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À La Une - Liban - Justice

L’affaire Spinneys, enjeu d’une lutte syndicale plus vaste

Intimidations, licenciements abusifs, pressions sur les médias et les réseaux sociaux... Depuis mars 2012, les accusations contre les méthodes et décisions appliquées par la chaîne de supermarchés Spinneys à l’encontre de ses employés se multiplient. Mais au-delà du cas particulier, c’est l’avenir des luttes syndicales qui est aujourd’hui en jeu.

« La diffamation est un droit quand elle relève du devoir citoyen. » C’est sous ce slogan que plus d’un millier de personnes ont rejoint la page Facebook de soutien à l’ancien ministre du Travail Charbel Nahas. Il comparaissait mercredi pour la deuxième fois devant un tribunal, pour diffamation. Il est accusé par la chaîne de supermarchés Spinneys d’avoir qualifié les pratiques du directeur exécutif de Spinneys, Michael Wright, à l’encontre de ses employés de « terroristes », ainsi que d’avoir jugé ces pratiques-là comme « méprisantes » vis-à-vis de la justice libanaise. « Une plaidoirie est prévue le 11 décembre prochain au cours de laquelle des témoins seront présents et les preuves des méthodes “terroristes” apportées », indique à L’Orient-Le Jour l’avocat de M. Nahas, Nizar Saghieh. Mais dans « l’affaire Spinneys », le cas de M. Nahas, bien qu’il soit le plus médiatisé, fait partie d’une longue série de procès intentés par et contre Spinneys où se joue l’avenir des droits civils, salariaux et syndicaux au Liban.

 


Rappel des principaux faits
L’affaire remonte au printemps 2012. La chaîne de supermarchés Spinneys, détenue majoritairement par le fonds saoudien Abraaj Capital, emploie quelque mille cinq cents personnes au Liban, avec des statuts très différents. Parmi eux, des employés administratifs, mais aussi des caissiers considérés comme travailleurs temporaires et payés à l’heure ou encore des porteurs de sacs qui ne perçoivent aucun salaire à l’exception des pourboires et ne sont pas inscrits à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS).

 

« Tous ces travailleurs auraient normalement dû percevoir la hausse salariale pour le secteur privé », souligne Nizar Saghieh. Cette hausse, la première depuis seize ans, avait été votée en février 2012 par le Parlement. Trois mois plus tard, une centaine de salariés adressent une pétition à la direction de la société, pour protester contre la non-application de cette hausse des salaires. « Des pressions et intimidations de toutes sortes ne tardent pas à s’abattre sur les signataires de cette pétition », raconte Nizar Saghieh.  Samir Tawk, l’un des employés à l’origine de la pétition, est muté du jour au lendemain de Dbayé à Saïda. « Cette pratique est une des méthodes employées par Spinneys pour pousser une personne à la démission en l’éloignant géographiquement de son lieu de résidence », explique l’avocat.

 

Contacté par L’Orient-Le Jour, M. Wright dément cette version des faits. « L’employé en question a été transféré pour prêter main-forte aux équipes de Saïda pendant le seul mois du ramadan, une pratique courante dans notre entreprise », souligne-t-il. M. Tawk quant à lui, a répliqué qu’il a été averti la veille de son transfert et que Spinneys a refusé d’augmenter ses indemnités de transport.

 


La formation du syndicat, pierre d’achoppement de la bataille
Face à ce climat de tensions, beaucoup d’employés finissent par abandonner leurs revendications, « car forcés par la direction à revenir sur la signature de la pétition », selon M. Tawk. Mais quelques obstinés s’accrochent et c’est alors que débute une longue bataille pour la création d’un syndicat propre aux travailleurs de Spinneys. « Les pressions s’accentuent et, en août, une nouvelle fois, des centaines d’employés sont forcés par la direction de Spinneys à signer un document attestant leur retrait du syndicat et l’un des membres fondateurs du syndicat, Milad Barakat, est licencié », poursuit Nizar Saghieh.


Pour Michael Wright, la pétition n’est pas justifiée, « puisque nous avons appliqué la majoration salariale à partir de février à tous les employés payés au salaire minimum ». Pour les autres, qui touchent plus, la compagnie adresse une requête au ministère du Travail, demandant une permission pour modifier la méthodologie prévue par la loi pour la majoration des salaires. « La réponse du ministère nous demande de nous en tenir à la loi et c’est ce que nous avons immédiatement fait », clame M. Wright. Ainsi, le directeur exécutif de Spinneys explique la raison de la colère des employés à l’initiative du syndicat par une « politisation de la part de l’ancien ministre du Travail Charbel Nahas ». « Se rendant compte qu’ils avaient été floués sur les véritables cause de la création du syndicat, les membres se sont retirés de leur propre gré », poursuit M. Wright. Il soutient ainsi que « plus aucun membre du syndicat n’est à ce jour employé à Spinneys ». « Normal, rétorque l’ex-employé Samir Tawk, ceux qui n’ont pas retiré leur candidature ont été renvoyés ! »

 


Plusieurs rappels à l’ordre
Face à cette situation, la juge des référés de Beyrouth, Zalfa el-Hassan, publie une décision qui empêche la société de licencier tout membre fondateur du syndicat des employés de la chaîne jusqu’à ce que le ministère du Travail approuve officiellement la formation de ce syndicat. « Quelques jours auparavant déjà, l’Organisation internationale du travail (OIT) avait adressé un avertissement à Spinneys concernant ses pratiques et la CNSS avait effectivement constaté que des centaines d’employés n’étaient pas inscrits à la Sécurité sociale, ce qui représente un manque à gagner pour l’État se comptant en millions de dollars », indique Nizar Saghieh.


Pour l’avocate Mirelle Najm-Checrallah, membre du barreau de Beyrouth, il est très difficile pour des travailleurs libanais de tenir tête à des employeurs malveillants. « En ce qui concerne la non-application de la majoration des salaires, par exemple, les employés peuvent recourir au Conseil arbitral du travail, mais ils ne le font généralement que dans le cas où ils sont licenciés, de peur de perdre leur emploi », explique-t-elle. Quant à la liberté de constituer un syndicat, celle-ci est soumise à l’autorisation du ministère du Travail, sur avis du ministère de l’Intérieur. « Cette ingérence de l’État a été dénoncée maintes fois et elle est contraire au principe de la liberté syndicale consacrée par l’OIT », rappelle l’avocate.

 


Une bataille qui dépasse le cas particulier de Spinneys
Pour Nizar Saghieh, qui est également l’avocat des syndicalistes de Spinneys et le directeur exécutif du Legal Agenda, « le cas de Spinneys n’est malheureusement pas isolé, mais il a pris de l’ampleur à cause des méthodes particulièrement violentes utilisées pour faire face à la fronde salariale ». « Le cas de Spinneys est seulement la partie émergée de l’iceberg qui dévoile au grand jour la réalité des relations entre employés et employeurs au Liban », regrette Nizar Saghieh. Selon lui, le problème au Liban est qu’il n’existe pas de véritables luttes syndicales, « car les syndicats ne sont pas indépendants, ils sont créés par le haut et répondent à des intérêts pas toujours compatibles avec ceux des travailleurs ».


À ce jour, une dizaine de plaintes ont été déposées devant les prudhommes et au pénal « où nous invoquons l’article 329 du code pénal qui prévoit que “constitue un délit le fait d’interdire à tout citoyen d’exercer son droit civil” », rappelle l’avocat. « Notre objectif dans l’affaire de Spinneys est de faire pression sur l’État pour ratifier la convention 87 relative à la liberté syndicale, de produire une jurisprudence susceptible de protéger le droit syndical et, plus largement, de promouvoir un État de droit et de justice sociale, loin des clivages confessionnels qui sacrifient les droits sociaux », conclu Nizar Saghieh.

 

 

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