001 à New York. Photo AFP

Quel point commun, parmi d'autres, partagent les attentats du 11 septembre 2001, les révoltes de 2011 et l'offensive récente de l'État islamique (EI) en Irak et en Syrie, trois évènements hautement symboliques pour l'histoire du monde arabo-musulman au XXIe siècle ?

Ils ont été, tous les trois, des catalyseurs permettant la genèse et la diffusion de nouvelles théories du complot (TC), et ont été, tous les trois, analysés, décryptés, commentés, par une partie de la classe politique et/ou religieuse à partir d'une grille de lecture à forte connotation conspirationniste. À titre d'exemple, cheikh Ahmad el-Tayeb, grand imam d'al-Azhar, pourtant lieu de référence de l'islam sunnite grâce à son université, décrivait l'EI, en septembre dernier et sans aucune nuance, comme « une création coloniale qui sert le sionisme dans son complot pour détruire le monde arabe ». Et si une personnalité aussi renommée peut exprimer de tels propos sans être marginalisée, c'est parce que ces théories trouvent un large écho auprès des populations locales...

(Lire aussi : Le grand échiquier moyen-oriental : chronique annoncée d'un désastre ?)

Comment ces théories influencent-elles la pensée politique dans le monde arabe ? Comment expliquer leur succès ? Relèvent-t-elles d'une logique d'instrumentalisation ou d'une démarche sincère ? Et enfin, comment réussir à les déconstruire ? Comprendre le lien disparate qui unit le monde arabo-musulman aux théories du complot est une tâche délicate. Non seulement parce qu'une partie de l'explication relève probablement de paramètres non identifiables, ou en tout cas non identifiés jusqu'alors, mais aussi parce qu'il faut absolument éviter de tomber dans un essentialisme toujours simpliste, bien que parfois tentant.

L'Orient-Le-Jour a interrogé Tarek Mitri, ancien ministre libanais de la Culture et des Affaires étrangères par intérim, Georges Corm, ancien ministre libanais des Finances, Carla Eddé, chef du département Histoire et Relations internationales de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, Ziad Majed, politologue libanais et professeur des études du Moyen-Orient à l'Université américaine de Paris, Romain Caillet, chercheur spécialiste sur les questions islamistes, et enfin Julien Giry, docteur en sciences politiques et ayant fait sa thèse sur le conspirationnisme dans la culture politique et populaire aux États-Unis.

Sykes-Picot à la source

Pour Carla Eddé, « les accords de Sykes-Picot sont les premiers évènements à avoir été appréhendés à partir de la théorie du complot dans le monde arabe ». Alors que la plupart des gens ne savaient pas ce que ces accords signifiaient, ils ont pourtant été assimilés à un impérialisme machiavélique. « Il faut rappeler que la Première Guerre mondiale est une étape très importante pour le monde arabe. C'est un véritable choc traumatique, des facteurs d'incertitude et de perte de lisibilité pour les populations locales », analyse-t-elle, constatant que « la montée de l'anti-européanisme dans le monde arabe est postérieure à la chute de l'Empire ottoman ». À partir de là, les Européens, puis plus tard les Américains, deviennent « la source de tous les malheurs », explique-t-elle. « Le deuxième grand choc traumatique est la création d'Israël et la naqba. L'anti-impérialisme devient alors de plus en plus populaire et alimente la propagation de ces théories », ajoute-t-elle. La propagation des TC ne peut donc pas être déconnectée de l'évolution politique de l'époque. En d'autres termes, les TC ont été, dans une certaine mesure, un réceptacle des sentiments d'injustice, de peur et de frustration, la plupart du temps justifiés.

(Lire aussi : Aller par quatre chemins pour comprendre les TC)

Tarek Mitri abonde en partie dans ce sens lorsqu'il explique que « les théories du complot se basent sur une intuition ou sur une information partiellement vraie ». S'il considère qu'elle ne relève « pas de l'imaginaire mais plutôt d'une méconnaissance, d'une paresse intellectuelle ou d'une mauvaise foi », il précise tout de même que « les Arabes ont des raisons suffisantes pour être méfiants vis-à-vis de l'Occident ». Cela dit, M. Mitri tempère son propos en ajoutant que « cette méfiance ne saurait à elle seule être la clé d'interprétation du monde arabe ». En outre, il considère que l'utilisation de ces TC permet non seulement de se déresponsabiliser mais aussi de « flatter notre narcissisme collectif ». En d'autres termes, en divisant le monde entre les bons et les méchants, « eux » et « nous », et en considérant qu'ils sont l'objet d'un complot international, les partisans de ces théories ont tendance à croire « qu'ils sont au centre du monde », analyse M. Mitri. « Ce qui est contradictoire, dans le cas du monde arabe, puisque ce dernier est de moins en moins important aux yeux du reste du monde, et particulièrement de l'Amérique. »

« Un complot judéo-bolchevique »

Pour sa part, Georges Corm rappelle que « les théories du complot les plus répandues concernent les protocoles des sages de Sion et que celles-ci ont été importées d'Europe dans les années 1930 ». L'auteur précise également que l'Arabie saoudite était l'une des plus grosses consommatrices des protocoles des sages de Sion. « En discutant plusieurs fois avec des dirigeants du royaume wahhabite, j'ai pu remarquer, à l'époque, à quel point ils étaient convaincus de l'existence d'un complot judéo-bolchevique », raconte M. Corm. « Cette tonalité anti-judaïque a néanmoins largement baissé depuis le renforcement de l'alliance entre l'Arabie saoudite et les États-Unis », précise-t-il. Pour l'économiste, le complot relève de l'imaginaire et son utilisation est tout à fait mauvaise puisqu'elle sert à paralyser intellectuellement un adversaire. « Le peuple ne doit pas être tenu pour responsable. C'est la responsabilité des dirigeants et des intellectuels » qui nient « la complexité des évènements en présentant une image » bipolaire, manichéenne des relations internationales, précise-t-il encore. Enfin, M. Corm différencie les TC qui sont le produit « d'une vision individuelle, qui n'est pas rattachée à une quelconque structure » et l'instrumentalisation des puissances en fonction de leurs intérêts dans la région qui, d'après lui, est « très bien documentée et répond à des objectifs précis ». Ce qu'il nomme « la tentative de diviser la région, en exacerbant les tensions communautaires, rentre tout à fait dans cette logique » d'après le politologue.

(Lire aussi : Les Assad et le complotisme : mode d'emploi)

Et voilà peut-être la principale problématique de ce sujet : dans une région du Moyen-Orient sujette à de nombreuses convoitises du fait de son positionnement géographique, de ses ressources énergétiques et de sa conflictuelle coexistence avec l'État d'Israël, comment délimiter la frontière entre le conspirationnisme et le simple jeu des grandes puissances ?

« Surtout en arabe »

Dans ce sens, Tarek Mitri et Georges Corm ont été priés de commenter le succès des TC après le 11-Septembre, après les révoltes arabes, et après l'offensive récente de l'EI. Les similitudes, mais surtout les différences que soulèvent leurs analyses, pourraient peut-être constituer une base de réponse à cette problématique essentielle. Concernant l'offensive de l'EI, il est intéressant de noter que les deux auteurs doutent des conditions de la naissance et du développement de cette organisation. Mais si Tarek Mitri considère qu'il est tôt pour en juger, Georges Corm, quant à lui, dénonce une instrumentalisation extérieure au service de la domination politique. « C'est la même armée jihadiste qui existe depuis la première guerre d'Afghanistan et que les États-Unis utilisent comme une arme de terreur », précise M. Corm.

(Lire aussi : Ce « profond mépris pour le jihadisme »)

Concernant les révoltes arabes, les deux intellectuels s'accordent sur le fait qu'elles sont le pur produit des revendications populaires. Cela dit, là où Tarek Mitri ne différencie pas le cas tunisien du cas libyen puisque, d'après lui, « on a suffisamment de connaissances des réalités sociales pour constater que ce sont des dynamiques intérieures qui sont à l'origine des révoltes et que l'intervention a été peu influente », M.Corm ne met pas sur le même plan les révoltes en Tunisie, en Égypte, au Yémen et à Bahreïn et celles qui ont éclaté en Libye et en Syrie. Dans le deuxième cas, l'auteur privilégie la thèse de l'instrumentalisation extérieure alors que M. Mitri souligne, au contraire, que « le rôle des USA dans les révolutions arabes est fortement exagéré ».

Enfin, il est étonnant de constater à quel point les avis des deux auteurs divergent concernant la diffusion des TC après le 11-Septembre. Selon M. Mitri, le succès de ces théories dans le monde arabe s'explique en partie « par le fait que la grande partie de la littérature conspirationniste est le produit des Occidentaux ». « Lorsqu'un auteur occidental révisionniste évoque ces théories, ça renforce les arguments de propagation de ces thèses dans le monde arabe », explique-t-il. Pour sa part, M.Corm considère « qu'il y a un nombre important de personnes très sérieuses qui ont mis en doute la parole des autorités » et que l'idée « qu'une poignée de Saoudiens puisse réaliser cet exploit ne tient pas beaucoup ». Il conclut en précisant qu' « on ne saura jamais ce qui s'est vraiment passé ».

Pour déconstruire les TC, il est absolument essentiel que les historiens et les intellectuels fassent davantage leur travail. Surout en arabe. « Il faut pouvoir expliquer, proposer des informations vérifiées et vérifiables », conclut enfin M. Mitri.


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commentaires (7)

RECHERCHER LES CAUSES DANS LE TEMPS.. C'EST PERDRE SON TEMPS ! TOUT COMMENCE DEPUIS L'ATTENTAT DU 11 SEPTEMBRE À NEW YORK REVENDIQUÉ... BIEN QUE TOUS LES JUIFS NEW YORKAIS N'AVAINT PAS OUVERT LEURS BOUTIQUES ET BUREAUX DANS CES DEUX IMMEUBLES CE JOUR-LÀ QUI POURTANT N'ÉTAIT PAS UN SAMEDI... ET ATTRIBUÉ AU FRANKENSTEIN BEN LADEN (CRÉATION DE SON CRATEUR)... ET SON "HARD" ISLAMISME POINTÉ DU DOIGT... ET LA DÉCLARATION DE L'ILLUMINÉ ( GWB ) À QUI DIEU AVAIT PARLÉ EN RÊVE ET DONNÉ DES ORDRES... ON SE RAPPELLE BIEN CETTE BOURDE... POUR CRÉER UN "NOUVEAU" MOYEN ORIENT... ET APAISER "L'ENFANT PRODIGE" ! TOUTES LES AUTRES EXPLICATIONS À ENTENDRE PAR L'OREILLE GAUCHE ET EXPULSER PAR CELLE DE DROITE...

LA LIBRE EXPRESSION

15 h 45, le 10 novembre 2014

Tous les commentaires

Commentaires (7)

  • RECHERCHER LES CAUSES DANS LE TEMPS.. C'EST PERDRE SON TEMPS ! TOUT COMMENCE DEPUIS L'ATTENTAT DU 11 SEPTEMBRE À NEW YORK REVENDIQUÉ... BIEN QUE TOUS LES JUIFS NEW YORKAIS N'AVAINT PAS OUVERT LEURS BOUTIQUES ET BUREAUX DANS CES DEUX IMMEUBLES CE JOUR-LÀ QUI POURTANT N'ÉTAIT PAS UN SAMEDI... ET ATTRIBUÉ AU FRANKENSTEIN BEN LADEN (CRÉATION DE SON CRATEUR)... ET SON "HARD" ISLAMISME POINTÉ DU DOIGT... ET LA DÉCLARATION DE L'ILLUMINÉ ( GWB ) À QUI DIEU AVAIT PARLÉ EN RÊVE ET DONNÉ DES ORDRES... ON SE RAPPELLE BIEN CETTE BOURDE... POUR CRÉER UN "NOUVEAU" MOYEN ORIENT... ET APAISER "L'ENFANT PRODIGE" ! TOUTES LES AUTRES EXPLICATIONS À ENTENDRE PAR L'OREILLE GAUCHE ET EXPULSER PAR CELLE DE DROITE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 45, le 10 novembre 2014

  • Avec le respect dû aux parsonnalités citées et à leurs opinions. Mettons de côté la "Nakba" en Palestine qui est, là oui, un grand complot et une injustice monstre contre les Palestiniens, tel que l'Occident a conçu et réalisé la naissance et l'expansionnisme d'Israel, en guise de réparation de l'holocauste juif dont il est seul responsable. Expansionnisme criminel devant lequel l'Occident reste à ce jour passif ou impuissant. A part cette question, il est indispensable de voir que le première raison des théories de complot par lesquelles "le monde arabe est obsédé" est le refus et/ou l'incapacité et/ou la fuite des Arabes de voir que le MAL -le cancer- est en eux-mêmes, dans l'essence et la décadence de leur civilisation. Le ver est dans le fruit ("doud al-khall minnou wfyh", en libanais). Inutile de chercher ailleurs.

    Halim Abou Chacra

    12 h 05, le 10 novembre 2014

  • Il y a 2 choses qui m'etonnent , 1) pourquoi en parler maintenant , aujourd'hui dans ce contexte qu'on vit ? et 2) pourquoi dire le monde arabe tout court et etre reducteur ? en Afrique , en Amerique Latine en asie aussi ( hong kong recemment ) cette theorie circule . Et puis c'est un peu leger de nous sortir des pretextes du genre on met la faute aux autres et ca nous empeche de nous fatiguer !!! des institutions comme la cia , le fbi ou la dgse disposent des budgets colossaux depassant celui de certains etats arabes ou autres , vous allez nous faire croire que c'est pour se raconter les contes de Grimm ? des departements entiers sont dedies a la formation de coup d'état , d'execution d'opposants et de fabrication de preuves , on le dit ouvertement , alors c'est pour nous chanter des berceuses d'apres vous ? Maintenant pour pas donner l'impression que j'adhere a 100% a cette theorie , je dis que oui , le complot existe bel et bien , il rempli les tirroirs des pays du complot , mais je dirai que cela ne se passe pas toujours comme programme , il y a des rates qui font qu'on se retrouve dans une rumeur dans la rumeur , mais nous dire que les pays du complot que sont surtout et essentiellement les pays occidentaux sont blancs comme neige , pardon but TALK TO ME !!

    FRIK-A-FRAK

    11 h 43, le 10 novembre 2014

  • Ce ne semble pas très sérieux tout ca ...les protocoles des sages de Sion ...est un faux validé de la police tsariste , historiquement reconnu comme tel ,par une masse de chercheurs et d'historiens ,donc arguer sur un faux...c'est déjà suspect ...et peut être, Est-ce pour orienter le débat dans une direction donnée....j'ai comme l'impression que toutes ces riches contorsions politico/intello ...sont faites pour masquer ...une vérité connue,que le djihadisme est l'essence même de l'islam ...et ce que font les djihadistes , mêmes dans leurs expressions de violences extrêmes ,va à l'encontre de la charia originale ,telle que pratiquée lors de la conquête islamique au moyen -orient ex-terre des chrétiens, hébreux, Yazidis, kurdes, cananéens etc.... il semble que ce sujet relève plus, de l'enfumage politique moderne selon la/les théorie (s)du complot permanent ...que d'une explication historique précise et scientifique dans le temps et l'espace ...

    M.V.

    09 h 59, le 10 novembre 2014

  • Que nenni ! Ce sont plutôt eux, quelques comPloteurs "arabes", qui sont les vrais Obsédés par la complotite aigüe de leur "propre" comPlotisme et cherchent à la faire gober par les Sains de ces Kottors-contrées !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 26, le 10 novembre 2014

  • En bref les arabes sans dictateurs forts sont perdus .Les peuples commencent à crier complot un peu partout . Et Israel reste toujours un Etat étranger à ce tissu tribal .

    Sabbagha Antoine

    07 h 44, le 10 novembre 2014

  • C'est surtout une indication de paresse intellectuelle: au lieu d'analyser les causes d'evenements majeurs, qui sont toujours complexes et enchevetrees, c'est plus facile de dire que c'est la faute aux Italiens (Al hak ala al tilyan). On n'a plus besoin de se creuser la cervelle, et surtout, surtout, on n'a pas besoin d'admettre que son propre camp a une part de responsabilite. C'est pour cela qu'il faut eviter les discussions politiques avec le Libanais/Arabe de base. Ca apparait d'ailleurs dans de nombreux commentaires (de tous les bords politiques) que l'on peut lire ici meme.

    Michel Fayad

    06 h 18, le 10 novembre 2014

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