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À La Une - Interview

Eichhorst à « L’OLJ » : L’UE refuse fermement toute menace à la sécurité de son territoire

Dans les propos réfléchis et sereins de l’ambassadrice de l’UE Angelina Eichhorst, soucieuse d’expliquer – et non de justifier – la décision de l’UE d’inclure sur sa liste noire la branche militaire du Hezbollah, il se dégage un certain optimisme par rapport aux relations futures avec le parti chiite. Elle trouve d’ailleurs « intéressante » une remarque, en passant, de « L’Orient-Le Jour » selon laquelle si le Hezbollah décidait de recouvrer une légitimité internationale, son premier recours serait sans doute l’UE. Dans une interview accordée à « L’Orient-Le Jour », Mme Eichhorst fait le point au sujet de ce dossier épineux.

La chef de la Délégation de l’Union européenne Angelina Eichhorst. REUTERS/Sharif Karim

Quelle est la position de l’UE au Liban aujourd’hui, après la décision d’inscrire la branche armée du Hezbollah sur la liste noire de l’UE ?
Cette position n’a pas changé. Nous continuons d’appuyer tous les partis politiques au Liban. Notre assistance technique et financière au pays n’a jamais été plus forte ; tous les États membres de l’UE sont les premiers partenaires commerciaux du Liban ; l’UE contribue au tiers des troupes de la Finul. Le partenariat avec le Hezbollah reste inchangé, en dépit des interprétations différentes données à la décision de l’UE. C’est malheureux, par exemple, de lier cette décision au dossier ministériel : nous tenons à la formation d’un cabinet qui soit à la hauteur des aspirations du peuple, et ce ne sont pas des paroles. Je ne comprends pas, par ailleurs, ceux qui critiquent nos rencontres avec les responsables du Hezbollah. Rien n’est jamais blanc ou noir.

Vous semblez pourtant effectuer, depuis quelques jours, une tournée de justification, voire d’excuses, auprès des responsables libanais et des cadres du Hezbollah...
Je ne m’excuse pas du tout pour la décision ni ne la justifie. Je ne suis pas d’accord avec la déclaration du responsable des affaires internationales du Hezbollah Ammar
Moussaoui, qui a affirmé à l’issue de notre entretien qu’on ne peut condamner d’une main et tendre l’autre pour serrer celle du Hezbollah. Il faut comprendre que la décision prise est extrêmement importante et mon rôle est d’en transmettre l’essence, à savoir le refus ferme de toute menace à la sécurité du territoire européen. Il ne s’agit même pas de justifier cela, mais de l’expliquer, d’autant que cette décision a suscité plusieurs questions chez nos partenaires libanais, qu’il importe à l’UE d’écouter. Le Hezbollah, à l’instar des autres parties, a son point de vue propre sur la question. Il est important de recueillir tous les points de vue afin de les transmettre à Bruxelles, tout comme votre ambassadeur auprès de l’UE effectue une tournée auprès des États membres pour leur transmettre l’opinion des autorités libanaises sur la question.

Un membre du Washington Institute for Near East Policy, proche des droites israélienne et américaine, qui, pour tenter de convaincre les autorités françaises de qualifier le Hezbollah de terroriste, a proposé le découplage entre branches militaire et politique. « Un découplage peu effectif dans la réalité, mais, selon lui, “un moyen d’envoyer un message à une organisation très rationnelle et capable de changer de stratégie lorsque le coût est plus élevé que le bénéfice” » (Le Monde, 29 mars 2013 – « Les enquêtes sur le Hezbollah relancent le débat sur son caractère terroriste »). Cette interprétation est-elle de mise ?
Vous savez, les liens de l’UE sont très forts avec le Liban. On connaît très bien le pays à tous les niveaux depuis des années. Le Liban a pris une décision il y a quelques années de donner une place stratégique au Hezbollah sur le plan politique et le Hezbollah est un parti politique très important au Liban. Nous reconnaissons cela. Ce n’est pas de loin qu’on essaie de comprendre ce qui se passe. On reconnaît ce partenariat stratégique.
En revanche, ce qu’on dénonce, c’est le terrorisme. Notre message est politique et s’adresse contre le terrorisme sur le territoire européen. Devant un attentat ou une tentative d’attentat sur le territoire européen, vous ne pouvez pas me demander de me taire et de ne rien dire, excusez-moi. Il s’agit d’un attentat sur le territoire européen, que rien ne justifie.

Le Hezbollah tente de banaliser cette décision devant son public, ce qui prouverait qu’il est conscient de ses effets. Vos entretiens respectifs avec Ammar Moussaoui, et surtout le ministre d’État Mohammad Fneich ont-ils permis de tracer l’ébauche d’une éventuelle issue à la tension actuelle ?
C’est déjà important de se voir, d’expliquer la décision, et de se revoir à nouveau. C’est d’ailleurs cela la diplomatie. Notre décision a été dure à prendre et je comprends les réactions qu’elle ait pu déclencher. Je peux néanmoins vous assurer que ces entretiens avec M. Fneich, avec qui nous lie une coopération de longue date au niveau de la réforme administrative, ainsi que M. Moussaoui m’ont permis de collecter des informations utiles. Nous avons beaucoup d’éléments à mettre en commun, surtout que notre position par rapport au Hezbollah en tant que parti politique n’a pas changé. Notre dialogue est continu et stratégique, car c’est le Liban qui a fait le choix de travailler stratégiquement avec le Hezbollah. Je ne peux toutefois vous révéler la teneur des idées échangées avec mes interlocuteurs.

La décision de l’UE peut-elle être interprétée comme une ultime occasion pour le Hezbollah de renoncer à ses armes, comme l’ont relevé des observateurs proches du 14 Mars ?
C’est une bonne question. Il existe beaucoup de tentatives et d’efforts, sur le plan libanais, de faire avancer le dialogue national et de mettre en application la déclaration de Baabda – qui ne parle pas de résistance d’ailleurs – ainsi que la stratégie de défense nationale. Nous tentons de maintenir, avec encore plus d’engagement, l’appui à nos partenaires libanais sur ce plan. Ainsi, l’UE, et pour la première fois dans l’histoire de nos relations avec le Liban, a fourni ouvertement une assistance à l’armée libanaise. Bruxelles a reçu il y a deux semaines une délégation de l’armée libanaise dans le cadre de l’aide européenne pour une armée forte et un mécanisme de défense efficace du territoire, sous l’aile des institutions démocratiques.

Vous aviez dit dans une précédente entrevue qu’on ne peut mettre sur un pied d’égalité terrorisme et résistance. Or les actes terroristes que vous dénoncez se font au nom de la résistance.
L’Europe a une vue très spécifique sur le droit d’un État de défendre son territoire. Les États membres de l’UE ont toujours défendu ce droit, surtout dans les résolutions relatives au Liban. Ne me demandez donc pas à moi, représentante de l’Europe, de mettre ces deux mots, terrorisme et résistance, dans une même phrase. La résistance, c’est la résistance, différente du terrorisme sur le territoire européen.

Même s’il s’agit d’attentats contre des intérêts israéliens en Europe ?
Je ne représente pas les intérêts israéliens. Je représente les intérêts européens, touchés par des attentats très puissants (comme ceux de Londres et de Madrid par ailleurs) et que l’on ne peut accepter.

L’Europe se sent-elle menacée aujourd’hui ? Y a-t-il, en plus de Bourgas et de Chypre, des attentats déjoués, non révélés au public, et susceptibles de justifier le timing de la décision ?
Nos experts policiers et juridiques savent certainement très bien s’il existe ou non une pareille menace. Mais je ne peux vous fournir des informations que je ne détiens pas. En outre, les deux cas bien connus de Bulgarie et de Chypre ont été suivis d’investigations et de nombreuses discussions et réunions d’experts au sein de l’Union européenne ayant abouti, au final, à notre décision.

 

(Lire aussi : Attentat de Bourgas : Sofia identifie les deux complices présumés liés au Hezbollah)



Vous insistez sur le fait que votre décision ne vise pas des personnes spécifiques ou identifiées et vous démentez l’existence d’une liste de noms concernés par la décision de l’UE, dont Moustapha Badreddine, l’un des quatre accusés dans l’affaire Rafic Hariri.
Effectivement, le règlement d’exécution de la décision du Conseil de l’Europe, mis en ligne depuis ce matin (hier) en guise de notification, n’a inséré aucun nouveau nom dans la liste des personnes et entités qualifiées de terroristes par l’Europe. Seule l’aile militaire du Hezbollah a été insérée dans la liste des entités terroristes.

Comment dès lors mettre en pratique la décision ? Le gel des avoirs par exemple serait-il purement théorique ?
Jamais. Mais les mesures prévues s’appliqueront aux personnes qui seront éventuellement identifiées, par les services policiers et judiciaires des États membres respectifs, comme appartenant à la branche militaire du Hezbollah. Je rappelle que l’UE définit cette branche par les deux instances qui la composent : le conseil du jihad et le comité de la sécurité extérieure.

Certains observateurs trouvent saugrenue la distinction établie entre branche militaire et branche politique, que ni les États-Unis, ni le Hezbollah, ni même la Grande-Bretagne ne reconnaissent.
Beaucoup le disent, mais cette distinction est le résultat de l’analyse de l’Union européenne. Elle a pu être dégagée sur la base des informations que nous détenons.

La décision de l’UE viserait-elle à compenser l’échec diplomatique européen en Syrie ?
La décision est entièrement liée à l’attentat de Bourgas. Je vous fais remarquer toutefois que les photos des deux suspects rendues publiques par les autorités bulgares ne concernent que celles-ci.

 

(Repère : Liste de l'UE des organisations terroristes : mode d'emploi)



Les Casques bleus européens sont-ils menacés ?
Je suis toujours en contact avec les responsables de la Finul. La décision ne devrait pas avoir un impact négatif sur ces forces qui, il faut le rappeler, ne sont pas européennes mais internationales.

Quel impact sur les citoyens libanais, surtout pour l’obtention de visas pour les pays de l’UE ?
Dire non au terrorisme ne veut pas dire que tous les Libanais sont terroristes. Nous refusons le terrorisme sur le territoire européen. Ceux qui veulent le comprendre le comprendront. Et notre décision ne couvre pas du tout les visas pour l’Europe. Nous tenons en tout cas des discussions régulières avec les États membres, en fonction de leurs règles respectives de délivrance de visas, en coopération avec le ministère des Affaires étrangères, pour régler certains problèmes ayant pu surgir à ce niveau.

 

 

 

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