Face à l'urgence d'endiguer puis de mettre un terme définitif à la menace que constitue l'État islamique (EI), les pays membres de la coalition ont élaboré dans la précipitation un embryon de stratégie. Personne ne voulant vraiment y aller, au départ, avec les Américains, à part peut-être les Français, il a fallu composer avec les ambivalences de chacun. Formant une coalition à géométrie variable et aux objectifs contradictoires, les États ont pris le risque de s'embourber, une nouvelle fois, dans un conflit à long terme où les perspectives de victoire semblent a priori restreintes. Pire encore, leurs nombreuses incohérences pourraient au contraire favoriser l'État islamique. La preuve en 10 points.
1. La coalition internationale vise à éradiquer l'EI, or ces 15 dernières années, aucune opération n'a permis de dynamiter une organisation islamiste. Que ce soit contre les talibans, contre le Hamas ou contre le Hezbollah, les expériences passées ont démontré les difficultés qu'ont les armées conventionnelles à mener ce type de confit, en tout point asymétrique, face à des milices intégrées auprès des populations locales.
2. Éradiquer l'EI apparaît être un objectif d'autant plus chimérique que les membres de la coalition refusent d'envoyer des troupes au sol. En plus d'être insuffisante, cette stratégie risque de provoquer des victimes civiles et de renforcer de ce fait le soutien des populations locales à ce mouvement.
(Lire aussi : Le Liban ne doit pas être la prochaine victime de « l’État islamique »...)
3. La coalition souhaite renforcer l'opposition syrienne. Pourtant, le groupe Jabhat al-Nosra, qui a des liens solides, au niveau individuel, avec les membres de l'ASL, a été visé par les frappes américaines. Cette stratégie est d'autant plus contradictoire que les principaux soutiens de cette organisation (Qatar et Arabie saoudite) sont membres de la coalition. L'attitude d'al-Nosra, clairement engagé dans la lutte contre Damas mais utilisant des stratégies de terreur semblables à celles-de l'EI, pose une véritable problématique à la coalition : faut-il traiter les deux organisaitons de la même manière au risque de fragmenter encore davantage l'opposition syrienne et de prendre le risque qu'ils fassent front commun – un risque dont les prémices commencent d'ailleurs à poindre ?
4. Dans sa volonté de renforcer l'opposition syrienne (financement et armement), la coalition, et surtout les États-Unis, va soutenir, au moins indirectement, des groupes islamistes plus ou moins proches des idées et de l'idéologie des Frères musulmans : les récentes prises de position du secrétaire d'État US John Kerry ont été dans cette direction. Or, parmi les membres de la coalition se trouvent des alliées de la confrérie (Qatar et Turquie), mais aussi un État qui lui est ouvertement hostile, et qui a soutenu la répression de ses membres en Égypte : l'Arabie saoudite.
(Lire aussi : Quand des experts militaires US appellent à l’aide... le créateur de « Call of Duty »)
5. La montée en puissance de l'État islamique s'explique notamment par l'exacerbation des tensions communautaires entre chiites et sunnites ces dernières années. La chute du régime Maliki, allié de l'Iran, a plutôt été perçue comme une bonne nouvelle par les puissances du Golfe. Aussi, il y a fort à parier que les pétromonarchies sunnites n'interviendront pas sur le théâtre d'opération irakien pour soutenir le gouvernement chiite de Bagdad.
6. La coalition déclare sans cesse qu'elle soutient le régime de Bagdad. Néanmoins, l'Iran, allié de Bagdad, pays frontalier, principale puissance chiite de la région, et dont les politiques ont des répercussions régionales, est exclue de la coalition, à la demande de Riyad.
7. La coalition soutient le régime de Bagdad et critique celui de Damas avec qui elle refuse, officiellement, de collaborer. Pourtant Damas est informée, de manière tout à fait officielle et régulière, de l'avancée de la stratégie de la coalition par Bagdad. La coalition est donc clairement l'allié objectif d'un régime qu'elle prétend combattre. Situation encore une fois extrêmement ambiguë, puisqu'en même temps, les alliés arment l'opposition anti-Assad.
(Lire aussi : « Vos dirigeants ne paieront pas seuls le prix de la guerre, vous allez payer cher »)
8. Parmi les (nouveaux) membres de la coalition, il y a la Turquie. Ces derniers mois, Ankara a été critiqué et accusé d'avoir soutenu l'État islamique, d'avoir laissé passer les jihadistes voulant se rendre en Syrie sur son territoire, et d'avoir acheté (et de continuer à le faire) le pétrole vendu par ce groupe. La position de la Turquie, membre de l'Otan, demeure assez floue et de grands points d'interrogation subsistent quant à ses intentions réelles.
9. Les membres de la coalition, les États-Unis et les pays européens en particulier, ont fourni des armements aux Kurdes. Outre le risque réel qu'il tombe entre les mains du PKK (classé sur la liste des organisations terroristes par l'UE), cet armement pourrait constituer un facteur déstabilisant non seulement pour l'Irak, mais aussi pour toute la région : les Kurdes sont loin d'avoir tiré un trait sur leurs rêves de grand Kurdistan.
10. Enfin, les membres de la coalition s'exposent à des attentats terroristes sur leur sol ou contre leurs ressortissants à l'étranger, à l'instar de James Foley, Steven Sotloff et tout dernièrement Hervé Gourdel en Algérie. Plus les frappes s'éternisent, plus les risques d'attentats sont importants. Face à cette menace constante, les États, pressés par l'opinion publique, seront amenés à s'engager encore davantage dans le conflit pour assurer la sécurité de leurs concitoyens. Se crée alors un engrenage, qui fait l'affaire de l'EI, duquel ces pays peuvent difficilement s'échapper.
P.-S. : bien entendu, cette liste n'est pas exhaustive
Lire aussi
Les portes de l'enfer, la chronique de Nagib Aoun
Vaincre Daech sur le front des idées, le commentaire de Mohammad ben Rached Al-Maktoum
Commentaires
DAESCH = LE FRANKENSTEIN DE DRACULA !
17 h 37, le 02 octobre 2014