Rechercher
Rechercher

À La Une - Rencontre

« The Lebanese Rocket Society » : Le droit (et le devoir) de rêver

Le documentaire narrant l’aventure d’un groupe d’étudiants de l’Université Haïgazian et de chercheurs libanais qui se sont lancés dans les années 60 dans la course vers l’espace, sort en salle dès ce soir.

Dans un pays où le mot « fusée » évoque immédiatement la guerre, le documentaire de Joanna Hadjithomas et de Khalil Joreige vient prouver le contraire. Les Libanais peuvent fabriquer une fusée, aspirer à la paix et avoir, tout comme les autres citoyens du monde, leur part de rêves.

Quel est le rôle du cinéma ?
Dans les années 60, encouragés par leur professeur de mathématiques Manoug Manougian, une poignée d’étudiants de l’Université Haïgazian portant le nom de Lebanese Rocket Society ont voulu s’aligner sur la contemporanéité du monde et participer à la recherche spatiale. « Il faut se replacer dans le contexte de l’époque, disent les deux cinéastes. C’était la montée du panarabisme, la course spatiale entre l’URSS et les USA. À leur manière, les Libanais se sont rangés sur cette carte mondiale en inscrivant leur propre révolution. » Une révolution qui a pourtant fait long feu puisque ces recherches et la fabrication de fusées furent interrompues (et pour cause ! ). « Plus que cela, ajoutent Hadjithomas-Joreige, cette aventure est tombée dans l’oubli. » Pourquoi ? Comment ? Autant de questions auxquelles ont voulu répondre le couple de cinéastes plasticiens dont les œuvres et les différentes disciplines se nourrissent continuellement les unes des autres.

 

 

Aujourd'hui.


Alors qu’une de leurs plus grandes expositions, intitulée « How soon is now, a tribute to dreamers », avait lieu l’année dernière au Beirut Exhibition Center – laquelle voyagera plus tard à Paris et New York – Joana et Khalil étaient lancés sur cette « enquête » un peu particulière.
« J’avais eu vent de cette fusée de par ma sœur Tania H. Mehanna qui m’en avait parlé un jour alors qu’elle préparait un CD sur le Liban. D’autres images, glanées du livre Véhicules d’Akram Zaatari, étayaient ses propos. » « Nous voulions en savoir plus, ajoute-t-elle, car nous étions convaincus de tenir quelque chose de grand, mais quoi exactement ? »


De 2001 à 2009, les recherches se poursuivent. Les archives n’en disaient pas plus long. Même la rareté des documents à l’Université Haïgazian semblait douteuse. Seules des coupures de presse ont réussi à être un fil conducteur, quoique mince. Pourquoi ce déni populaire ? Cette volonté à occulter le passé ? Selon Khalil Joreige, « la guerre du Liban a créé une rupture entre le présent et le passé. Il fallait rééquilibrer ce fossé, le combler et refaire une passerelle qui relierait les deux champs spatio-temporels. » Quoi de mieux que le cinéma pour remplir cette tâche ? Et questionner, tout comme leurs films précédents, notamment Je veux voir : que peut faire le cinéma ?

 Une enquête particulière
« Nous sommes donc allés à Tampa, à la rencontre de Manoug Manougian, poursuit Joana. Et là, quelle fut notre surprise ! Le scientifique avait tout gardé : photos, coupures de presse, archives filmiques en 8, 16 ou 35 mm ! C’était hallucinant. »
« Dès lors, nous savions, ajoute Khalil, que notre film allait prendre une toute autre tournure. D’allure, dirions-nous plutôt, puisqu’au-delà d’une œuvre nostalgique ou même artistique, ce documentaire personnel devenait un film d’action. »
« Surtout pas de nostalgie, précise Joreige. Seuls les cyniques sont nostalgiques. Il fallait rendre un bel hommage à ces rêveurs. Et par rêveurs (car même ce mot a été détourné de son vrai sens), j’entends ceux qui accomplissent leurs rêves par l’action, dans la marche du pays ou du monde. »

 

Demain.


Joana et Khalil ont troqué l’habit d’enquêteurs pour celui d’interrogateurs. Ils allaient interroger l’histoire devenant, par le biais du cinéma, l’écho de ce passé. D’ailleurs la voix off qui accompagne le film en témoigne. « Nous avons filmé 130 à 140 heures, interrogé des centaines de personnes, chacune nous menant vers une autre. C’était comme un puzzle dont les pièces s’imbriquaient l’une dans l’autre. L’écriture d’un documentaire se fait au montage, contrairement aux films de fiction », précisent-ils. Et d’ajouter : « Il était essentiel de trouver un rapport avec la science de ces années-là, d’assurer une continuité historique. Prendre une partie du passé et la réactiver. Enfin, être dans le réel. »

 

Joanna Hadjithomas et de Khalil Joreige

 


Quant à l’absence d’images, les deux artistes ont réussi à la compenser en se projetant dans le futur et en réalisant ce film d’animation dans le film même. « Nous devions intégrer les trois temporalités. Tout en n’intervenant pas dans la texture du film, les cinéastes plasticiens recherchent la matière, l’image dans sa tessiture organique. »
Aujourd’hui, comme le documentaire le raconte, la fusée est revenue à l’université d’où elle était partie, tout en empruntant la route de Dbayé, localité d’où elle a été lancée il y a plus d’une cinquantaine d’années. « Cette fusée que nous avons reconstituée, non glorifiée mais questionnée, est ce rêve qui reprend forme et qui invoque le passé au nom de tous les visionnaires. »
« Peut-on encore rêver », se demandent Hadjithomas et Joreige ? Et de répondre sans hésiter : « Oui, il suffit d’en avoir envie et de savoir exactement ce qui nous anime. »

 

Pour mémoire

Le film libanais "The Lebanese Rocket Society" primé au festival de Doha Tribeca
Dans un pays où le mot « fusée » évoque immédiatement la guerre, le documentaire de Joanna Hadjithomas et de Khalil Joreige vient prouver le contraire. Les Libanais peuvent fabriquer une fusée, aspirer à la paix et avoir, tout comme les autres citoyens du monde, leur part de rêves. Quel est le rôle du cinéma ? Dans les années 60, encouragés par leur professeur de mathématiques...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut