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Économie - Conférence

À qui profite économiquement le conflit syrien ?

Trois ans de guerre ont eu de nombreuses répercussions, certaines inattendues, sur l'économie et le régime d'Assad, selon Jean Yazigi.

Certains experts estiment que même si la croissance économique syrienne atteint 5 % au moins chaque année, il lui faudrait plus de 30 ans pour se remettre de la guerre. Zein el-Rifai/AFP

En trois ans de conflit, la Syrie a subi des dégâts qui, sans être irrémédiables, seront extrêmement difficiles à réparer. À tous les niveaux, les pertes sont importantes : humaines (plus de 140 000 morts, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme – OSDH), émigrations massives, matérielles (infrastructures, agriculture, etc.), mais surtout économiques.


D'après Jean Yazigi, rédacteur en chef de The Syria Report, lors d'une conférence à l'IFPO (Institut français du Proche-Orient) de Beyrouth, les données disponibles sont minimales, mais une estimation reste possible. Ainsi, en juin 2013, le coût de la guerre aurait été de plus de 100 milliards de dollars, soit 170 % du PIB syrien. Certains experts estiment que même si la croissance économique syrienne devait être de 5 % au moins chaque année, il lui faudrait plus de 30 ans pour se remettre de la guerre.


Outre les conséquences logiques du conflit militaire, sans oublier celles des déplacements et de l'émigration de millions de Syriens vers les pays adjacents à la Syrie, et donc de leurs capitaux, les sanctions internationales adoptées dès 2011, la première année de la guerre, ont largement contribué à paralyser notamment les secteurs bancaire et pétrolier (à titre de rappel, la Syrie exportait avant la guerre près de 92 % de son pétrole vers l'Union européenne). Le secteur énergétique est d'autant plus atteint que de nombreux sites pétrolifères se sont retrouvés aux mains de l'opposition, sans oublier la fragmentation géographique du pays en zones loyalistes et rebelles et qui rend les déplacements et les transports extrêmement difficiles. Ainsi, si la production pétrolière d'avant-guerre étant de 400 000 bpj (barils par jour), elle n'est aujourd'hui que d'à peine 15 000, d'après les chiffres avancés par M. Yazigi.

 

Économie « parallèle »
Entre pénuries de denrées principales et d'eau, chômage à plus de 40 %, dévaluation de la livre syrienne (le dollar est passé de 47 à 150 livres syriennes) et insécurité générale, l'économie syrienne continue néanmoins de résister. Cette apparente solidité, estime M. Yazigi, tient à plusieurs facteurs. Déjà, la baisse de demande implique automatiquement une baisse de la consommation ; c'est le cas du carburant, par exemple, les déplacements à travers le pays étant beaucoup moins nombreux. De plus, le gouvernement dépend d'organisations internationales, ainsi que de ses alliés. Ainsi, l'Iran lui aurait fait crédit de plusieurs milliards de dollars afin de pouvoir importer du pétrole. Mais, surtout, affirme l'expert sur la Syrie, une sorte d'économie « parallèle » est née du conflit, et au sein de laquelle de nombreux réseaux de trafics en tous genres se sont développés. Dans les zones du régime, surtout, les sanctions internationales ont forcé le gouvernement à rechercher de nouveaux intermédiaires pour divers investissements et qui profitent d'un contexte particulièrement difficile pour s'enrichir. D'après M. Yazigi, les premiers à profiter des divers trafics sont justement des proches du régime, comme par exemple Rami Makhlouf, le cousin du président Bachar el-Assad, et Ayman Jaber, également touché par les sanctions internationales. Ces derniers seraient les premiers à profiter des bénéfices générés par le commerce secret de denrées alimentaires et d'essence, probablement grâce à des sociétés écrans. Certains de ces seigneurs de guerre proches du régime se sont même tellement enrichis qu'ils ont réussi à s'acheter des sièges au gouvernement, dénonce M. Yazigi.


Également, selon le conférencier, de nouveaux besoins ont émergé du conflit, créant de nouvelles demandes qui n'avaient pas réellement lieu d'être avant la guerre. Il y a ainsi une demande croissante de générateurs ou encore de services de sécurité.


Un autre exemple flagrant serait celui des chabbiha et autres milices loyalistes qui, faute d'être payés par le gouvernement sont, en échange, libres de s'enrichir selon les modalités de leur choix. Le racket, les rapts – et donc les demandes de rançons – sont des pratiques très courantes parmi ces milices, mais également au sein même des forces rebelles, au point que certaines, comme Daech (État islamique en Irak et au Levant-EIIL), qui se sont par exemple emparés de nombreux check-points, champs pétrolifères et moulins à blé, ont été accusées de chercher à s'enrichir plutôt que de combattre le régime.


La fragmentation du pays a donc contribué à la création d'une nouvelle « économie », profitant finalement à ceux-là mêmes qui avaient tout à y perdre. Par conséquent, selon Jean Yazigi, nombreux sont ceux qui auraient finalement intérêt à ce que le conflit perdure, l'enrichissement personnel dans ce contexte de violence étant beaucoup plus rapide qu'en temps de paix.

 

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D'après Jean...

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