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À La Une - En dents de scie

Papa ? C’est où, Dahyé ?

Trente-troisième semaine de 2013.


À lui seul, ce mot est une boussole (pervertie). La banlieue ; Dahyé en dialecte. Ni nord, ni est, ni ouest (c’est la mer) : la banlieue de Beyrouth est nécessairement, férocement sud. Dahyé. Cette banlieue-là est au moins bipolaire, dans son être-au-monde comme dans la perception que les étrangers à/de Dahyé, les autres Libanais, ont d’elle. À la fois une des zones du territoire national qui a le plus souffert, dans sa chair, dans son âme, et un épitomé hallucinant de non-droit ; une enclave hors les lois, naturellement hors la loi, boursouflée jusqu’à la moelle d’illégalité(s), presque illégitime. Le tout grâce aux mauvais soins d’un Hezbollah arroseur arrosé, dont les lieutenants en arrivaient à supplier, à l’époque, un Achraf Rifi, décidément de plus en plus irremplaçable, pour qu’il y envoie ses hommes. Pour qu’il y nettoie tous ces miasmes que le Hezb n’arrivait même plus à balayer. Comme n’importe quel périmètre, Gattaca ou Elysium, Dahyé repousse et fascine les autres. Répugnante d’arrogance, tellement d’arrogance; répugnante parce que forteresse inexpugnable où la lutte des classes, toute relative soit-elle en 2013, n’existe même plus : (très) pauvres et (très) riches sont alliés à vie pour la défendre et défendre leurs privilèges ; répugnante parce que vampire gloutonne et xénophobe. Fascinante parce que tout y existe, tout s’y trouve, tout se négocie, tout s’échange, tout s’y trafique, des drogues les plus exotiques aux contrefaçons les plus ingénieuses en passant par les trocs les plus surprenants ; fascinante parce que grouillante, magnifique de vie(s).


La voilà aujourd’hui ravagée de nouveau. De nouveau à cause de Hassan Nasrallah et de ses maîtres à Téhéran. À cause de leurs choix : de l’aventurisme meurtrier contre Israël jusqu’à la défense viscérale des intérêts du gang Assad. Les hommes politiques libanais, dans leur quasi-totalité, ont été d’une hypocrisie et d’une bêtise illimitées sur ce coup : non, cent et une fois non, ce n’est pas tout le Liban qui était visé par le carnage de Roueiss, même pas Dahyé ; oui, mille fois oui, c’était le Hezbollah et uniquement le Hezbollah qui l’était. Dans sa multiplicité, le Liban, tous les Libanais ont pleuré avec les mères, les enfants, les vieillards victimes de la barbarie de ce jeudi d’Assomption noir ; tous ont été horrifiés par les tirs de joie dans quelques quartiers, exactement comme ils l’avaient été lorsque les baklavas se distribuaient à foison dans certaines rues de la banlieue sud après les attentats contre Gebran Tuéni, Pierre Gemayel ou Wissam el-Hassan ; tous étaient profondément, définitivement tristes.


Mais encore une fois, et cette fois-là il a repoussé toutes ses limites, tous ses Rubicon rouge sang, M. Nasrallah s’en tamponne. Matamore comme rarement, le patron du Hezbollah a effectivement été plus loin que Haïfa : moralement, il a annoncé aux habitants de Dahyé qu’ils continueront d’enterrer à tout va ; politiquement, il a dynamité les quelques rachitiques valeurs républicaines qui existent encore. Il a joué hier un bien mauvais Shakespeare, entre Coriolan et Titus Andronicus, néronien jusqu’au turban.


On lui reconnaîtra pourtant une bien inédite progression : visiblement, M. Nasrallah prend de moins en moins les Libanais pour d’infinis crétins : pour une fois, ce n’est pas Israël qu’il a accusé, mais les takfiristes. Sauf qu’il l’a fait de la pire manière qui soit : en niant leur identité alors que les tensions sectaires n’ont jamais été aussi terrifiantes : ce ne sont pas des sunnites, le patron du Hezb se met toute une communauté sur le dos, de Saïda au Akkar en passant par Beb el-Tebbané et Verdun. Mais M. Nasrallah s’en tamponne : guide suprême du mini (maxi ?)-État hezbollahi, ex-primorésistant superbe et généreux reconverti en chef de milice/mercenaires, il a fait de Dahyé sa capitale, son vaisseau amiral prêt à tous les combats. Là-bas et ici. Et de ses habitants ses sujets. Prêts à tous les martyres. Les plus nobles comme les plus stupides.


Jusqu’à quand ? Jusqu’à ce que les linceuls soient plus nombreux que les pétrodollars iraniens et que la communauté chiite se décide, enfin, à se rebeller ?


C’est inouï.

 

 

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