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La loi électorale

La proportionnelle, mythe et supercherie

À l’occasion du vote à la Chambre de la loi électorale, la semaine dernière, les Libanais auront eu la chance de réentendre les éternelles odes mélancoliques à la proportionnelle, cette bien-aimée toujours désespérément lointaine.
Durant plusieurs heures, on a vu une bonne moitié du Parlement transformée en un chœur de jeunes fiancés éconduits pleurant toutes les larmes de leurs corps et se résignant bien malgré eux à un odieux mariage arrangé avec un mode de scrutin qu’ils prétendent maudire.
Au-delà du constat d’incapacité chronique et généralisée que ce spectacle suggère chez la classe politique, la leçon à tirer de ces heures de déconfiture quasi universelle est la suivante : aux quelques hypocrites qui hantent l’hémicycle (quand il leur est permis de le hanter) fait face, à l’extérieur, la masse des ignorants. D’ailleurs, sans les seconds, les premiers n’auraient pas de raison d’être.
À les entendre, la plupart des parlementaires qui se sont exprimés à cette occasion, en particulier ceux de l’opposition, auraient quitté femme et enfants pour convoler avec la proportionnelle. S’ils ne l’ont pas fait et ont dû se rabattre sur la loi de 1960, c’est, bien entendu, la faute aux autres et à l’accord de Doha.
Vendredi dernier, le général Michel Aoun s’est joint à ce chœur en affirmant que c’est le 14 Mars qui assume la responsabilité de l’adoption d’un mode de scrutin médiocre. Ce faisant, le général a feint d’oublier qu’il y a à peine quatre mois, après son retour de Doha, d’énormes panneaux publicitaires du CPL à la gloire du héros qui a obtenu le rétablissement des « droits chrétiens » couvraient les abords des routes dans les régions chrétiennes.
Il est vrai que le CPL était à l’origine un ardent défenseur de la proportionnelle, ce qui s’expliquait aisément par le fait qu’il disposait d’une audience géographiquement très disséminée et souffrait de l’absence de relais locaux, si efficaces dans le scrutin majoritaire. Mais son repositionnement politique après 2005 et l’abandon progressif du « libanisme laïc » au bénéfice du « patriarcat politique des chrétiens » contraignait le général à rejoindre des schémas plus traditionnels, du type de la loi de 1960, jugés à tort ou à raison plus favorables pour les chrétiens.
Sauf qu’il faut en même temps plaire à ses alliés, caresser l’opinion dans le sens du poil en se montrant résolument moderniste et, surtout, continuer à attaquer l’adversaire, montrer que c’est lui qui tire en arrière, même si on est maintenant ensemble au sein du gouvernement.

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Que la loi de 1960 soit médiocre, y compris pour les chrétiens, cela ne doit pas faire l’ombre d’un doute. Mais de là à rêver de la proportionnelle comme d’un paradis perdu, il y a un monde.
Car cette proportionnelle qu’on voudrait tant mettre en œuvre au Liban cache une énorme supercherie. Même le projet Boutros, cet indispensable instrument de réforme pour n’importe quel mode de scrutin, n’en réchappe pas.
Au commencement, il y a l’implacable arithmétique : pour obtenir des proportions, il faut un chiffre raisonnablement divisible. Sinon, c’est de la triche.
Prenons l’éternel exemple des deux sièges maronites du caza de Jezzine. Dans le projet Boutros, il est prévu que l’un de ces deux sièges soit pourvu à la majoritaire et dans le cadre de la circonscription formée par le caza, et l’autre « à la proportionnelle » dans le cadre de la circonscription élargie du Liban-Sud (les deux mohafazats de Saïda et de Nabatiyé).
Outre la différence de taille dans les circonscriptions, ce qui distingue les deux sièges, c’est le procédé de décompte des voix. Dans le premier cas, c’est le procédé utilisé pour la majoritaire qui est adopté et, dans le second, celui de la proportionnelle.
Le problème, c’est que la différenciation des procédés de décompte ne suffit pas à elle seule pour déterminer le mode électoral. Dans la mesure où il y a un seul siège à pourvoir, comment peut-on parler de proportions, quel que soit le procédé de décompte ?
En somme, dans cette configuration, on aurait le résultat suivant : un député élu à la majoritaire franche et un autre à la majoritaire déguisée. La vraie différence entre les deux ne résiderait que dans la couleur confessionnelle de l’électorat, le premier étant élu par une majorité d’électeurs chrétiens, le second par un raz-de-marée chiite.
L’exemple de Jezzine n’est pas le seul. Le même problème se pose dans toutes les circonscriptions envisagées puisque le nombre de sièges concernés ne dépasse jamais quelques unités.
Même dans le cas de la circonscription unique, qui générerait par ailleurs une multitude d’injustices, le même problème continuerait à se poser pour les petites communautés.

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Pour faire appliquer une proportionnelle digne de ce nom au Liban, il n’y a pas trente-six façons : il faut d’abord avoir aboli les quotas confessionnels. Et cela est un débat d’un tout autre acabit qui n’a rien à voir avec une discussion sur la loi électorale.
Or précisément, beaucoup de Libanais gardent l’illusion de pouvoir façonner le système politique du pays rien qu’en modifiant sa loi électorale. C’est la raison pour laquelle ce sujet suscite constamment au Liban autant de passions que de déceptions.
Et ce flot de littérature sur les modes de scrutin, la taille des circonscriptions, la publicité électorale et le financement des campagnes montre que tout le monde a les yeux braqués sur ce qui vient ou ne vient pas d’en haut. Personne ne regarde en bas, où réside pourtant l’essentiel : le comportement de l’électeur.
Par exemple, quelle que soit la loi électorale, une démocratie fonctionne différemment selon que la participation aux élections se monte à 30, 50 ou 70 % de l’électorat.
Par ailleurs, l’électeur qui reste chez lui le jour du scrutin, celui qui vote pour M. untel parce qu’il est son obligé, celui qui ignore jusqu’au nom du candidat pour lequel il vote, contribuent tous à dépolitiser le scrutin et, partant, à tirer la République par le bas bien plus que ne le ferait la plus médiocre des lois électorales.
Pour faire un bon pain, il faudrait de temps en temps mettre un peu la main à la pâte
À l’occasion du vote à la Chambre de la loi électorale, la semaine dernière, les Libanais auront eu la chance de réentendre les éternelles odes mélancoliques à la proportionnelle, cette bien-aimée toujours désespérément lointaine.Durant plusieurs heures, on a vu une bonne moitié du Parlement...