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Diaspora - Portrait

Liliane Rada Nasser, dans la saga Liban-Dakar-Marseille

Née dans une famille d’émigrés entre la France et l’Afrique, une historienne a exploré l’attachement aux origines dans sa propre communauté.

L’historienne libano-sénégalaise Liliane Nasser.

En 1922, Reston Nasser (Nasr), à l’âge de 18 ans, s’en est allé de son village de Kalhat, Koura, au Liban-Nord, pour rejoindre ses parents déjà émigrés au Brésil. Il prit un bateau de Beyrouth à Marseille et, durant la traversée, il discuta longuement avec un militaire français qui l’a convaincu de s’installer en Afrique. À ce moment-là, il s’agissait de l’Afrique occidentale française (AOF) qui regroupait, entre 1895 et 1958, huit colonies françaises d’Afrique de l’Ouest : le Sénégal, la Mauritanie, le Soudan français (devenu le Mali), la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Niger, la Haute-Volta (devenue le Burkina Faso) et le Dahomey (devenu le Bénin). Des émigrés libanais se trouvaient déjà là, dont un des pionniers, Élias Khoury Younès de Miziara, s’était installé en 1882 au Nigeria.
Prenant le bateau de Marseille pour l’Amérique latine, Reston fit escale au Sénégal et y demeura, travaillant au début dans le commerce d’arachide comme intermédiaire entre les producteurs sénégalais et les huiliers français. Les Libanais étaient déjà bien intégrés au Sénégal dans les villes commerciales, parlant les langues locales et travaillant aussi dans les secteurs de l’industrie, de l’immobilier et du transport.
Dans le cadre de son commerce, Reston voyageait souvent entre Dakar et Marseille, où il rencontra un jour Victoria Bachir Achkar, née en 1907 à Beit-Chabab au Mont-Liban. Son village avait souffert durant la Première Guerre mondiale et deux de ses frères étaient mort durant la famine, ce qui avait amené ses parents à émigrer au Sénégal, confiant la petite Victoria à sa grand-mère restée au village. Victoria avait ensuite rejoint sa famille en Afrique, et elle se rendait en pension à Marseille pour suivre des cours de comptabilité à l’école Pigier. Cela lui permettait d’aider ses parents pour la gestion de leur commerce dans la ville portuaire de Kaolack, une des plus grandes du Sénégal.
Reston et Victoria se marièrent en 1934 à la mairie de Kaolack, puis célébrèrent leur mariage religieux à Las Palmas. Durant quatre années consécutives, ils retournèrent au Liban à la période de « la soudure », entre deux campagnes d’arachides. C’est d’ailleurs à Tripoli que Victoria a accouché de son fils aîné. Mais avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il n’était plus question de traverser la Méditerranée pour se rendre au Liban, et leurs cinq autres enfants sont nés au Sénégal. Pour leur offrir de meilleures chances de réussite, Reston et Victoria envoyèrent leurs enfants étudier dès le cycle primaire en France, dans des pensionnats religieux à Marseille, puis à Toulon et La Seyne. Les six enfants suivirent des études supérieures. Deux d’entre eux sont devenus pharmaciens et les autres avocat, médecin, physicien et historien.

« Un carrefour qui a forgé mon identité »
Parmi eux, l’historienne Liliane Rada Nasser, née au Sénégal, obtint à Aix-en-Provence une licence en histoire de l’art et archéologie, puis un doctorat en histoire avec pour sujet l’émigration libanaise. Elle publia récemment un livre de référence sur l’immigration libanaise à Marseille, Ces Marseillais venus d’Orient, paru aux éditions Karthala en France.
Au cours d’une entrevue, Liliane nous confie : « J’ai le sentiment d’être à un carrefour qui a forgé mon identité, une identité plurielle, pour reprendre les mots d’Amin Maalouf. En fait, je me sens liée au Sénégal, au Liban et à Marseille bien sûr. L’Afrique fait partie de mon histoire et j’ai été heureuse de présenter mon livre à Dakar. J’y ai retrouvé des amis libanais et des amis sénégalais. J’ai retrouvé la famille de Valdiodio N’Diaye (1923-1984), un homme politique sénégalais, ex-ministre et maire de Kaolack, qui s’était distingué aux yeux des Africains en affrontant le général de Gaulle en 1958. En 1962, il fut accusé de complot contre l’État et emprisonné par Senghor, passant douze années en prison, coupé de sa famille. Nous avons partagé des souvenirs à propos de mes parents, qui l’ont toujours soutenu pendant son incarcération, et des souvenirs de mon oncle Albert Bachir, qui avait participé au mouvement indépendantiste africain. »
Liliane poursuit : « Le Liban, je ne l’ai connu qu’en 1991, après le décès de mon père. J’ai été très émue la première fois, j’ai rencontré des gens qui avaient toujours vécu au Liban mais qui ne connaissaient pas bien leur pays à cause de la guerre. J’y suis retournée en 1996. Ce voyage m’a déçue. Malgré cela, j’ai rencontré des personnes passionnantes, voilà pourquoi j’ai plaisir à me rendre régulièrement à Beyrouth. Mon dernier séjour date d’ailleurs de décembre 2012. Le précédent était en octobre 2011, j’avais participé au Salon du livre francophone pour présenter Ces Marseillais venus d’Orient. »
Le magazine Jeune Afrique a estimé que le nombre de Libanais au Sénégal en 2009 était de 25 000. La plupart étaient arrivés, comme la famille Nasser, en bateau de Marseille, qui était un port de passage pour les émigrés allant vers l’Afrique et les Amériques, surtout à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. De nombreuses familles restent cependant, jusqu’à ce jour, en France.
En 1922, Reston Nasser (Nasr), à l’âge de 18 ans, s’en est allé de son village de Kalhat, Koura, au Liban-Nord, pour rejoindre ses parents déjà émigrés au Brésil. Il prit un bateau de Beyrouth à Marseille et, durant la traversée, il discuta longuement avec un militaire français qui l’a convaincu de s’installer en Afrique. À ce moment-là, il s’agissait de l’Afrique...