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Nos Lecteurs ont la Parole

Honte et pénurie d’hommes d’État

Par Antoine MESSARRA
Aujourd’hui, dans une ambiance de dégoût, de rage, de tristesse, de banalisation de valeurs républicaines élémentaires et de chantage sécuritaire, la tendance chez des intellectuels et constitutionnalistes en chambre, des experts en manipulation et des Libanais bluffés, est de considérer qu’il y a une crise des « institutions » !
On revient ainsi à la litanie du régime politique confessionnel, de l’accord d’entente nationale dit de Taëf et, en termes plus savants, à des causes, ou plutôt aux causes dans l’absolu, « structurelles » relatives à la nature du « système » libanais.
On dit que les institutions valent ce que valent les hommes. La notion même d’institution comporte trois composantes : le projet, l’organisation qui garantit l’efficience et la continuité, et le leadership qui assure la direction. Sans leadership, toute institution devient squelette sans âme et bureaucratie au service de ceux qui en profitent en tant que rémunérations et bénéfices.
Face à des faits flagrants d’opportunisme, de subordination, de clientélisme et de servitude, parmi des professeurs d’université, des juristes subordonnés qui écoutent docilement des propos injurieux et vulgaires, des magistrats, des chefs religieux..., tous censés être indépendants et dont certains bénéficient même de l’immunité, c’est la pénurie d’hommes d’État aujourd’hui au Liban qui est la plus manifeste. En parallèle, des journalistes cogitent et ratiocinent dans des débats télévisés et servent ainsi de tribune à des opportunistes et manipulateurs.
Le Libanais a des qualités de culture, de résistance, d’adaptation, d’ouverture, d’initiative, mais il n’a pas le sens du public, c’est-à-dire de l’État, de la chose publique, de l’intérêt général. Tout se dilue, se lamine dans une vision accommodante de la vie. On pratique la tactique, même sur des problèmes fondamentaux de souveraineté et d’État de droit. Des proverbes du terroir traduisent cette propension : Ma’lech, baynâtna, shû fihâ, masshîha, mâ tehmul al-sullum bi-l-‘ard... (Ça ne fait rien, Entre nous, Il n’y a rien, Fais passer, Ne porte pas l’échelle de travers...).
Avec tout autre système politique, rien ne changera, à défaut d’hommes d’État en tant que leviers de gouvernance et de changement. On se gargarise d’une approche légaliste des institutions, par paresse intellectuelle et pour se donner bonne conscience. Les institutions font les hommes ? Ou ce sont les hommes, aussi, qui font les institutions ?
Ceux qui ont vécu l’amertume, et même la torture, dans des institutions publiques, au plus haut niveau au Liban, savent à quel point le sens du public est étranger à la mentalité du Libanais moyen et même du soi-disant responsable. À travers deux programmes : « La chose publique dans la vie quotidienne locale au Liban » et « La gouvernance
locale », à la Fondation libanaise pour la paix civile permanente (2008-2013), nous avons été ébahis par le fait qu’il est plus aisé d’escalader l’Everest que de convaincre les habitants d’un petit quartier de créer un comité volontaire de quartier pour améliorer collectivement la qualité de vie en conformité certes avec les règlementations municipales.
Charles de Gaulle, jeune officier, le soulignait aux jeunes diplômés à l’Université Saint-Joseph, le 13 juillet 1931 : « Il vous faudra créer et nourrir un esprit public. » Louis-Joseph Lebret, en 1961, concluait son rapport en deux volumes sur le développement du Liban, à la demande du président Fouad Chéhab : « Ce qui manque le plus au Liban, plus que l’eau, plus que les routes, plus que l’électricité, ce sont les équipes de gens totalement voués au bien public. » L’Exhortation apostolique du pape Jean-Paul II en 1997 soulignait : « Plus qu’une nouvelle organisation, ce qu’il faut promouvoir, c’est une nouvelle mentalité... » (en italique dans le texte !).
Le Liban vit aujourd’hui les moments les plus tristes de son histoire pour sa démocratie avec des tactiques sur l’essentiel, la banalisation de principes élémentaires, la transformation de violations flagrantes du droit, dont des blocages, des serments professionnels bafoués, des abus de minorité, des dénis de justice, des sabotages institutionnels..., en actes héroïques, publiquement débattus et ratiocinés dans des médias télévisés et par des journalistes complices ou dupes.
L’homme politique, selon la formule de James Freeman Clarke, cherche à gagner les prochaines élections alors que l’homme d’État songe à l’intérêt des prochaines générations. Il y a aujourd’hui trop, trop de serpillières dans la vie dite publique. Talleyrand écrit à propos d’un politique charlatan : « Il y a ceux qu’il craint et ceux qu’il utilise, les ennemis et les serpillières. »
Le sursaut national est désormais éthique, avec des valeurs fondamentales basiques, simples et élémentaires. L’opportunisme, la subordination, la servitude, la banalisation de violations avec notamment des abus de minorité et des dénis de justice... ont atteint le niveau le plus bas de la honte à l’échelle de ce qu’on appelle la nation.
Où est le Liban de Gibran Khalil Gibran, Riad el-Solh, Béchara el-Khoury, Charles Malek, Saëb Salam, Hussein Oueini, Fouad Chéhab, l’imam Moussa el-Sadr, Edmond Naïm, Edmond Rabbath, Laure Moghaïzel, Joseph Moghaïzel, Georges Frem, Joseph Zaarour, Ghassan Tuéni... ? Le courage et l’éthique ont-ils déserté le Liban ? Ça suffit de cogiter sur le changement des institutions quand il y a pénurie d’hommes d’État.

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil
constitutionnel
Professeur à l’USJ
Aujourd’hui, dans une ambiance de dégoût, de rage, de tristesse, de banalisation de valeurs républicaines élémentaires et de chantage sécuritaire, la tendance chez des intellectuels et constitutionnalistes en chambre, des experts en manipulation et des Libanais bluffés, est de considérer qu’il y a une crise des « institutions » ! On revient ainsi à la litanie du régime politique...

commentaires (2)

J’ai beaucoup apprecie votre cri du cœur publie dans ,l’Orient Le Jour d’hier sous le titre : Honte et pénurie d’hommes d’État. Parmi les diverses citations que vous mentionnez, celles qui m’nt plu le plus étaient les recommandations de l’officier Charles de Gaulle aux jeunes Libanaise et celle de l’Abbe Lebret. Que puis-je dire de plus, cher docteur Messarra, sur un sujet, qui a alimente, durant des années, la plupart de vos écrits et de vos discours ? Et pourtant, permettez-moi quand même d’ajouter un léger grain de sel à votre splendide éloquence. Les termes « chose publique », « esprit public », « bien public » devraient être clairement expliques aux citoyens Libanais de tous âges et de toutes confessions depuis les bancs de l’école jusqu'à l’âge de la retraite. Seul un gouvernement qui prendrait sérieusement en compte cette réalité est capable de gérer ce pays efficacement. A condition, bien tendu, que les citoyens partagent avec lui les mêmes principes. Chaque parti politique possède son propre entendement du bien public mais ils devraient, en définitive, tous prendre en considération les désirs et les aspirations de la majorité de leurs concitoyens. Ceci ne pourrait être réalisé qu’a travers un véritable Dialogue National et non pas le dialogue de sourd

George Sabat

12 h 24, le 08 août 2013

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Commentaires (2)

  • J’ai beaucoup apprecie votre cri du cœur publie dans ,l’Orient Le Jour d’hier sous le titre : Honte et pénurie d’hommes d’État. Parmi les diverses citations que vous mentionnez, celles qui m’nt plu le plus étaient les recommandations de l’officier Charles de Gaulle aux jeunes Libanaise et celle de l’Abbe Lebret. Que puis-je dire de plus, cher docteur Messarra, sur un sujet, qui a alimente, durant des années, la plupart de vos écrits et de vos discours ? Et pourtant, permettez-moi quand même d’ajouter un léger grain de sel à votre splendide éloquence. Les termes « chose publique », « esprit public », « bien public » devraient être clairement expliques aux citoyens Libanais de tous âges et de toutes confessions depuis les bancs de l’école jusqu'à l’âge de la retraite. Seul un gouvernement qui prendrait sérieusement en compte cette réalité est capable de gérer ce pays efficacement. A condition, bien tendu, que les citoyens partagent avec lui les mêmes principes. Chaque parti politique possède son propre entendement du bien public mais ils devraient, en définitive, tous prendre en considération les désirs et les aspirations de la majorité de leurs concitoyens. Ceci ne pourrait être réalisé qu’a travers un véritable Dialogue National et non pas le dialogue de sourd

    George Sabat

    12 h 24, le 08 août 2013

  • Plutôt un manque de visionnaires. Les ""hommes d’Etat"" au Liban n'étaient plus raisonnables que d’autres communs des mortels… (guerre depuis 40 ans) De toute façon le manque est cruel !... ""Tout se dilue, se lamine dans une vision accommodante de la vie. On pratique la tactique, même sur des problèmes fondamentaux de souveraineté et d’État de droit. Des proverbes du terroir traduisent cette propension : Ma’lech, baynâtna, shû fihâ, masshîha, mâ tehmul al-sullum bi-l-‘ard... (Ça ne fait rien, Entre nous, Il n’y a rien, Fais passer, Ne porte pas l’échelle de travers...)."" Telle est notre "libanitude" (un terme qu’il faut introduire dans le dictionnaire, après négritude et belgitude). Pardon pour ce mot qui prête à polémique, par sa connotation péjorative, tant qu’il regroupe nos travers et nos défauts. Un jour, sociologue et juriste et ... etc, se pencheront sur notre ""identité"" pour effectuer une recherche sérieuse, avec bien sûr d’importants crédits pour mener ce travail à terme … mais sans trop d’illusion quand on a ""trop de serpillières dans la vie dite publique"", pour s’essuyer le …

    Charles Fayad

    11 h 39, le 07 août 2013

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