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À La Une - Liban-Éducation

Écoles : halte à l’enseignement par la violence !

De la sanction à la violence enseignante,  il n’y a qu’un pas, franchi au quotidien dans certaines de nos écoles.

Des surveillants qui veillent à l’ordre, armés de règles. Des enseignants qui tirent les oreilles ou les cheveux des mauvais élèves, qui lancent des torchons ou des livres à la tête des enfants distraits, qui bousculent, secouent, frappent les élèves dissipés, qui mettent des enfants à genou ou carrément dans la poubelle, qui effacent même le tableau avec les cheveux des enfants. Ces formes de violence enseignante existent bel et bien dans nombre d’écoles libanaises, qu’elles soient publiques ou privées, mais pas dans toutes les institutions éducatives, fort heureusement. Elles s’accompagnent de vives réprimandes, de propos humiliants, d’ironie, voire d’insultes. Et prennent l’appellation légitime de sanction ou, mieux, de correction. Car elles sont admises par la loi, sous la forme de l’article 186 du code pénal. Ce dernier autorise, en effet, « les corrections infligées aux enfants par leurs parents ou leurs maîtres dans la mesure où elles sont tolérées par le commun usage ». Mais que veut donc dire le « commun usage » dans un pays qui souffre dramatiquement de la violence de ses citoyens ? Difficile d’y répondre.

Lever les tabous
Obsolète, cette loi? Sans aucun doute. Mais elle est toujours en vigueur et il n’est toujours pas prévu de l’amender, comme l’indique l’avocat et ancien ministre de l’Intérieur, Ziyad Baroud. Conscient du problème, le ministère de l’Éducation envoie régulièrement et depuis plusieurs années des circulaires aux établissements éducatifs publics et privés, interdisant formellement le recours à la violence scolaire, sous toutes ses formes. « Nous encourageons les parents à lever les tabous et à mentionner les cas de violence des enseignants », martèle le directeur général du ministère Fady Yarak, précisant que de rares épisodes ont été rapportés, parmi lesquels quelques cas de harcèlement sexuel. « Nous avons pris des mesures fermes à l’égard de deux enseignants qui ont usé de violence. Ils ont été écartés de l’enseignement et ne sont plus en contact avec les enfants, assure-t-il. Nous conduisons aussi des enquêtes et tentons, dans la mesure du possible, d’effectuer un travail de sensibilisation à toutes les formes de violence scolaire», affirme-t-il.
Il n’existe toutefois « aucun dispositif officiel de détection ou d’observation », comme le déplore Milad Abou Jaoudé, coordinateur d’urgence de l’organisation Save The Children. C’est la raison pour laquelle il reste difficile de mettre des chiffres sur cette réalité. « On ignore le nombre de cas de violence enseignante, car les élèves ne rapportent que rarement la brutalité dont ils sont victimes. Et lorsqu’ils en parlent à leurs parents, ces derniers se taisent souvent, de peur que leur enfant soit renvoyé ou qu’il subisse les foudres d’un enseignant désireux de se venger », observe M. Abou Jaoudé. « Tout ce qu’on sait, c’est que dans certaines écoles publiques ou privées, la violence est dramatique. Elle résulte en grande partie du manque de qualification des enseignants qui y ont recours pour gérer leurs lacunes », assure-t-il.
Une réalité corroborée par les témoignages des médecins, des assistantes sociales, des psychologues, ou des associations de protection de l’enfance. Et qui a été rapportée dans une étude récente réalisée par le bureau régional de l’Unesco pour l’éducation dans les pays arabes, en collaboration avec l’Université La Sagesse, avec le financement du gouvernement italien, intitulée « La violence scolaire basée sur le genre ».

Un pédiatre raconte
Le chef du service de pédiatrie et de l’unité de protection de l’enfant à l’Hôtel-Dieu de France, le Dr Bernard Gerbaka, confirme : « Parmi les traces de violence physique que nous avons déjà constatées, des élongations du bras, du coude ou de l’épaule, des ecchymoses de l’oreille, des traces visibles d’instruments, notamment de règles. » Le praticien assure que des traumatismes crâniens ont même été observés. « Des enfants ont été projetés sur le mur ou frappés à la tête. D’autres ont reçu un torchon sur la tête », rapporte-t-il. Des preuves que la violence enseignante fait bien partie de l’éducation au Liban sous le couvert de la loi. « Elle est normalisée », renchérit le praticien, précisant que le tollé des défenseurs de l’enfance contre cette loi n’a jamais abouti. Une violence constatée par l’Unicef, dont une responsable qui a requis l’anonymat raconte : « Pour la petite histoire, un enseignant a battu avec un bâton deux élèves qui avaient frappé un enfant syrien. » Elle rapporte aussi qu’un autre enseignant « avait effacé le tableau avec les cheveux d’un élève, en guise de sanction ». Même les écoles de l’Unrwa ne sont pas épargnées, affirme une source informée.
Dans cet état des lieux, il n’est pas étonnant que la mortalité infantile post-trauma au Liban soit supérieure à la moyenne de l’Europe de l’Est, comme le mentionne le Dr Gerbaka, sur base du rapport présenté par le Liban à l’ONU, en 2005. Mêmes constatations du fondateur de l’association Sawa, Zaki Rifaï, qui lutte activement contre la violence envers l’enfance, dans la Békaa. « Tirer l’oreille d’un enfant est une des violences enseignantes les plus répandues, qui se pratique au quotidien », observe-t-il. « Dans nombre d’écoles, les surveillantes se promènent avec une règle, et les enseignants donnent leur cours munis d’un bâton. Ils assurent que ce n’est pas pour frapper. Mais rien que la présence de ces objets constitue une menace pour l’enfant », souligne-t-il encore. Zaki Rifaï estime que le problème est culturel. « La violence est ancrée dans les habitudes éducatives, Il est très difficile de s’en débarrasser », déplore-t-il.

Physique ou morale
Même les institutions privées de grande réputation ne sont pas épargnées, comme l’indique la responsable du cycle primaire au sein d’une prestigieuse école catholique, qui a requis l’anonymat. « Que d’enseignants ont la main leste!» déplore-t-elle. « Ils se permettent de donner une tape sur la tête de l’élève avec un livre, de lui tirer l’oreille, de le secouer par la chemise ou juste de faire mine de le frapper. Certes, ils ne vont pas jusqu’à gifler l’élève. Mais ce dernier ressent ces gestes comme une gifle », assure-t-elle.
Quant à la violence verbale et morale, elle est encore plus répandue. « Outre les hurlements des enseignants, elle se traduit par de l’ironie mal placée, des moqueries, des menaces, voire des insultes, genre, “tu es sans cervelle !”, ou “vous n’êtes pas mieux que les animaux” », poursuit la responsable. On ne compte pas non plus les humiliations du genre « quel âne ! » ou « tu es nul ! », qui ne sont « pas visibles à l’œil nu », mais qui sont « graves, car intériorisées par l’enfant », observe Soha Bsat Boustani, directrice de la communication à l’Unicef, se basant sur des témoignages recueillis dans certains établissements. Cette dernière dénonce aussi la « terrible violence morale » à l’égard des enfants différents, de même que « la discrimination à l’égard des élèves syriens ».
« Une violence qu’on ne peut détecter dans un service d’urgences », note le docteur Gerbaka. Mais qui n’est pas sans conséquences. « Destructrice, elle peut mener à l’échec, voire à l’abandon scolaire, affirme le médecin. Dans le pire des cas, elle entraîne l’enfant à pratiquer des actes d’automutilation ». Pour la psychologue Danielle Pichon, « le cynisme de certains enseignants qui les pousse à frapper les élèves, à les humilier, à les culpabiliser ou à adopter une attitude écrasante envers eux entraîne une perte de l’estime de soi des enfants ». «Non seulement ils perdent confiance en eux, mais ils développent aussi des mécanismes de défense de provocation et d’agressivité », observe-t-elle. Ils éprouvent aussi de la haine envers la matière de l’enseignant ou même envers l’école. « On trouve d’ailleurs rarement un enfant qui aime l’école », regrette-t-elle, déplorant le manque de pédagogie du corps enseignant.
Cette consternante réalité n’a quasiment jamais donné lieu à des poursuites judiciaires. « Je n’ai jamais reçu de plaintes pour violences scolaires contre un élève », tient à préciser le juge pour enfants Roland Chartouni. Le sujet semble toujours tabou. Seul un enseignant a été condamné à la prison, l’année dernière, pour harcèlement sexuel, suite à la mobilisation du comité de parents d’un établissement scolaire. Généralement, la chose se règle à l’amiable, intra-muros, entre les parents d’élèves et la direction. Mais rares sont les mesures radicales, à savoir le renvoi d’un enseignant, tant dans les écoles publiques que privées, mis à part les mises en garde, les avertissements, les sensibilisations, les promesses aussi...
La situation dans certaines écoles ne devrait pas s’améliorer, à moins d’une abrogation de la directive 186 par un texte de loi, comme l’avait proposé l’ancien ministre de l’Éducation, Khaled Kabbani.
Une proposition qui dort, comme tant d’autres malheureusement, dans les tiroirs du Parlement... Il reste que les parents veillent, particulièrement dans les écoles privées.

 

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