Les thématiques abordées au cours du colloque sont au cœur des débats contemporains : Dieu, l’autorité, la communication, la place de l’individu... Dans son allocution, l’ambassadeur du Danemark, Jan Top Christensen, a souligné les idées du penseur danois concernant la démocratie. Il a évoqué l’image kierkegaardienne du « vertige de la liberté » – devenue l’un des leitmotiv de l’existentialisme – pour avancer l’hypothèse d’un monde arabe angoissé et pris, ces dernières années, « par ce même vertige ».
Les intervenants, européens et libanais, ont mis l’accent sur les lignes de la pensée de Kierkegaard. Le Dr Daniel Schulthess, professeur à l’Université de Neuchâtel, a considéré que « le comique et Kierkegaard produisent un ensemble dans lequel on peut trouver bon nombre d’éléments à analyser, et cela malgré l’atmosphère tourmentée et sombre dans laquelle nous plonge la simple lecture des titres des ouvrages de ce philosophe, et malgré le sérieux, le combat et l’engagement auxquels il nous incite ». Le Dr Ronan Sharkey, professeur à l’Institut catholique de Paris, s’est penché sur le problème kierkegaardien de l’écriture philosophique chez Wittgenstein. Enseignant à l’Université de Copenhague, le Dr Dario Gonzales a traité du thème de la communication chez Kierkegaard.
Du Liban, le Dr Jad Hatem, chef du département de philosophie à l’USJ, s’est intéressé à la notion originale de l’ironie de Dieu en la faisant remonter, théologiquement, à Luther et, philosophiquement, à Schelling. Et le Dr Hatem d’expliquer que l’ironie de Dieu a, pour Kierkegaard, motif d’amour. De son côté, Mme Nicole Hatem, également enseignante à l’USJ, a mis en relief la similitude entre Kierkegaard et Michel Henry, philosophe français contemporain. « Cette similitude commence par le jugement que portent ces deux philosophes sur la question de la contemporanéité elle-même. » Pour Kierkegaard, cette dernière se fait avec le Christ, à travers la foi, et, pour Michel Henry, elle peut se faire entre les hommes, à travers le Christ. Le Dr Nader el-Bizri, de l’AUB, a quant à lui entrepris des variations ontologiques autour de l’angoisse chez Kierkegaard. Aussi a-t-il fait appel dans ses réflexions à des concepts liés à l’angoisse : le possible, le néant, le temps. Par rapport au possible, l’angoisse se détermine ontologiquement comme avenir. Dans son rapport au temps, l’angoisse surgit face à une infinité intemporelle qu’on ne peut pas imaginer. Car l’objet de l’angoisse est le néant, l’état de non-être, et l’avenir est ce qui n’est pas encore. « Faudrait-il amener le non-être à l’être pour éliminer le néant ? Le néant est ce à partir de quoi tout a été créé, donc le non-être est ce qui peut venir à l’être. En ce sens, l’abolition du néant serait l’abolition de l’être. Ainsi, l’angoisse dans son rapport au néant, au possible et au temps révélerait le sens de l’être », a-t-il affirmé.
Dans sa présentation des éléments d’une interprétation d’Aristote par Kierkegaard, M. Charbel el-Amm, doctorant à l’USJ, a mis en évidence l’analogie qu’il y aurait entre ces deux philosophes au niveau de la structure ontologique : celle du rapport du dieu et du monde, pour Aristote, et de Dieu et de l’humanité, pour Kierkegaard. Enfin, le Dr Habib Malek, professeur à la LAU, a discuté l’hypothèse d’une parenté entre la pensée de Kierkegaard, le luthérien et le catholicisme. « Si, pour Luther, tout le monde a une autorité en matière religieuse, Kierkegaard – dont la position s’apparente davantage à celle de saint Augustin et du catholicisme – considère que l’autorité est très limitée », a-t-il indiqué. En effet, selon le philosophe danois, l’apôtre est envoyé de Dieu pour une mission et peut s’exprimer par communication directe, avec autorité. Cependant, a fait remarquer M. Malek, Kierkegaard récuse l’autorité fondée sur les institutions. « Pour lui, l’autorité a pour fondement l’authenticité de l’apôtre, et non l’institution. L’homme, pour Kierkegaard, ne peut avoir de l’autorité que s’il est authentique, c’est-à-dire que si sa vie est conforme à ce qu’il dit. » Telle est la belle conclusion du colloque et la leçon d’authenticité donnée par Kierkegaard à tous ses contemporains.
Caline SAMAHA
Étudiante au département de philosophie de l’Université Saint-Joseph