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Liban - Environnement

Décharge de Naamé : l’indésirable voisine ne fermera pas ses portes de sitôt

La plus grande décharge sanitaire du Liban provoque de nombreux remous dans la région où elle est située. Ce site élargi à plusieurs reprises ne pourra être remplacé avant quelques années au moins, assurent les officiels.

On l’appelle la «décharge de Naamé», mais elle aurait dû porter le nom de Ebey-Aïn Drafil, puisqu’elle se trouve pratiquement en entier dans le cadre de cette municipalité. Cette décharge sanitaire accueille les déchets de Beyrouth et du Mont-Liban, la région la plus peuplée du pays, depuis l’adoption en 1997 de ce qui a été appelé «plan d’urgence pour la gestion des déchets». Le bien nommé plan a fait suite à la fermeture du dépotoir sauvage de Bourj Hammoud, mais malgré le terme «d’urgence» qui le qualifie, il est toujours en vigueur 16 ans après son entrée en application.


Quelque 1 800 tonnes d’ordures ménagères (d’un total de 2 300, source SOER, PNUD/Ecodit/MOE) sont enfouies quotidiennement dans ce site géré par une société privée, Averda, laquelle, de par son contrat avec l’État, se charge également du balayage, de la collecte et du transport des déchets, sous l’égide du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR). La décharge a déjà connu deux extensions depuis son existence. La dernière décision du Conseil des ministres en la matière a fixé un délai jusqu’à janvier 2014, renouvelable un an (pratiquement, la date limite de l’exploitation de la décharge, avant qu’il n’y ait une nouvelle décision, est janvier 2015). Selon les officiels interrogés, aucune nouvelle expropriation de terrains n’est prévue.


Au fil des années, la décharge a souvent fait parler d’elle, notamment pour ses perpétuels agrandissements, rendus inévitables par l’incapacité des gouvernements successifs à trouver une alternative. Entre-temps, les déchets enfouis se trouvent de plus en plus proches des habitations, et rendent, selon les habitants de Ebey-Aïn Drafil et d’autres villages comme Baawerta ou Aramoun, la vie insupportable aux riverains. «Les ordures arrivent à la décharge enveloppées de plastique et compressées, souligne Ajwad Ayache, un des environnementalistes actifs au sein du Rassemblement pour la fermeture de la décharge de Naamé. Les enveloppes en plastique sont ouvertes sur place. Le processus d’enfouissement, qui implique un retournement du sol, est à l’origine d’odeurs si insupportables qu’elles provoquent, quand le vent les amène vers nous, des cas de nausées et de vomissements chez les enfants. Je connais des familles originaires de la région qui évitent désormais de se rendre à leur maison au village de peur de subir ces désagréments.»


Comme en chœur, Ajwad Ayache et Ghassan Hamzé, président du conseil municipal de Ebey-Aïn Drafil, dénoncent la «bombe à retardement» qu’est la décharge, évoquant les «12000 mètres cubes de gaz méthane qui s’en dégagent par jour». «Un chauffeur de camion de mes amis, qui se rend fréquemment à la décharge, me parle d’une pression qui semble venir du sol, et qui fait tanguer son véhicule quand il se déplace sur la montagne d’ordures », ajoute M. Ayache.


«Ce gaz incolore est encore bien plus dangereux que les odeurs incommodantes, renchérit M. Hamzé. Il est beaucoup plus nocif que le CO2 (gaz carbonique) et nous le respirons tous les jours ! Nous constatons des taux anormalement élevés de maladies graves, tels les cancers, depuis que cette décharge est établie près de chez nous.»
Bassam Farhat, chargé du dossier des déchets ménagers au sein du CDR, rejette ces accusations en bloc. «La décharge a été construite et fonctionne suivant les standards internationaux, explique-t-il. Le sol est recouvert d’une membrane qui protège les eaux souterraines et empêche l’infiltration de lixiviat (liquide dégagé par les déchets organiques) dans les nappes phréatiques. Le gaz méthane qui se dégage des ordures est brûlé entièrement par le biais d’un système de conduites (les environnementalistes assurent qu’il ne l’est pas entièrement, d’où leurs protestations). Le lixiviat est collecté dans des tuyaux et traité dans une usine de traitement située à même la décharge. Les déchets sont traités et couverts de terre quotidiennement.»


Pourquoi les riverains se plaignent-ils donc autant de désagréments? «Il est compréhensible que personne ne veuille d’une décharge près de chez lui, explique-t-il. Mais d’un autre côté, on ne peut affirmer que la décharge est responsable de maladies graves. Aucune étude officielle ne vient corroborer ces dires. Nous effectuons d’ailleurs régulièrement des tests pour surveiller la qualité de l’eau souterraine et de surface autour de la décharge. Le ministère de l’Environnement a le droit absolu de superviser le site quand il le veut. »

 


Des rues inondées de déchets ?
Même s’il pense que la décharge fonctionne de manière correcte et qu’elle ne peut être responsable d’une recrudescence de maladies dans la région, comme le prétendent les habitants, Bassam Sabbagh, président du département de l’environnement urbain au ministère de l’Environnement déplore les nombreux ratages qui ont caractérisé ce dossier. «Une partie du problème vient du fait que le plan d’urgence devait assurer l’établissement d’une autre décharge, ce qui n’a pas eu lieu, d’où le fait que la décharge de Naamé a été saturée une première fois en cinq ans plutôt que dix, explique-t-il. En 2007-2008, un plan de substitution a été mis au point par le ministère de l’Environnement, fondé sur la construction d’une série de décharges dans plusieurs régions. Ce plan s’est heurté à un refus systématique dans toutes les régions proposées, par des populations découragées par l’expérience de Naamé.»


Résultat ? « Nous n’avons pas d’alternative prête aujourd’hui, souligne M. Sabbagh. Je comprends parfaitement la fatigue des habitants de Ebey-Aïn Drafil, et nous sommes encore plus pressés qu’eux de voir cette décharge fermée, parce qu’on ne peut y poursuivre l’enfouissement à l’infini. Mais le jour où la décharge sera fermée sans plan alternatif, les déchets inonderont les rues dans le jour qui suit. Que ferons-nous alors des 2300 tonnes qui y sont enfouies actuellement?»


Autant Bassam Sabbagh que Bassam Farhat assurent qu’une vision de l’alternative existe pourtant, sous la forme d’un plan fondé sur l’adoption d’une technique d’incinération avec génération d’électricité, appelée communément «Waste to Energy», une technique contestée par nombre d’environnementalistes (voir encadré). Ce concept a été approuvé par le Conseil des ministres, qui a chargé le CDR et le ministère de l’Environnement de préparer un plan, ce qui a été fait. Or cette nouvelle stratégie tarde à se mettre en place, ce qui retarde par le fait même la fermeture de la décharge. « Cette stratégie, dont les grandes lignes sont prêtes, a été adoptée par une commission ministérielle formée à cet effet, explique Bassam Sabbagh. Mais alors que le projet devait être examiné en Conseil des ministres, le gouvernement a démissionné.»


«Il faut savoir qu’en vue de construire les quelque quatre incinérateurs dont on aura besoin pour faire appliquer cette stratégie, compte tenu des procédures nécessaires, il faudra quatre ans au moins, souligne Bassam Farhat. Durant tout ce temps, la décharge devra être maintenue.»

 


Une campagne civile « par tous les moyens pacifiques »
Autant dire, donc, que la fermeture de la décharge n’est pas pour demain. Malgré tous ces arguments officiels, les habitants ne l’entendent pas de cette oreille. «Nous avons assez souffert, affirme Ajwad Ayache. Le retard dans la mise en place d’une alternative est leur problème, nous œuvrons pour la fermeture de cette décharge.» En effet, les appels pour sa fermeture se multiplient, non seulement de la part de la société civile et des municipalités, mais aussi de la part de certains hommes politiques comme le député de la région, Akram Chehayeb (nos efforts pour obtenir un entretien avec lui autour de cette affaire sont restés vains). Mais l’environnementaliste n’y croit pas trop. «Ce n’est que de la poudre aux yeux, dit-il. Aucun des hommes politiques ne cherche réellement à fermer cette décharge, placée sciemment dans une région, Aïn Drafil, dont les habitants avaient été déplacés par la guerre, et qui ne peuvent plus y retourner actuellement en raison des déchets. Cette décharge génère, avec le prix élevé de la tonne, quelque 400000 dollars par jour (voir encadré sur le prix de la tonne).»


Le président du conseil municipal de Ebey-Aïn Drafil pense lui aussi que cette affaire est lucrative, mais certainement pas pour sa localité. «À l’origine, à la création de cette décharge en 1997, le décret 1917 avait stipulé que les municipalités sur les terrains desquelles se trouverait le site auraient droit à de multiples avantages financiers et autres, explique Ghassan Hamzé. Cet article du décret n’a jamais été appliqué, et il est tombé dans l’oubli. En 2008, la décision ministérielle 1 117 a accordé à notre municipalité, étant donné qu’elle accueille le site, six dollars par tonne de déchets enfouis. De 2008 à fin 2011, la somme, qui devait nous être versée de la Caisse autonome des municipalités, s’élève donc à près de 19 millions de dollars! Non seulement nous n’avons jamais touché un centime, mais on nous fait payer, comme à d’autres, notre part du prix du traitement!»


Les contacts avec les officiels, notamment avec le ministère de l’Intérieur et des Municipalités, n’ayant rien donné, le conseil municipal a présenté un recours auprès du Conseil d’État qui a pris une décision en sa faveur, recommandant de saisir 2,6% de l’argent de la Caisse des municipalités afin de lui payer son dû. Là encore, silence total, inaction sur toute la ligne. «Cela est injuste pour nous, qui subissons tous les désagréments de la décharge, insiste Ghassan Hamzé. Les autres municipalités ne sont pas dans une bien meilleure posture: la part de la Caisse des municipalités consacrée au traitement des déchets est passée de 40 à 80%!» (voir encadré).


Au ministère de l’Environnement, Bassam Sabbagh comprend le ressentiment des responsables municipaux, mais soupçonne qu’il s’agit là de la véritable raison des appels à la fermeture de la décharge. Ghassan Hamzé dément énergiquement. «Notre principal objectif est de fermer cette décharge dont l’impact est si désastreux sur les habitants, dit-il. Mais nous voulons également toucher ce qu’on nous doit depuis 2008, afin de réaliser des projets de développement dont la localité a désormais besoin.»


La campagne civile se poursuit donc. Autant Ghassan Hamzé qu’Ajwad Ayache affirment que tous les moyens de protestation civile et pacifique seront mis à l’œuvre.

 

Pour mémoire

« La décharge de Naamé, c’est fini ! », affirme Chehayeb

 

Le Rassemblement pour la fermeture de la décharge de Naamé redoute un nouvel élargissement du site

 

 

Repère

Achevées, en construction, pas connectées... Etat des lieux des stations d'épuration au Liban

 

 

On l’appelle la «décharge de Naamé», mais elle aurait dû porter le nom de Ebey-Aïn Drafil, puisqu’elle se trouve pratiquement en entier dans le cadre de cette municipalité. Cette décharge sanitaire accueille les déchets de Beyrouth et du Mont-Liban, la région la plus peuplée du pays, depuis l’adoption en 1997 de ce qui a été appelé «plan d’urgence pour la gestion des...

commentaires (3)

La décharge de Naamé n'est qu 'un prototype du Liban réduit en poubelle géante . Antoine Sabbagha

Sabbagha Antoine

13 h 29, le 09 septembre 2013

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Commentaires (3)

  • La décharge de Naamé n'est qu 'un prototype du Liban réduit en poubelle géante . Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    13 h 29, le 09 septembre 2013

  • ÉVIDEMMENT !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 50, le 09 septembre 2013

  • A PROPOS... QU'EN EST-IL DEVENU DES DÉCHÊTS RADIOACTIFS ITALIENS ET AUTRES ENTERRÉS DANS LES MONTAGNES DURANT LA GUERRE CIVILE ?

    SAKR LOUBNAN

    09 h 45, le 09 septembre 2013

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