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Économie - Liban - Emploi

Le handicap et le travail, un long chemin semé d’embûches

Faire des études, se former à un métier et intégrer une entreprise ; l’évidence pour beaucoup est encore loin d’en être une pour les personnes handicapées au Liban. Entre des textes de loi inappliqués et des mentalités obtuses, elle est encore longue, la bataille pour l’égalité des droits.

Youssef Awaza à son poste au call center de SOS Auto. Photo Marisol Rifaï

« Notre plus grand défi, briser l’exclusion. » Des dizaines de personnes s’activent dans quelques petits bureaux au premier étage d’un vieil immeuble dans le quartier de Wata Mousssaïtbeh à Beyrouth pour préparer le programme de cette rentrée. Voila plus de trente ans que la LPHU (Lebanese Physical Handicapped Union) se bat contre la discrimination que subissent au quotidien les personnes handicapées au Liban. « L’exclusion est partout, à tous les niveaux, affirme la directrice de la ligue, Sylvana Lakkis, elle commence par les regards dans la rue et se poursuit dans les institutions de la vie quotidienne comme l’école, les universités, les compagnies d’assurances et surtout dans le milieu professionnel. » « Par exemple, raconte la directrice, pour obtenir un poste à la fonction publique et contrairement à la procédure normale de sélection, la décision devait être prise en Conseil des ministres. »
« Il a fallu attendre l’année 2000 pour voir apparaître la loi 220 qui comporte 122 articles concernant les droits des personnes handicapées dans tous les domaines de leur vie », explique Mme Lakkis. Pour elle, cette loi était nécessaire pour surmonter les barrières et représentait avant tout un aveu, une reconnaissance de la part de l’État de l’injustice à laquelle étaient confrontées les personnes handicapées. Treize ans plus tard malheureusement, les avancées demeurent très limitées et les mécanismes de contrôle de la loi inexistants.

Un quota de 3 %
En ce qui concerne le monde du travail, la loi 220-2000 impose aux entreprises un quota de 3 % de personnes handicapées dans leurs équipes. Le texte prévoit, en théorie, un mécanisme simple d’application. « Tous les ans, au moment où chaque entreprise se rend à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) pour obtenir son quitus, elle doit justifier de l’embauche de ces 3 % auprès de l’organisme, sans quoi elle doit s’acquitter d’une amende équivalente à deux fois le salaire minimum en vigueur pour chaque personne handicapée non employée », explique la directrice de la LPHU. « Et dans le cas où l’entreprise aurait employé plus de 3 % de personnes handicapées, elle est exemptée d’impôts pour ces employés », poursuit-elle.


Mais dans la réalité, les choses sont tout autres. Joseph Ajaka, le directeur général de SOS Auto, emploie aujourd’hui cinq personnes handicapées pour un total d’environ 30 employés, soit plus du quota de 3 % imposé par la loi. Il assure n’avoir jamais été exempté de quoi que ce soit. À arcenciel, une des principales ONG libanaises qui œuvre pour l’amélioration de la vie quotidienne des personnes handicapées, la non-application de la loi s’explique par l’absence de mécanismes de contrôle adaptés. « Avec l’apparition de la loi 220 au début des années 2000, les entreprises souhaitant assurer ce quota de 3 % se sont adressées à l’Office national pour l’emploi (ONE), en charge d’assurer le lien entre les personnes handicapées et le secteur privé ». « Le problème, explique arcenciel, est que l’ONE n’avait à l’époque pas de personnes handicapées qualifiées inscrites à ses registres. » « Par ailleurs, la caisse chargée de recevoir les amendes des entreprises réticentes n’a jamais été créée à cause de problèmes administratifs entre les ministères des Finances et du Travail », poursuit arcenciel. L’ONE, depuis, est contraint de délivrer un certificat aux entreprises, quel que soit leur cas, afin qu’elles puissent recevoir leur quitus à la CNSS.

La bataille des chiffres
Selon les statistiques officielles, le pourcentage de personnes handicapées au Liban se situe autour de 2,5 % de la population. Mais pour arcenciel, ce chiffre est biaisé à cause de la classification très limitée qu’adopte l’État pour l’obtenir. Ailleurs dans le monde, il se situe entre 10 et 15 % de la population car une personne malvoyante ou malentendante par exemple est considérée comme handicapée, alors qu’au Liban, il faut qu’elle soit complètement aveugle ou sourde.
Parmi ces 2,5 % de personnes handicapées, soit entre 120 000 et 140 000 personnes, environ 80 000 d’entre elles seulement sont inscrites au ministère des Affaires sociales et possèdent une carte d’invalidité. « Le chiffre est faible pour plusieurs raisons : les gens ont honte, les centres d’obtention de cette carte sont loin de chez eux ou bien ils considèrent qu’elle ne leur servira pas forcément à trouver un emploi », opine la directrice du LPHU.
Pour arcenciel, la priorité de l’État dans le domaine de l’intégration du handicap au monde du travail doit être la création de bureaux nationaux, qui seraient responsables de placer les 6 000 personnes handicapées avec des compétences et de former par ailleurs les 14 000 restantes pour pouvoir leur garantir un emploi dans l’avenir (cf. infographie).


Décrocher un emploi au Liban est déjà synonyme du parcours du combattant, alors, pour une personne handicapée, les difficultés sont démultipliées. Youssef Awaza, 33 ans et employé dans le call center de SOS Auto, en témoigne. « À 21 ans, j’ai eu un accident de moto et j’ai perdu l’usage de mes jambes, raconte le jeune homme. Je n’avais aucune formation précise et j’avais l’impression que je ne pourrais plus servir à rien dans la société. » « En 2006, la LPHU m’a appelé pour me proposer une formation en informatique et anglais », se souvient-il. Suite à cela, Youssef Awaza intègre les équipes de SOS Auto pour un stage et il est finalement embauché en 2009.
Mais pour les personnes qui ont eu moins de chance que le jeune homme, qui n’ont jamais travaillé, aucune disposition n’est prévue dans la loi pour les aider. « L’État s’engage seulement à payer les trois quarts du salaire minimum aux personnes ayant dû abandonner leur travail à cause de leur handicap », explique Sylvana Lakkis.

Convention approuvée mais pas ratifiée
Du point de vue légal, la directrice du LPHU considère que la loi 220-2000 n’est pas suffisante. « En 2007, le gouvernement libanais a approuvé la Convention internationale sur le droit des personnes handicapées, mais le Parlement ne l’a toujours pas ratifiée, alors que la plupart des pays arabes et africains l’ont fait », regrette Mme Lakkis. Selon elle, si cette convention venait à être ratifiée, elle obligerait l’État à revoir toutes ses politiques sur le handicap et à mettre en place un plan concret pour modifier la loi. Pour arcenciel, le plus urgent aujourd’hui est un gouvernement qui comprenne l’essence de la loi déjà existante et qui mette en place une procédure de contrôle efficace de l’application de cette loi.


En attendant qu’un miracle se produise (ou pas !), plusieurs associations œuvrent de leur côté auprès des citoyens et des entreprises pour les sensibiliser au monde du handicap. « Notre action se fait à plusieurs niveaux, explique la directrice de la LPHU, cela fait huit ans que nous travaillons directement auprès du secteur privé et nous collaborons aujourd’hui avec plus de 200 entreprises ». La ligue mise sur la sensibilisation, en proposant des formations aux employés et aux directeurs sur la façon d’intégrer une personne handicapée dans les équipes. « Nous signons ensuite un accord avec l’entreprise, qui s’engage à adapter ses bâtiments et assurer une bonne intégration de la personne handicapée », poursuit Sylvana Lakkis.


Joseph Ajaka, le directeur de SOS Auto, est passé par là. « J’ai fait la connaissance d’arcenciel au milieu des années 1990 pour des raisons personnelles et j’ai décidé de collaborer avec eux en formant puis embauchant une personne handicapée. Aujourd’hui, je collabore avec la LPHU qui, dès que j’ai une place vacante, m’envoie plusieurs CV de personnes qualifiées et formées », indique M. Ajaka. « Il faut que les entreprises comprennent que ce n’est pas de la charité que nous faisons et qu’un handicap physique n’altère en rien la productivité de mes employés », insiste-t-il. « J’ai seulement modifié l’entrée et les toilettes de mon entreprise, mais ce sont des coûts infimes qui en valent la peine », assure M. Ajaka.
Sylvana Lakkis cite une étude qui affirme que si tous les handicapés au Liban travaillaient, le PIB du pays augmenterait d’un tiers. Inutile de dire qu’on est encore loin du compte car les obstacles demeurent nombreux et les priorités ne sont pas toujours sociales dans un pays qui vit au rythme des conflits politiques internes et régionaux.

 

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commentaires (1)

Faute de statistiques fiables il faudra faire beaucoup d 'efforts pour aider les personnes handicapées à trouver un bon travail et un bon salaire aussi . Antoine Sabbagha

Sabbagha Antoine

13 h 36, le 14 septembre 2013

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Commentaires (1)

  • Faute de statistiques fiables il faudra faire beaucoup d 'efforts pour aider les personnes handicapées à trouver un bon travail et un bon salaire aussi . Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    13 h 36, le 14 septembre 2013

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