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La loi électorale - Conférence - « Une loi électorale à la mesure de la nation »

Applaudies dans le principe, les réformes proposées par la commission Boutros critiquées dans la forme

Rarement une conférence publique aura vu une telle affluence et une présence officielle libanaise et étrangère de si haut niveau. C’est dire l’importance du sujet que le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) et la CCER (Campagne civile pour la réforme électorale) ont soulevé hier avec la participation d’une pléthore de députés, de ministres, de représentants de la société civile et de diplomates. Le thème choisi devait porter sur un sujet de l’actualité chaude : « Une loi électorale à la mesure de la nation », à mettre en contraste avec une loi « taillée à la mesure des responsables politiques », c’est-à-dire par « ceux-là mêmes, qui sont chargés par la Constitution, de la mission de l’élaboration et de l’adoption du texte de loi », comme le relèvera le président du Conseil supérieur de la magistrature, Antoine Khair, lors d’une intervention express. « Le conflit d’intérêts né du fait que le législateur est en même temps candidat est précisément la raison pour laquelle la question de l’élaboration d’une loi juste et équitable a toujours été historiquement difficile », commentera le député et politologue Farid el-Khazen. La difficulté s’est cependant accrue en raison de considérations géopolitiques et de l’internationalisation de l’enjeu électoral, une première dans l’histoire du Liban, dira-t-il. D’où la nécessité de « sortir le Liban des axes régionaux et des alliances qui changent chaque jour », précise le parlementaire.
La loi électorale qui verra tôt ou tard le jour fera-t-elle l’objet cette fois-ci de discussions sérieuses et rigoureuses ou bien sera-t-elle adoptée à la va-vite comme le veut la tradition politique dans ce pays ? La manière dont le découpage des circonscriptions a été concocté à Doha laisse-t-elle espérer une intégration des réformes administratives et techniques comme le réclame à cor et à cri la société civile depuis des mois ?
Si l’on croit les déclarations des députés et chefs de blocs parlementaires largement représentés hier au débat, les réformes sont effectivement envisagées et figureront certainement à l’ordre du jour des discussions en commissions parlementaires, prévues en principe dès la semaine prochaine. Il s’agit de réformes qui sont d’autant plus incontournables que les responsables politiques présents ont unanimement reconnu hier « les limites de l’accord » auquel ils sont parvenus, par la force des choses, au Qatar. Tous – majorité et opposition – ont également admis que l’entente de Doha n’est autre qu’un « compromis provisoire », soulignant au passage que le découpage électoral n’est pas celui auquel ambitionnent les citoyens, encore moins leurs représentants.
C’est ce qui ressort en tout cas de cet échange – parfois houleux – qui a eu lieu devant, notamment, les ambassadeurs de l’Union européenne, de France, de Belgique, d’Espagne, d’Australie, des États-Unis, du Mexique, de la Grande-Bretagne, d’Égypte, du Pakistan, de l’Inde, du Chili, des hauts représentants des ambassades de Hollande, du Japon et du Yémen, ainsi que des dizaines de représentants et membres des ONG qui soutiennent activement la Campagne civile pour la réforme électorale.
La proposition de loi mise en place par l’ancien ministre, Fouad Boutros, a fait l’objet de discussions détaillées, portant souvent sur son « opportunité » et son « adaptation au contexte socio-politique libanais ». Ce dernier ne serait « pas encore prêt », ou « pas suffisamment », pour accepter et assimiler la formule du mode de scrutin « mixte » (la proportionnelle, combinée au système majoritaire) proposée par le projet de la commission Boutros. Tous le diront d’ailleurs, à l’exception de rares députés ou intervenants : « La proportionnelle est le mode le plus adéquat en termes de représentation équitable » des petits partis, le meilleur en tous les cas pour ce qui est de la consolidation de la « coexistence, de l’incitation au développement et surtout de l’émergence de partis nationaux, permettant ainsi de briser le monopole des grands partis ». Ce mode de scrutin est en outre « essentiel » pour redynamiser la vie démocratique, comme le relèvent tour à tour les députés Ali Hassan Khalil (Amal), Ghassan Moukheiber (Bloc du changement et de la réforme), le directeur de l’Institut Carnegie, Paul Salem, le directeur du Centre de recherches et de documentation du Hezbollah, Ali Fayyad, ainsi que plusieurs voix de la société civile.
« Le retour au système majoritaire et à la loi de 1960 ne signifie pas pour autant un renoncement au système de la proportionnelle », précisera toutefois M. Salem.
La préférence du président de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice, Robert Ghanem, ira plutôt au système majoritaire, du fait des « lacunes » que décèle la proportionnelle. Selon lui, le meilleur régime est celui qui ne prévoit « pas plus de quatre députés par circonscription », une formule qui encourage « la proximité » entre l’électeur et son élu, ajoute le député.
Insistant sur la nécessité de promouvoir et de développer la décentralisation prévue dans l’accord de Taëf, M. Ghanem reste convaincu que la meilleure loi électorale « ne peut aboutir aux résultats escomptés en l’absence de culture démocratique ». D’où la nécessité de s’engager sur le chemin de la décentralisation, « qui est une nécessité pour consolider la démocratie », insiste le parlementaire.
Si la taille des circonscriptions et le mode de scrutin ont fait l’objet d’une discussion plutôt « théorique », voire anachronique, puisqu’il est trop tard aujourd’hui de revenir sur les décisions de Doha qui ont statué en faveur du caza, les débats ont été autrement plus stimulants concernant les réformes administratives et techniques qui ont toujours une chance d’être intégrées à la nouvelle loi, un objectif en vue duquel la Campagne civile pour la réforme électorale travaille d’arrache-pied.
« Réaliste », comme il dit, Robert Ghanem estime que plusieurs parmi ces réformes sont effectivement « envisageables et réalisables », notamment « la réglementation du financement des campagnes électorales, la couverture médiatique et la publicité électorale, l’utilisation de bulletins de vote préalablement imprimés, la tenue des élections en un seul jour – si l’état sécuritaire le permet – le vote des Libanais résidant à l’étranger, l’annulation de la carte électorale, qui doit être remplacée par un document magnétique tel que la carte d’identité ou le passeport, l’abaissement de l’âge de vote à 18 ans », bref une position et un engagement clairs et francs de la part du député en faveur d’une bonne partie des réformes revendiquées par la CCER et la société civile dans son ensemble.
M. Ghanem émet toutefois des réserves sérieuses concernant « la création d’une commission électorale indépendante », qui devrait se substituer au ministère de l’Intérieur pour gérer l’opération électorale. De l’avis du député, cette commission se trouvera « en compétition franche aussi bien avec le ministère de l’Intérieur, qu’avec les commissions de décompte des bulletins de vote ».
Une position sur laquelle le rejoint le directeur du Centre de recherche et de documentation du Hezbollah, Ali Fayyad, mais pour d’autres motifs, techniques cette fois-ci. Critiquant « le mécanisme de prise de décision et l’ampleur des responsabilités confiées à cette commission », dont le président détient « des prérogatives énormes pour une opération aussi complexe », le chercheur a en outre émis des réserves envers le remplacement de la carte électorale par la carte d’identité ou autre document magnétisé, comme les bulletins préalablement imprimés. En somme, des réserves qui portent sur la « forme » mais non sur le principe même des réformes administratives et techniques (voir le tableau ci-contre).
Fidèle à ses engagements envers les réformes, Ziad Baroud, avocat et membre actif de la commission Boutros, a défendu le projet dans le fond et l’esprit plus que dans la forme.
« Nous avons élaboré un texte qui a coûté aux membres de la commission neuf mois de discussions franches, objectives et d’argumentations. Cela nous a permis de mettre sur la table un projet de loi – qui n’a pas la prétention d’être le meilleur – mais qui devait être le prélude à une discussion rationnelle, qui protégerait le processus électoral d’une confection à la taille des politiques », a-t-il dit, avant de poursuivre : « Nous avons aspiré à un projet qui dépasserait les pratiques ottomanes, pour nous faire accéder au monde de la modernité, à celui de la technologie et de l’informatisation. »
À son tour, le directeur exécutif de LADE (Association libanaise pour la démocratie des élections) et membre actif de la CCER, Saïd Sanadiki, n’a pas ménagé les responsables politiques, ironisant sur la simultanéité du « discours sur le partenariat et d’une loi qui continue de marginaliser l’ensemble des Libanais », dans une allusion aux représentants politiques qui ont siégé à Doha.
« Tout ce qu’ils ont fait, c’était nous servir une loi électorale assez âgée (née en 1960), mais qui est pourtant restée en dessous de l’âge de la raison juridique » , poursuit l’activiste.
Et M. Sanadiki de « présenter ses excuses » aux femmes libanaises : « Elle nous ont donné la vie en tant que mères, ont fait germer en nous, de par l’éducation, le patriotisme et l’amour de cette nation. Et pourtant, nous n’avons toujours pas confiance en leurs capacités de prendre des décisions politiques qui nous concernent », ironise encore l’intervenant, dans une allusion claire à ceux parmi les nombreux responsables politiques et parlementaires qui continuent de rejeter le principe du quota féminin.
C’est le cas de partis tels que le Hezbollah, Amal et le Bloc tripolitain, qui estiment que le fait de définir a priori un quota féminin est en lui-même antidémocratique et une atteinte à la dignité de la femme capable, selon eux, de parvenir à l’hémicycle par ses propres moyens.
À ce propos, la responsable de projets au sein de l’IFES (International Foundation for Electoral Systems), Chantal Sarkis, a tenu à introduire des précisions concernant le type de quotas féminins qui peuvent être adoptés pour encourager l’accession de la femme à la sphère politique, citant au passage « le quota en nombre de sièges réservé au sein du Parlement, celui que l’on peut exiger sur les listes mêmes des candidats ( comme prévu dans le projet Boutros) ou encore le quota dit partisan que les partis politiques peuvent adopter eux-mêmes, a posteriori ». Lors d’une discussion en marge de la conférence, Mme Sarkis a critiqué le rejet du quota réservé aux femmes qui, a-t-elle expliqué, « est d’autant plus injustifié que le principe des quotas existe déjà au Liban, et ce depuis longtemps ». Elle cite à ce titre le « quota confessionnel » – pratiqué aujourd’hui dans le cadre du système de la parité chrétienne-musulmane au niveau du Parlement – ou le « quota régional », certaines régions – les cazas – étant plus ou moins équitablement représentés à l’Assemblée.
Rarement une conférence publique aura vu une telle affluence et une présence officielle libanaise et étrangère de si haut niveau. C’est dire l’importance du sujet que le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) et la CCER (Campagne civile pour la réforme électorale) ont soulevé hier avec la participation...