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Nos Lecteurs ont la Parole - Peter GERMANOS

Neutralité et islam libanais

L'Église maronite, la plus influente du pays du Cèdre puisque, selon les dires, elle fut derrière la naissance du Grand Liban, a publié récemment une charte nationale de l'action politique ayant pour base les constantes, les appréhensions et les priorités nationales, au moment où le pays est plongé dans une énième crise existentielle. Selon les termes du cardinal Raï, la meilleure solution pour préserver la diversité consiste dans l'adoption de la neutralité du Liban, sous la protection de l'armée et des forces de sécurité du pays. Une neutralité positive, engagée dans les questions arabes et dans la cause palestinienne. Une neutralité qui va dans le respect des droits de citoyenneté et de la consolidation de la paix, qui sont une nécessité pour la région afin que le pays puisse être fort pour se défendre. D'après le patriarcat maronite, il faut chercher à neutraliser les conflits entre les axes et empêcher que le Liban ne devienne leur base ou leur couloir. Le texte insiste ainsi sur l'intérêt à mettre le Liban à l'écart des conflits entre les « axes régionaux et internationaux », comme mentionné dans la « déclaration de Baabda », à ne pas l'utiliser comme passage ou scène pour tout acte susceptible de l'impliquer dans les conflits en cours, ainsi que sur l'intérêt à réaliser la stratégie de défense désirée. Cette charte fut qualifiée par maints observateurs d'historique similaire à celle de deux mille qui montra du doigt l'occupation syrienne et sa mainmise sur les institutions. Mais si le conflit au XXe siècle se métamorphosait au Liban autour d'un chrétien pro-occidental et un musulman pro-oriental, celui du XXIe se concentre entre un musulman (sunnite ou chiite) intégriste ou takfiriste et un musulman libéral ou moderne. Même la question de la Palestine, dont la charte mentionne l'importance, et qui fut le détonateur de la longue et meurtrière guerre civile libanaise, est reléguée aujourd'hui au énième plan. Or, il faut bien mentionner que si l'islam libanais, au lendemain de l'indépendance en 1943 et jusqu'à la veille de l'année 1975, était considéré comme précurseur et que le musulman libanais était vu comme le fer de lance de l'islam moderne, il se trouve malheureusement aujourd'hui relégué à un second plan devant l'islam capitaliste des émirats ou l'islam laïque de la Turquie, ou encore l'islam ouvert de la Tunisie dont la Constitution vient de consacrer la liberté de conscience comme principe fondateur de la République. Tout en sachant que le droit de vote de la femme libanaise (donc musulmane) fut obtenu en 1952, bien avant l'Égypte (1956), la Tunisie (1959), et à titre d'exemple Monaco (1962). Qu'elle fut une des premières femmes du monde arabo-musulman à accéder à l'éducation universitaire, à se présenter aux élections parlementaires et à accéder aux postes administratifs de l'État. C'est un fait que l'islam libanais des années soixante constituait un modèle à imiter pour le reste des Arabes épris de modernisme. Tout cela avant l'arrivée du romantisme du nationalisme arabe, des espoirs et des déceptions qu'il a engendrés, des dictatures aux discours dogmatiques et figés et de la corruption à grande échelle qui est venue avec, et actuellement de la vague fondamentaliste et des dégâts qu'elle est en train de causer. Devant la grandeur et la décadence de l'islam libanais (voire de tout le Liban), il est temps que ce dernier retrouve sa véritable mission et son rôle de modèle et de fer de lance d'un islam dynamique capable de fonder une société moderne, pluriculturelle, démocratique et humaniste. La neutralité permanente du Liban, une fois consacrée par la Constitution et adoptée par les Nations unies, permettra à l'islam libanais de construire une culture de la paix, de promouvoir un dialogue constructif entre les deux branches de l'islam (sunnite et chiite) et entre les trois grandes religions monothéistes. D'établir des ponts entre les civilisations de l'Orient et de l'Occident... Bref, de redevenir le modèle qu'il était. Le dialogue des civilisations et des cultures est un fait bien connu ; il fut pratiqué entre l'Orient et l'Occident dès la très haute Antiquité : l'Égypte, la Mésopotamie et l'univers mycénien. L'histoire a bien enregistré un dialogue riche et fécond entre la Phénicie et la Grèce. Au temps des Abbassides, il y eut également un véritable dialogue entre l'Orient arabo-musulman et l'Occident chrétien ; à ce propos, deux figures emblématiques émergent : Haroun al-Rachid et Charlemagne. Pour le Moyen Âge, il faut évoquer l'Andalousie islamo-judéo-chrétienne qui a généré des merveilles dignes de se joindre aux sept merveilles du monde. Il est de l'intérêt de l'Organisation de coopération islamique, de la Ligue des pays arabes, de l'Arabie saoudite ainsi que de l'Iran d'œuvrer pour la réalisation de la neutralité du pays du Cèdre, pour que ce dernier redevienne la capitale du dialogue religieux et « civilisationnel ». La charte de l'Église maronite fut accueillie positivement par la grande majorité des forces politiques chrétiennes. Il est donc de la responsabilité des partis politiques représentatifs des musulmans d'accepter le principe de la neutralité du Liban comme étant la seule issue possible contre le conflit rampant entre sunnites et chiites, et qui permettra de relancer un dialogue profond avec le partenaire chrétien et donc la reconstruction socio-économique du pays. Dans une planète envahie par la mondialisation, des pays évoluant dans une économie de marché, les sociétés doivent s'adapter ou périr. La conscience identitaire, voire confessionnelle, constitue certes, parfois, un facteur positif puisqu'elle peut conduire à une prise en charge de soi et qu'elle permet de se situer, de se connaître et de se reconnaître. Mais cette conscience identitaire exaspérée peut, hélas, receler de l'indifférence, de la méfiance, de l'incompréhension, voire du rejet et de la violence. Il y a donc des démons à conjurer. Le dérapage ou la déviation ou encore les effets pervers de cette conscience identitaire exaspérée sont, parfois, pour ne pas dire le plus souvent, d'origine exogène. Les conflits régionaux et internationaux, et ce depuis 1840, ont contribué à la destruction de la nation libanaise en exaspérant les identités confessionnelles infra-étatiques. La neutralité semble être le seul concept capable de juguler les identités confessionnelles et de les projeter dans un projet de paix et de prospérité.

Peter GERMANOS

L'Église maronite, la plus influente du pays du Cèdre puisque, selon les dires, elle fut derrière la naissance du Grand Liban, a publié récemment une charte nationale de l'action politique ayant pour base les constantes, les appréhensions et les priorités nationales, au moment où le pays est plongé dans une énième crise existentielle. Selon les termes du cardinal Raï, la meilleure...

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