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Liban - Environnement

Réduire la consommation d’énergie : écologique et/ou économique ?

Dans une ville de plus en plus grise, nous aimerions bien savoir ce que nous pourrions faire pour réduire, au quotidien, nos dépenses... notamment énergétiques. Deux ingénieurs, André* et Laurent** Stéphan, se sont penchés sur la question***.

L’immeuble résidentiel à Sehaïlé pour lequel André et Laurent Stéphan ont établi un profil énergétique total dans une étude datant de 2014.

Réduire la consommation d'énergie liée à notre habitation, c'est penser aussi bien aux matériaux qu'à l'utilisation quotidienne de la maison et au transport. Et généralement, quand on dit « bâtiment durable », on pense directement « plus cher », mais ce n'est souvent pas le cas sur le long terme.
Dans quelles proportions les mesures de réduction d'énergie sont-elles efficaces ? Quels sont leurs coûts et avantages financiers ? Et par où faut-il commencer ?

Suite à leur étude de 2014 qui a établi le profil énergétique total d'un immeuble résidentiel typique à Sehaïlé, au Kesrouan, sur 50 ans (voir L'Orient-Le Jour du 16 octobre 2014), André et Laurent Stéphan ont quantifié l'efficacité, les coûts et les avantages financiers de plus de 20 différentes mesures qui visent à réduire l'utilisation d'énergie.
Dans leur nouvelle étude, publiée dans le prestigieux journal international Applied Energy par « Elsevier », les auteurs évaluent, pour la première fois, des mesures qui couvrent l'ensemble des demandes énergétiques : l'énergie grise des matériaux (la consommation d'énergie qu'implique le processus de fabrication et de transport des matériaux), l'énergie d'utilisation du bâtiment et l'énergie de transport des habitants. L'article scientifique contient toutes les informations concernant la méthode, les résultats, les incertitudes et la discussion (consultables en ligne jusqu'au 11 décembre).

Le tableau (ci-dessous) reprend les mesures les plus efficaces et rentables (les chiffres avancés sont par ménage et étalés sur une durée de 50 ans, les montants sont en dollars américains d'aujourd'hui, sans compter l'inflation qui peut survenir en cinquante ans). Un condensé graphique de l'ensemble des résultats est consultable en ligne.


 


Un résultat significatif

Au niveau du transport (responsable de 49 % de l'utilisation d'énergie sur cinquante ans), les mesures analysées comprennent trois éléments :
1. L'utilisation de voitures hybrides.
2. La réduction de la distance annuelle parcourue de 15 %.
3. Le covoiturage pour la navette à Beyrouth (qui implique que chaque ménage acquiert une voiture au lieu de deux).
Bien que ces trois mesures résultent en une réduction significative d'énergie (respectivement de 11, 7 et 11 %), seules les deux dernières sont intéressantes d'un point de vue financier, permettant des économies totales de plus de 50 000 dollars américains par ménage sur 50 ans (en dollars d'aujourd'hui). En effet, le prix des voitures hybrides étant prohibitif au Liban, leur achat et leur remplacement coûtent beaucoup plus cher que l'énergie qu'elles permettent d'économiser. Par ailleurs, en combinant les deux mesures à bilan financier positif, chaque ménage pourrait, outre le côté financier, économiser 2 400 gigajoules d'énergie primaire (énergie mesurée à la source) sur 50 ans, soit l'équivalent de 480 pleins d'essence. Il est important de souligner que les transports en commun pourraient également constituer une grande part de la solution, cependant non envisagée, pour des raisons techniques, dans le cadre de cet article.

Au niveau de l'utilisation du bâtiment, plusieurs solutions ont été étudiées : l'installation de panneaux solaires thermiques, de lampes Led, d'équipement électroménager performant, de machines à air conditionné performantes, d'isolation dans les murs et le toit, ainsi que de panneaux photovoltaïques. Il s'est avéré que la mesure la plus efficace, et qui économise le plus d'argent, est l'installation de panneaux solaires thermiques pour l'eau chaude (et pour couvrir 20 % de la demande de chauffage) qui économise près de 2 500 dollars par ménage et 12 % de la demande énergétique totale comparée à un chauffe-eau électrique. Par ailleurs, toutes les autres mesures sont aussi, chacune dans une proportion différente, financièrement bénéfiques, mis à part les panneaux photovoltaïques. En effet, le fait que le surplus d'énergie ne peut être redistribué sur le réseau libanais (au mieux, le compteur de l'État peut être remis à zéro, et ce dans certaines régions seulement) pénalise cette mesure en imposant l'installation de batteries, coûteuses et pas très durables. Des subsides de l'État sont alors nécessaires... et improbables.

Enfin, pour ce qui est de l'énergie grise des matériaux, il faut savoir que c'est la plus « irréductible » (peut très difficilement être réduite) des dépenses énergétiques. Dans cette étude, il était impératif de conserver le plan du bâtiment et sa surface utile tels quels afin de pouvoir comparer l'impact des différentes mesures sur le bilan énergétique et financier. Ainsi, nous n'avons retenu que les mesures concernant l'optimisation des quantités de béton et d'acier dans la structure, en utilisant soit des éléments préfabriqués, soit des dalles plus légères avec des blocs de polystyrène expansé. Même si ce matériau lui-même est énergivore, ces deux mesures ont permis de réduire la demande énergétique totale de moins de 1 % tout en coûtant plus cher que le cas de base. Ainsi, pour des résultats significatifs, il faudrait penser à réduire l'énergie grise dès les phases initiales de conception d'un projet.
En combinant toutes les mesures à bilan financier positif, on comprend que réduire la demande énergétique peut non seulement rimer avec moins de pollution, mais aussi avec des économies, malgré le coût initial parfois important.

Un rôle pour chacun
Mais comment réduire effectivement la consommation d'énergie dans les bâtiments ?
En encourageant chacun à jouer son rôle, même si ce n'est pas toujours aussi simple.
Pour leur part, les habitants peuvent remplacer leur éclairage, leur équipement électroménager et leurs machines à air conditionné, quand ceux-ci arrivent en fin de vie, par des modèles plus performants. Ils peuvent aussi installer des panneaux solaires thermiques s'ils sont propriétaires. Toutes ces mesures sont non seulement bénéfiques à l'environnement mais également rentables. Au niveau du transport, réduire les distances parcourues en optimisant les trajets est un bon début. La meilleure option est de s'organiser avec d'autres navetteurs (qui, majoritairement, vont à Beyrouth tous les jours) afin de se déplacer en covoiturage. Ceci non seulement réduit les coûts, la pollution de l'air, la consommation d'énergie et les embouteillages, mais permet aussi de renforcer les liens sociaux. Mais il est évident que la lourde tâche de réduire l'ensemble de la demande énergétique n'incombe pas uniquement aux ménages.

En effet, les architectes et ingénieurs se doivent de concevoir des habitations plus soucieuses de l'environnement. Un choix de matériaux durables, une optimisation de l'espace, ainsi qu'un design propice à l'utilisation de la lumière et de la ventilation naturelle sont des mesures qui peuvent être appliquées. Or, dans le cas du marché libanais, il est souvent difficile de valoriser l'efficacité énergétique à la vente. Pour pallier ce bémol, les architectes et ingénieurs peuvent prévoir, par exemple, des provisions pour un système solaire thermique à un coût négligeable, qui encouragerait fortement l'installation du système par les habitants. Ceci étant dit, certaines mesures d'économie d'énergie restent coûteuses, et seules des politiques de support pourraient inciter à faire des investissements dans ce domaine.

Une part non négligeable du processus dépend ainsi de l'initiative du gouvernement. Celui-ci peut mettre en place, comme dans les économies développées, un système de mérite pour pousser les habitants, les architectes et ingénieurs, ainsi que les entrepreneurs à investir dans des systèmes d'économie d'énergie. Par exemple, en développant un réseau électrique intelligent (smart grid), le gouvernement pourrait permettre aux personnes qui ont installé des systèmes photovoltaïques de revendre leur surplus d'électricité, améliorant ainsi le profil financier de ces systèmes, et encourageant les habitants et entrepreneurs à les installer.
Tout cela devrait, idéalement, faire partie, au niveau national, d'une vision globale de performance énergétique, comme, par exemple, en Suède, où l'État a fait de cet axe un élément-clé de son dernier budget. Mais le Liban n'est manifestement pas près de se mettre à l'heure suédoise.

*André Stéphan est docteur en énergétique du bâtiment (Université libre de Bruxelles - ULB et The University of Melbourne), ingénieur architecte (ULB) et chercheur postdoctorant à l'Université de Melbourne, Australie.

**Laurent Stéphan est détenteur d'un MBA (Insead), ingénieur civil (Université libre de Bruxelles) et directeur de l'entreprise Technical Enterprises Co. au Liban.

***Article édité par Christelle Stephan-Hayek, docteure en lettres et professeure associée à l'Université Saint-Esprit de Kaslik (Usek), Liban.

 

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