« Dégagez ! Dégagez de Mossoul, chrétiens ! Dégagez de Damas, de Yabroud, de Maaloula, de Ninive, de Bagdad ! Dégagez, chrétiens du Liban, de nos montagnes et de nos vallées ! Dégagez, chrétiens de Palestine et de la péninsule, dégagez de nos rivages et de nos terres ! Dégagez de sous nos peaux, nous vous abhorrons, nous ne voulons pas de vous ! Dégagez, parce que nous en avons marre de la civilisation et du progrès et de l'ouverture à l'autre et de la miséricorde et de la fraternité et de la coexistence et du pardon ! Dégagez, pour que nous puissions en toute quiétude nous entre-tuer ! Dégagez, vous ne faites pas partie de nous ni nous de vous ! Dégagez pour que nous n'ayons pas honte lorsque nous vous regarderons dans les yeux ! Dégagez et laissez-nous avec nos catastrophes, nos fanatismes, nos haines loin de vos prétentions, loin de vos talents, loin de vos compétences, loin de votre savoir, loin de votre expérience ! Dégagez pour que nous puissions en finir avec tout ce que vos ancêtres ont réalisé et tout dynamiter ! Dégagez, parce que ni l'Irak, ni l'Égypte, ni la Syrie, ni le Koweït, ni la Palestine, ni la Jordanie, ni l'Afrique du Nord n'ont besoin de vous ! Dégagez, chrétiens, pour laisser le sang couler, la violence se généraliser, les cœurs se faire poignarder, les langues se faire couper et les foies se faire bouffer ! Dégagez et prenez avec vous Gibran Khalil Gibran, Anastase le carmélite, les fils Takla et Bustros et Yazigi et Boustany, le Petit Prince et Mikhaïl Neaïmé, dégagez et prenez avec vous vos universités et vos hôpitaux! Oui ! Dégagez, parce que nous voulons retourner à nos déserts, nos épées nous manquent follement, et parce que votre culture, nous l'avons remplacée par l'art de creuser nos tombes. »
Il n'y a rien à dire. L'auteur de ces lignes, somptueuses, s'appelle Ahmad Sarraf, et cet éditorial détonant, c'est le Qabas koweïtien qui l'a publié il y a deux jours. Des mots inédits pour des maux que l'on croyait révolus ; une ironie, un cynisme, une force inouïs, à l'heure où l'étoile jaune des nazis a été remplacée par ce « noun » de l'infamie, grimacé comme un emoticon d'enfant sur les murs des maisons chrétiennes de Mossoul, à l'heure, surtout, où l'immense majorité des musulmans, partagée entre la honte et la rage, ne sait plus comment faire comprendre aux chrétiens de cette région maudite qu'elle a férocement besoin d'eux.
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Fabuleuse traduction de ce chef-d'oeuvre de texte arabe. Chapeau, M Makhoul !
21 h 27, le 25 juillet 2014