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Ces fillettes qu’on marie « pour préserver l’honneur »

À Faour, dans la Békaa, des coutumes bédouines d’une autre époque et des regrets à la pelle

Nadam a été donnée à 14 ans à un homme de 12 ans son aîné... pour réparer l’erreur de son frère.

Dans un village sans école, sans municipalité, sans développement, quelle autre perspective pour les jeunes que le mariage précoce ?
« Chaque jour de ma vie, je regrette !... ». C'est ainsi que Nadam, 23 ans, au nom prémonitoire (regret), évoque son mariage, il y a 8 ans et demi, avec un homme de 12 ans son aîné. Elle avait alors 14 ans. Autour d'elle, ses trois enfants en bas âge la harcèlent, jusqu'à l'épuisement. Elle semble au bout du rouleau. « Ça a commencé par un mariage, ça finira par un enterrement (awalta jizeh, ekherta jnezeh », dit-elle, avant de se reprendre : « Ça va, c'est normal. » La jeune femme au regard triste assure qu'elle ne le referait « pour rien au monde », si seulement elle avait su ce qui l'attendait. Il faut dire que Nadam a servi de monnaie d'échange pour réparer l'enlèvement par son frère d'une jeune fille du village, le mariage par enlèvement (khatifé) étant impensable au sein de la tribu Harouk de Faour. « Si j'avais refusé, mes parents auraient été contraints de quitter le village », explique-t-elle. Alors elle subit au quotidien et en silence la violence et les humiliations de son mari qui lui fait payer cher l'erreur de son frère.

 

Mariée à 13 ans
Il faut dire que Faour a encore des coutumes ancestrales. Ce village de la Békaa-Ouest, habité par des Bédouins libanais sunnites d'origine syrienne, ne figure pas sur la carte du pays, pas plus qu'il n'a de municipalité ou d'école, tout juste un moukhtar. Même ses routes ne sont pas carrossables. « Nous ne sommes pas en nombre négligeable, mais on ne nous regarde qu'aux élections », déplore Nada Ragheb, une habitante engagée auprès des femmes. Pour aller à l'école, les enfants doivent se rendre à Terbol, Bar Élias, Kfarzabad ou même Zahlé. Résultat : nombre d'entre eux sont privés d'instruction, leurs parents étant trop pauvres pour payer le transport scolaire. Les plus déterminés s'accrochent jusqu'au brevet, mais finissent par lâcher l'école pour se faire employer dans les champs, les usines environnantes ou à Zahlé. Leur aide financière est précieuse, en cette période de crise et de concurrence de la main-d'œuvre syrienne.


Dans cet état des lieux, les mariages précoces sont monnaie courante, car la jeunesse se côtoie, d'autant que les parents investissent chaque sou dans la pierre. À leur adolescence, les garçons ont quasiment tous leur appartement, qu'ils terminent petit à petit. Kaoukab, 37 ans, mère de 9 enfants, a été mariée par son père à 13 ans. Il en a été de même pour sa fille de 13 ans, Nariman, mariée avec un homme de 20 ans son aîné. À 18 ans, la jeune femme est aujourd'hui mère de deux enfants. « Pourquoi a-t-on marié ma sœur si jeune, alors qu'à 18 ans, on me juge trop jeune pour épouser celle que j'aime ? Pourquoi lui avoir imposé de telles responsabilités à son âge ? » demande son frère, révolté. Kaoukab reconnaît les faits. « Mon aînée a eu un parti. Son père en a été convaincu. La vie est ainsi faite », lance-t-elle. « Je ne voulais pas qu'elle se marie si jeune. Mais je n'ai pas réussi à empêcher ce mariage. » Certaine que sa fille est « heureuse », elle ne peut s'empêcher de s'inquiéter constamment pour elle et ses enfants.

 

Erreurs de jeunesse
Au gré des rencontres dans cette attachante bourgade oubliée de l'État, les langues se délient, les femmes partagent leurs expériences, certaines leur bonheur, d'autres leur amertume. Zeinab, 18 ans, est toujours boudée par ses parents pour avoir été enlevée par son amoureux contre leur volonté. Elle n'avait pas 17 ans. Il en avait 21 et appartenait à une autre tribu. « Nous leur avons pourtant payé la compensation (missiagh) de 8 millions de livres libanaises, pour avoir le droit de rester au village », déplore-t-elle. « Les tribus se sont réconciliées, mais mes parents nous en veulent toujours. » Criblée de dettes, vivant chez sa belle-famille avec son mari ferronnier et leur bébé, elle regrette au quotidien son erreur de jeunesse.


Mêmes regrets pour Hekmat, 20 ans, qui vient d'avoir son deuxième enfant, une fille. Elle a orné la façade de sa maison inachevée de rubans roses. Mais au plus profond d'elle-même, elle s'avoue dépassée par les événements. Épuisée physiquement, elle raconte ses grossesses, ses accouchements difficiles, « des césariennes », sa peur de tomber enceinte une nouvelle fois. Elle évoque aussi les débuts difficiles de sa vie de couple. « Nous ne savions pas vivre ensemble. » Mais le plus difficile à assumer reste pour elle la responsabilité des enfants. « Si j'avais la possibilité de remonter dans le temps, je ne me marierais jamais à 16 ans. » Hekmat s'est pourtant mariée par amour, après avoir été fiancée à 14 ans. « Je ne voulais plus aller à l'école. Nous nous aimions. » Mais aujourd'hui, cette brunette aux cheveux courts coincée entre quatre murs pour pouponner, n'en finit pas de regretter le temps de l'insouciance.


Seule note positive dans l'amertume ambiante, l'histoire d'amour de Aziza, aujourd'hui 32 ans. « Je me suis mariée à 16 ans avec un homme de 7 ans mon aîné, je ne l'ai jamais regretté. » Cette mère de trois enfants se dit heureuse, car elle mène son couple et sa famille comme elle l'entend. Marierait-elle sa fille à 16 ans ? Assurément non !

 

Dans un village sans école, sans municipalité, sans développement, quelle autre perspective pour les jeunes que le mariage précoce ?« Chaque jour de ma vie, je regrette !... ». C'est ainsi que Nadam, 23 ans, au nom prémonitoire (regret), évoque son mariage, il y a 8 ans et demi, avec un homme de 12 ans son aîné. Elle avait alors 14 ans. Autour d'elle, ses trois enfants en bas âge la...

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