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Liban - Interview

Réfugiés syriens : Médecins sans frontières gère cinq cliniques dans la Békaa et plusieurs équipes mobiles

Photo Michael Goldfarb / MSF

Jeudi dernier, l’association Médecins sans frontières a publié un rapport intitulé « Survivre au-delà de la guerre : la vie des réfugiés syriens et des populations déplacées au Liban ». Basé sur une enquête auprès de 2 200 familles, le texte met en évidence les problèmes liés à l’enregistrement et au manque d’encadrement des réfugiés qui arrivent au Liban. MSF souligne ainsi les limitations rencontrées sur le terrain au niveau de l’accès aux soins médicaux et à un abri, avec pour conséquence un risque de crise humanitaire majeure. Retour sur ce rapport avec Bruno Jochum, directeur général de MSF Suisse depuis juin 2011.

Q. Dans « Survivre au-delà de la guerre », la question de l’enregistrement des réfugiés est centrale : quels sont les enjeux ? Est-il envisageable d’aboutir à une centralisation et à un raccourcissement de la procédure ?
R. La procédure d’enregistrement des réfugiés doit être simplifiée. Pour que leurs soins soient pris en charge, il faut qu’ils soient répertoriés par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Or cette étape prend parfois des mois, durant lesquels les réfugiés sont laissés pour compte. Selon les entretiens que nous avons réalisés en décembre auprès de 2 200 familles, 60 % des réfugiés non enregistrés n’ont pas accès aux soins. Même une fois l’enregistrement obtenu, les problèmes subsistent. Près de 85 % des frais de santé sont pris en charge par l’assistance internationale, mais le reste est à la charge du malade. Pour certains réfugiés, ces 15 % sont inabordables. Il arrive même que des personnes gravement malades qui ont besoin de soins urgents soient refoulées quand elles se présentent à l’hôpital parce qu’elles ne peuvent pas avancer la somme qui leur est demandée.
Presque la moitié des réfugiés que nous avons interrogés ont connu des problèmes d’accès à un traitement pour une maladie chronique (diabète, hypertension, maladies cardio-vasculaires, etc.), et beaucoup ont été contraints d’interrompre leur traitement par manque d’argent. On voit bien que certains restent exclus. C’est vraiment un des problèmes les plus critiques. Nous demandons qu’une solution soit avancée pour qu’au moins les réfugiés les plus vulnérables soient aidés.
En ce qui concerne la santé, les réfugiés non enregistrés n’ont pas accès aux soins gratuits. On assiste à des situations dramatiques pour les familles. Près des deux tiers de ces populations ne reçoivent pas d’assistance.
Ce que l’on observe aujourd’hui, c’est que malgré les efforts des différents acteurs au Liban, il y a un écart criant entre les besoins des populations réfugiées et le niveau d’assistance. Nous craignons qu’avec de nouveaux afflux de population, ces lacunes ne fassent que croître davantage.
Il doit y avoir un changement de politique tant de la part du gouvernement libanais que du HCR ou des bailleurs de fonds internationaux pour soutenir ces efforts – pour mettre en place une réponse d’urgence à la hauteur des besoins.

Si la question de l’enregistrement s’améliore prochainement, quel impact aura-t-elle sur la situation humanitaire et dans quels délais ?
En effet, l’enquête que nous avons menée en décembre dernier montre que l’enregistrement officiel – qui donne le statut de réfugié – peut prendre jusqu’à deux ou trois mois pour un réfugié syrien dans la vallée de la Békaa, notamment.
Le paradoxe, c’est que la majorité des Syriens qui arrivent au Liban sont rapidement identifiés par les autorités locales. Les municipalités connaissent en effet le nombre de familles qui arrivent dans leur zone. Mais la procédure administrative dont le HCR est responsable, qui consiste à vérifier leur statut, prend énormément de temps parce qu’il n’y a pas assez de centres d’enregistrement, pas assez de collaboration entre les autorités locales, le gouvernement et le HCR. Il y a également un manque flagrant de ressources humaines.
Un objectif qui pourrait être réaliste serait de reconnaître en tant que réfugiées toutes les personnes dans les jours qui suivent leur arrivée. De plus, l’accès à une assistance humanitaire ne doit pas être conditionné par la procédure d’enregistrement. Cela a déjà été fait dans différents contextes, et c’est tout à fait réalisable. Les personnes peuvent être reconnues comme réfugiées temporairement et bénéficier d’une assistance immédiate en attendant qu’un enregistrement plus complexe soit achevé.
Quand on sait qu’il s’agit de familles qui ont fui une zone de guerre en laissant tout derrière elles, il est inacceptable que celles-ci doivent attendre des semaines, voire des mois, avant de pouvoir bénéficier d’une assistance.
Au-delà des obstacles administratifs, ce qui pose également problème aujourd’hui, c’est le niveau de l’assistance qui doit être significativement augmenté : il n’y a pas assez de distributions, de nourriture comme de biens de première nécessité, pour les nouveaux arrivants. Nous avons constaté que deux tiers des personnes interviewées par MSF ne reçoivent pas l’assistance requise. Le niveau de l’aide doit être intensifié très rapidement.
L’autre problème administratif majeur est celui de l’accès à la santé. Les personnes non enregistrées n’ont pas de droits au niveau de la santé. Pour les cas particulièrement graves, un système d’enregistrement rapide a été mis en place, mais il exige des réfugiés qu’ils payent 15 % des frais hospitaliers ou des soins liés à des maladies chroniques, et ce même s’ils sont enregistrés.
Des solutions réalistes peuvent être trouvées. Si on prend l’exemple du Kurdistan irakien, les autorités kurdes irakiennes garantissent un accès à la santé totalement gratuit aux populations qui fuient le conflit en Syrie. Cela est parfaitement réaliste. En particulier pour une population qui fuit la guerre. Il ne s’agit pas ici d’une population réfugiée depuis dix ou vingt ans et qui a été intégrée dans la société d’accueil. Il s’agit ici d’une population dans une situation d’extrême vulnérabilité. Nous pensons que leur demander une participation financière à leurs soins de santé n’est pas une solution adaptée à la situation aujourd’hui.

Avant de publier ce rapport, avez-vous discuté avec le Haut-Commissariat aux réfugiés et les autres organisations humanitaires ?
Lors de la visite de notre directeur général au Liban en février, nous avons rencontré le HCR à qui nous avons présenté les résultats de notre enquête et nous nous entretenons avec eux régulièrement. Sur le terrain, MSF collabore avec les différents acteurs nationaux et internationaux, et notamment le HCR.

Comment évolue la situation actuellement ?
Aujourd’hui, ce qui nous inquiète particulièrement, c’est l’afflux de nouveaux arrivants, sachant que le niveau d’aide est déjà insuffisant pour faire face aux besoins actuels.
Il faut noter qu’au Liban, le HCR dénombrait en octobre dernier quelque 80 000 réfugiés syriens, or ils sont aujourd’hui près de 300 000 selon les autorités libanaises. De plus, ce n’est qu’à la fin de 2012 que les différents gouvernements de la région ont reconnu l’ampleur de la crise et que celle-ci allait s’ancrer dans la durée.
L’an dernier, la plupart des gouvernements de la région ont ainsi basé leurs décisions sur le postulat que les réfugiés arriveraient en nombre limité et resteraient quelques mois au plus avant de retourner chez eux. Cette prise de conscience tardive de la situation explique les retards dans le déploiement d’une réponse qui soit à la mesure des besoins.

Et l’action de MSF en 2013 ?
Au cours des derniers mois et semaines, nous avons augmenté nos activités. MSF gère aujourd’hui cinq cliniques dans la vallée de la Békaa, plusieurs équipes mobiles qui prodiguent des soins de santé gratuits, intègrent les patients souffrant de maladies chroniques, et réfèrent les cas les plus graves ou les urgences médicales à des hôpitaux en prenant en charge les frais d’hospitalisation si nécessaire.
Au Liban, MSF surveille la situation sanitaire et humanitaire des réfugiés et se tient prête si cela était nécessaire à déployer en urgence de nouvelles interventions.
Par ailleurs, MSF augmente également ses activités auprès des réfugiés syriens en Jordanie et en Irak.

Existe-t-il une aide à la population libanaise qui accueille les réfugiés ?
MSF apporte une assistance aux Libanais les plus vulnérables parmi la population qui accueille les réfugiés ainsi qu’aux Libanais rapatriés de Syrie. Il convient de noter que ces Libanais qui ont eux aussi fui la guerre en Syrie se trouvent dans la même situation que les réfugiés syriens, mais n’ont pas accès au statut de réfugié. Dans certains cas, ils sont tout aussi vulnérables et ont un accès aussi limité aux différents services. Cette population est particulièrement affectée par le conflit en Syrie.
Par ailleurs, les Libanais font preuve d’une grande solidarité envers les réfugiés. Il y a notamment de nombreuses initiatives individuelles de la part de responsables de structures de santé, de médecins qui vont au-delà de ce qui leur est permis de faire en offrant un accès aux soins à certains réfugiés. Mais il ne s’agit pas là d’une politique générale, mais plutôt d’individus qui font de leur mieux. C’est pourquoi un changement est nécessaire. Certaines personnes sont clairement en rupture de traitement ou rejetées des structures de santé parce qu’elles sont confrontées à ces obstacles financiers.

 

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