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Moyen Orient et Monde - Jihadisme

Syriens et Irakiens pris en otage entre « la tyrannie de l’ordre et la tyrannie du chaos »

« Il est illusoire de penser que l'on peut régler l'une des deux crises en ignorant la seconde. »

Onze ans après leur invasion de l'Irak, les États-Unis, cette fois-ci soutenus par l'ensemble de la communauté internationale, apportent un soutien aérien décisif aux peshmergas kurdes dans leur combat contre l'État islamique. En effet, arrivés aux portes d'Erbil, les combattants jihadistes, qui avaient auparavant conquis la moitié de l'Irak et une partie importante de la Syrie – commettant dans les deux cas des crimes atroces contre les populations locales –, deviennent d'un seul coup l'ennemi numéro un de la communauté internationale rapidement mobilisée pour armer les troupes kurdes. À ce titre, l'engagement des États-Unis, motivés par la « défense des intérêts vitaux américains », peut porter à interrogation quant à sa logique et à ses résultats à moyen terme. L'appui aérien des Américains et la fourniture d'armes aux peshmergas peuvent-ils suffire à défaire l'organisation jihadiste la plus puissante de tous les temps ? Et surtout, peut-on objectivement mener ce combat, qui s'inscrit dans la lutte mondiale contre le terrorisme, en séparant strictement le sort de la question irakienne et celui de la question syrienne ?


Pour Myriam Benraad, chercheuse au Ceri (Sciences po) et spécialiste de l'Irak et du Moyen-Orient, la mobilisation de la communauté internationale, à contre-courant de la politique affichée auparavant – du côté américain – d'oubli du drame irakien, répond à une volonté de sécuriser ses approvisionnements pétroliers et à lutter contre le terrorisme.

Ces deux arguments sont aussi mis en exergue par Karim Émile Bitar, directeur de recherche à l'Iris, spécialiste du Proche et Moyen-Orient et des questions sociétales relatives au monde arabe. Selon ce dernier, « les États-Unis ont commencé à armer et à financer les peshmergas bien avant l'invasion de l'Irak de 2003 ». De plus, « la presse américaine a récemment révélé ce qui était un secret de Polichinelle : l'existence d'une importante base de la CIA près de l'aéroport d'Irbil, sur l'autoroute qui mène à Mossoul. C'est à partir de cette base, aujourd'hui en pleine expansion, que les États-Unis souhaitent mener la contre-attaque contre l'État islamique », précise-t-il. M. Bitar met également en avant le fait que le Kurdistan devient une véritable alternative pour beaucoup de pays sur le plan pétrolier, rappelant que les « entreprises pétrolières Chevron et ExxonMobil y ont de gros contrats et beaucoup de salariés ». « Pour les Américains, le Kurdistan est donc un des rares alliés fiables dans la région, et malgré le tribalisme qui y prévaut, la région est en plein boom économique, attire les investisseurs étrangers et est bien mieux gérée et plus respectueuse du pluralisme que le reste de l'Irak », analyse M. Bitar.


Pour Myriam Benraad, l'armement des Kurdes témoigne surtout « de l'incapacité générale de la communauté internationale de fournir des réponses au double niveau politique et diplomatique ». « Livrer des armes aux Kurdes ne suffira pas à vaincre l'État islamique », ajoute-t-elle ensuite. « À long terme, il n'y a que les troupes sunnites qui peuvent vaincre l'État islamique », analyse Mme Benraad. En effet, elle souligne que les peshmergas, quelle que soit leur force, ne se battront que pour la défense du Kurdistan irakien et des territoires disputés. En l'occurrence, « il ne faut pas compter sur eux pour faire le travail à l'échelle de l'Irak, et, par conséquent, il apparaît nécessaire d'armer les tribus sunnites », explique-t-elle ensuite. La solution est d'autant plus urgente que « l'EI est déjà à Bagdad, par le biais de ses cellules », encore d'après Mme Benraad. Pour M. Bitar, « on ne pourra venir à bout de l'EI qu'en prenant le contre-pied de tout ce qu'ont fait Paul Bremer (le démantèlement des autorités centrales) puis Nouri al-Maliki (le confessionnalisme exacerbé et l'inféodation à l'Iran) durant ces dernières années ». « L'État islamique finira par chuter, il est aux antipodes de l'histoire de l'Irak, qui a longtemps été un bastion du cosmopolitisme », prédit le chercheur.

 

(Portrait : Abou Bakr al-Baghdadi, entre la barbarie de ses actions et l'ubiquité de ses silences)


Concernant le lien entre la situation de la Syrie et celle de l'Irak, les deux chercheurs sont d'accord pour dénoncer l'hypocrisie occidentale. Pour Myriam Benraad, « la politique occidentale est en partie responsable de la prise en otage des populations du monde arabe entre deux formes de tyrannie : la tyrannie du chaos, incarnée par les mouvements jihadistes et la tyrannie de l'ordre, symbolisée par les régimes oppressifs ». Elle explique, à titre d'exemple, que « personne ne veut entendre parler de la Libye qui est pourtant aux portes de l'Europe », et prévoit de ce fait une déstabilisation régionale qui devrait toucher le Liban, l'Iran, la Turquie, mais aussi les pays du Golfe. « Les pays de la région ne peuvent pas se prémunir contre l'implosion de l'Irak et de la Syrie, explique-t-elle à ce propos. L'EI n'est pas apparu en 2014, et s'il a pu se développer, c'est aussi parce que les Occidentaux sont restés indifférents à cette menace. »


Pour M. Bitar, « la détérioration de la situation irakienne change radicalement la donne en Syrie et place les Occidentaux face à leurs contradictions ». « Il est illusoire de penser que l'on peut régler l'une des deux crises en ignorant la seconde », analyse-t-il. Ce dernier va même encore plus loin en précisant que « le jeu des alliances est en train d'être bouleversé puisqu'on assiste aujourd'hui à une coopération sans précédent entre les États-Unis, l'Iran, les peshmergas et même indirectement avec le PKK, considéré comme mouvement terroriste, mais nécessaire au combat contre l'EI ».


Pour finir, il met en avant toute l'ironie de l'histoire récente entre l'Irak et les pays occidentaux. « Il est assez tragiquement ironique de constater que c'est au nom de la "guerre contre le terrorisme" qu'on a livré un pays tout entier à une organisation pire qu'el-Qaëda. Autre ironie de l'histoire, c'est au nom de la lutte contre "l'axe du mal" que Bush, le protestant évangélique born-again, et Tony Blair, l'anglican converti au catholicisme, par leurs erreurs stratégiques et leur messianisme, ont sonné le glas d'une communauté chrétienne présente en Irak sans interruption, depuis 2 000 ans », constate le chercheur.

 

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