La forêt de Baabda, une réserve où le gris des cendres a remplacé le vert. Photo envoyée par un lecteur
Vents forts, températures extrêmement élevées pour la saison, sécheresse : des conditions climatiques apocalyptiques ont provoqué hier d'énormes incendies dans plusieurs forêts du Mont-Liban, où le vert a été remplacé par le gris des cendres. Dans la soirée, le directeur des opérations de la Défense civile, Georges Abou Moussa, estimait que les feux avaient été éteints en très grande partie. Mais les pompiers, selon lui, sont restés sur place pour refroidir la terre et s'assurer qu'aucun foyer ne subsistait, ce qui serait susceptible de provoquer de nouveaux sinistres au cas où le vent se remettrait à souffler.
C'est le matin, vers 8h, que l'énorme incendie s'est déclaré à Wadi Chahrour, avant de s'étendre à Betchay puis à Baabda, et jusqu'à Jamhour, où le Collège Notre-Dame a évacué ses élèves. Les flammes se sont dangereusement approchées du palais présidentiel à Baabda et des parkings ont été vidés, de peur que des flammèches n'embrasent les véhicules. Mais le palais, où les responsables politiques étaient en réunion dans le cadre du dialogue auquel les avait conviés le président de la République Michel Sleiman, n'a finalement pas été mis en danger. Des centaines d'autres résidences dans les différents villages touchés ont été cernées par les flammes : selon la Défense civile, des cas d'asphyxie ont été rapportés, mais aucune victime n'était à déplorer. Les hélicoptères de l'armée ont été mis à profit pour contribuer à l'extinction des incendies.
Le fait marquant de la journée d'hier a été le retard dans l'arrivée des secours, un retard qui a coûté au Liban de grands espaces verts, notamment une partie substantielle de la forêt de Baabda, une réserve gérée par l'ONG Terre-Liban. Paul Abi Rached, président de l'association, ne décolérait pas. « L'incendie a commencé à Wadi Chahrour, il était très limité le matin et aurait pu être maîtrisé très rapidement, dit-il à L'Orient-Le Jour. Au lieu de cela, le feu s'est étendu et la forêt a brûlé. Nous estimons avoir perdu 80 % de la réserve au moins. Nous avons lancé le premier appel dès 8h30, mais aucune municipalité n'a bougé, au lieu de mettre à disposition leurs réservoirs d'eau et d'envoyer leurs employés municipaux pour éviter le pire ! Sachant que la Défense civile était débordée et que sa priorité était de sauver les maisons. Or la réserve, avec sa biodiversité, est une richesse nationale ! »
Selon l'écologiste, les volontaires se sont chargés eux-mêmes d'éteindre le feu, avec les moyens de bord. « Même si nous sommes préparés à l'éventualité des incendies, nous n'avons jamais vu ça, s'insurge Paul Abi Rached. Le feu s'est propagé de part et d'autre de la forêt en quelques minutes ! »
Sur l'ancienne route de Jamhour, lundi matin. Photo Nour Braïdy
« Même pendant la guerre, nous n'avons pas vu une telle désolation »
Les incendies précoces de mai ont pris les autorités de court et semé la panique auprès des habitants dont des centaines se sont retrouvés encerclés dans leurs propres immeubles. Des témoignages ont été recueillis par nos collaborateurs Nour Braïdy et Matthieu Karam pour Lorientlejour.com. Un homme qui jetait des seaux d'eau sur les broussailles en feu sur l'ancienne route de Jamhour s'est plaint du fait que « l'incendie a commencé tôt ce matin et personne n'est encore venu (les) aider », plusieurs heures plus tard.
« Les flammes se sont arrêtées devant notre immeuble, car nous avons imbibé la terre d'eau. Le spectacle est terrible, c'est un désastre », a expliqué Rami, un Libanais de 40 ans qui habite Baabda depuis l'enfance. « Même pendant la guerre, nous n'avons pas vu, ici, un tel spectacle de désolation. » Rami s'est insurgé lui aussi contre l'inefficacité des secours. « L'armée est venue avec une citerne et un tuyau de seulement quatre mètres. Les soldats ont arrosé les rochers, puis sont repartis ! » a-t-il dit.
Certains habitants ont même été jusqu'à préparer leurs bagages dans la perspective de quitter leurs domiciles. Mais leurs demeures ont finalement été épargnées en raison de l'intervention des pompiers.
À la mi-journée, un responsable des Forces de sécurité intérieure a indiqué que l'incendie avait atteint l'ambassade d'Ukraine et la maison de l'ambassadeur de Jordanie. La région de Baabda abrite plusieurs ambassades et résidences d'ambassadeurs.
Après l'incendie, spectacle de désolation à Baabda. Photo envoyée par un lecteur
Climat difficile et précautions insuffisantes
La rapidité de propagation des flammes hier était due aux conditions climatiques exceptionnelles.
Sawsan Bou Fakhreddine est directrice générale de l'Association de conservation et de développement des forêts (AFDC), chargée depuis 2007 par le gouvernement de mener des formations au profit des autorités locales en vue de lutter contre le feu et de préserver les espaces verts. Elle a estimé hier que « le désastre de cette journée est comparable à celui d'une autre journée d'octobre 2007, où l'on avait perdu d'énormes espaces verts dans diverses régions ». Selon elle, « des températures avoisinant les 37 degrés, de la sécheresse, des vents forts toute la nuit sont des conditions idéales pour que se déclarent les incendies. La moindre imprudence devient alors fatale ». Pour elle, « si la saison commence aussi tôt alors que les incendies les plus dangereux surviennent généralement en automne, l'été à venir sera terrible ».
Sawsan Bou Fakhreddine reconnaît que le travail avec les municipalités n'a pas toujours été payant, puisqu'un grand nombre d'entre elles restent très peu préparées à affronter de telles situations exceptionnelles. « Nous n'avons pu couvrir toutes les municipalités du Liban, mais nous envoyons chaque année au ministère de l'Intérieur une liste de directives qu'il se charge de communiquer aux municipalités, dit-elle. Malheureusement, ce document n'est en aucun cas contraignant. Or les municipalités peuvent tout au moins sévir à l'encontre de ceux qui enfreignent la loi. »
Bref, l'État libanais semblait hier moins préparé que jamais à affronter les incendies. Même si le ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk a donné ses directives aux forces de l'ordre afin qu'elles interviennent dans les efforts de lutte, sur le terrain, cela n'a pas sauvé grand-chose. Quant aux causes du sinistre, elles restaient inconnues, mais la piste criminelle et celle de l'imprudence n'étaient pas écartées.
C est clair que c est un acte criminel qui sera terminé par la livraison de permis de construire...Adieu Pauvre Liban
21 h 05, le 07 mai 2014