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Nos Lecteurs ont la Parole - Dr Pamela CHRABIEH

II.- La laïcité et la gestion sociopolitique au Liban

Il ne s'agit donc pas de privilégier le développement de l'individu privé au détriment du citoyen. Mais sans la liberté individuelle ou l'autonomie, l'idée de citoyen ne peut être conçue (voir L'Orient-Le Jour du jeudi 22 mai 2014).
Dans cette perspective, une relecture du concept de la oumma s'avère aussi importante, surtout si l'on considère qu'il en existe une diversité d'emplois et de sens. Ainsi, outre la définition dominante qui la qualifie d'un groupe d'hommes et de femmes qui se lient et s'accordent par le choix d'une religion, de l'unité de la foi et se traduit dans les faits par une unité sociopolitique – l'identité islamique est l'axe fondamental autour duquel se constitue le groupe –,
une autre ne la lie pas à la religion : par exemple, selon Fârâbi, elle est un « groupement d'hommes dans un territoire déterminé ». Il s'agit donc d'une forme de sécularisation de la oumma, d'une vision que l'on pourrait qualifier de pragmatique, où l'on s'accorde par exemple sur les critères suivants : intérêt commun, crainte, affinité, contrat, similitude de qualités naturelles, communauté de langue...
Cette relecture du concept de la communauté démontre qu'il est possible aux théologies islamiques au Liban – et chrétiennes en l'occurrence – de concilier une vision théologique de l'homme-sujet de Dieu et une vision juridico-politique octroyant à l'homme la responsabilité de ses choix et de ses actes. De la sorte, se dessinerait du moins une possibilité de dépasser la définition de la religion réduite à une dimension confessionnelle. Les Libanais auraient donc la possibilité de s'insérer pleinement – ou de choisir le degré d'insertion le cas échéant – dans une communauté et de remettre en cause sa structure normative et institutionnelle, et de jouir des mêmes droits et responsabilités : droit à la différence, c'est-à-dire à s'unir aux autres grâce à ce qui sépare aussi, et droit à l'égalité, c'est-à-dire à s'accepter mutuellement sans être différenciés dans la lutte contre l'injustice.
L'identité libanaise devrait être une identité non compartimentée, non exclusive, ouverte ; une identité qui se construit à travers des tissages et retissages de divers « moi » et « autre », au carrefour de plusieurs appartenances qui s'enrichissent mutuellement ; carrefour dont l'appartenance confessionnelle ne saurait prétendre sortir intacte. En ce sens, il ne tient qu'aux instances religieuses d'entrer dans ce jeu à plusieurs ou de s'enfermer dans un isolement sclérosé, sclérosant.
Penser une nouvelle gestion sociopolitique au Liban implique que l'on tienne compte du fait que les Libanais ne peuvent rester sur un curriculum confessionnaliste, ni basé sur une seule religion, ni sans aucune référence religieuse. Une gestion médiatrice ou celle de la laïcité « ouverte » serait de prolonger l'itinéraire humain à voies (voix) multiples, de trouver une voie médiatrice entre le confessionnel et l'a-confessionnel, une voie rejoignant en quelque sorte deux visions soi-disant irréconciliables, en tenant compte du flou de leurs frontières, de leurs zones grises, de grilles plus complexifiées, des silences (impensés, impensables, non-dits), de cet autre encore à advenir et qui nous échappe.

Dr Pamela CHRABIEH
Chercheure, CRCIPG,
Université de Montréal ; professeure, FPT-USEK

Il ne s'agit donc pas de privilégier le développement de l'individu privé au détriment du citoyen. Mais sans la liberté individuelle ou l'autonomie, l'idée de citoyen ne peut être conçue (voir L'Orient-Le Jour du jeudi 22 mai 2014).Dans cette perspective, une relecture du concept de la oumma s'avère aussi importante, surtout si l'on considère qu'il en existe une diversité d'emplois et...

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