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À La Une - Retrospective

Les 30 Libanais(e)s qui ont (dé)fait 2012

Rationnalisé autant que possible, scientifisé presque, cet exercice inédit et personnel reste nécessairement subjectif : chacun y regrettera l'absence de quelques-uns de ses coups de cœur/griffe, mais personne ne contestera à ces 30 Libanais leur présence dans ce classement : ils ont fait, en 2012, le buzz.

 

Bonne année !

 

1) Amin Maalouf

 

Ses mots, tropismes à eux tout seuls, assénés en habit et épée or et vert pendant que flottait, heureux, le fantôme de Claude Lévi-Strauss, étaient une absolue arche de Noé, noyée dans une Méditerranée métastasée de murs, de barrières, de bunkers identitaires et culturels. Tous les Libanais, du Akkar à Nabatiyeh en passant par Zahlé, Baakline ou Beyrouth, se sont sentis un peu académiciens lorsque l’écrivain a pénétré, en juin, la coupole du Quai Conti. L’immortalité d’un architecte pharaonique, tout entier consacré à une passion, une mission, un vœu : construire des ponts entre des rives qui ne se sont jamais autant éloignées l’une de l’autre… Sphinx et oracle.

 

2) Ahmad el-Assir

 

L’imam se faisant couper les cheveux. L’imam nageant (presque) tout habillé. L’imam à bicyclette dans la ville. L’imam haranguant les foules, des femmes tchadorées jusqu’aux yeux le photographiant à coup d’iPads. L’imam bloquant des axes routiers, brûlant des pneus. L’imam embarrassant les cravates Hermès des sunnites modérés. L’imam jouet des Qataris. L’imam qui dit se battre contre les armes miliciennes du Hezb et pour la primauté de l’État. L’imam qui singe la méthodologie de ce même Hezb. On dirait des épisodes de Martine. Rarement un homme, Candide voltairien ou baby Lucifer, n’aura à ce point divisé les Libanais, incarné à ce point leurs frustrations de néo-déshérités ou leur dégoût absolu. Un hit.

 

3) Jennifer Chédid

 

Quand elle sera grande, quand elle cicatrisera (un peu, de l’extérieur), quand son visage et son œil droit perdront leur roideur métallique, quand sa peau recyclera ses milliers d’éclats de verre de son corps, quand elle aura remporté son combat, la petite (10 ans) miraculée de l’attentat de la place Sassine ira déposer une rose blanche sur le tombeau de Wissam el-Hassan, prendre un café avec Achraf Rifi, embrasser Melhem Khalaf et les volontaires d’Offre-Joie un par un, remercier le CPL de lui avoir trouvé un logement transitoire, et puis écrire son histoire, celle d’une anonyme devenue ambassadrice malgré elle de toutes les victimes vivantes des guerres du Liban. Jenny, pour les intimes…

 

4) Youssef Tohmé

 

Il aurait certainement adoré vivre avec Diderot, Locke, Lessing, Fragonard et Adam Smith. L’humaniste, ancien élève de Jean Nouvel, est un architecte 4x4, global, obnubilé par l’urbanisme. 2012 l’a comblé : après des expos à la Biennale de Venise, à New York ou à l’IMA, il gère de A à Z 600 000 m2 à Bordeaux, où il supervisera la construction de logements, de petites industries, de bureaux, de commerces : une microcité, en somme. Impérial.

 

5) Myriam Klink

 

Roland Barthes l'aurait disséquée, pour une mythologie (de supermarché) ; Andy Warhol s’en serait prévalu pour faire taire ses détracteurs. La chanteuse ( ?) est soit une Bimbo utlime, starlette überbotoxée (il)legaly blonde, soit une machiavélique prêtresse du marketing, fasciste en diable. L’incontournable village de Mhaïdssé a connu mieux, mais en 2012, tout le monde n’a parlé que d’elle. L'a théorisée. Entre Antar et Klink Revolution. Dantesque.

 

6) Tarek Mitri

 

D’un Tripoli à l’autre… Les Libanais rêvaient de le voir, à l’instar d’un Berry sur son perchoir, locataire à vie du palais Bustros, fils digne de Fouad Boutros. Cette année, Ban Ki-moon l’a envoyé s’occuper des Libyens. Sa tâche est herculéenne ; l’ancien ministre l’accomplira avec motivation et conviction. Sans oublier que le Liban, politique (gouvernement) ou académique (Balamand), ne saurait se passer de ses talents.

 

7) Zalfa Naufal

 

La magicienne d’Oz, c’est elle. Elle a recréé le terrier dAlice Au Pays des Merveilles (culinaires), exactement comme dans un road-movie US d’un David Lynch obsédé par la netteté et la propreté : Frosty Palace, sans réservations, sans voituriers, et avec, chaque deux semaines, une nouvelle recette de hamburger, fantasmée depuis les écoles des Roches en Suisse et du Cordon bleu en Australie, puis recréée, offerte, junk-food bio, au palais halluciné du Libanais. Un 2012 must live.

 

 

8) Gebran Bassil

 

De Charbel Nahas à Nicolas Sehanoui en passant par Gaby Layyoun, personne plus que le titulaire de l’Énergie et de l’Eau n’a incarné aussi bien l’esbroufe, les mensonges et les (im)postures politiques des ministres du CPL. Entre scandales de mazout, lignes de haute tension, adjudications douteuses et, surtout, une électricité moribonde et mortelle, le gendre adoré a tout raté en 2012. Une seule question : fera-t-il plus haut/loin/fort en 2013 ?

 

9) Hajjithomas/Joreige

 

Pour rendre ces deux cinéastes heureux, il faudrait leur offrir une armée de rêveurs, des divisions blindées de rêves : alchimistes géniaux, ils les anamorphoseraient en photos (l’expo du BEC) et en documentaire (The Lebanese Rocket Society) et, rimbaldiens à donf, réinventeraient les amours. Une année d’exception et, pour leurs spectateurs, l’infinie envie, enfin, un jour, vite, d’un film purement commercial. Cronenberg le fait. À eux, maintenant.

 

 

 

10) Michel Samaha

 

En réalité, ce buzz absolu est un non-buzz. Une non-surprise. L’ancien ministre et ancien député n’est pas un héros de tragédie grecque, une Iphigénie sacrifiée sur quelque autel : il a lui-même choisi et façonné son destin, malgré tous ses Que voulez-vous, ce sont les ordres de Bachar… Son arrestation par les FSI, par Wissam el-Hassan, au top de leur professionnalisme, a évité des hécatombes. La justice, en 2013, devra être implacable.

 

 

11) Charles el-Achi

 

Il dit que Mars est désormais son bac à sable ; il veut que dans 25 ans, une femme aille y jouer, y apprendre, y cultiver des jardins. Le scientifique né à Rayak et naturalisé américain est le patron du mystérieux JPL, en charge du contrôle de la mission Curiosity, du nom du robot qui s’est posé le 6 août 2012 sur la planète rouge. Un exemple pour tous les jeunes Geo Trouvetou du Liban et un splendide hommage à Ray Bradbury, décédé cette année. Un régal.

 

 

12) Karim Ghattas

 

Dhafer Youssef, Erik Truffaz, Archie Shepp, Mina Agossi, Ibrahim Maalouf, Anouar Brahem, Hindi Zahra, Piers Faccini, etc. tous au Liban, c’est grâce à ce jeune producteur fou (à lier) de jazz, associé en 2012 au Festival de Baalbeck et producteur inspiré des Mashrou3 Leila. Une arrogance, une exigence portées comme un étendard et toutes entières au service d’un sacerdoce : faire bander l’organe le plus sensible, le plus fatigant/fatigué des Libanais : leur tympan.

 

 

13) Atef Majdalani

 

En initiant cette fameuse loi antitabac, le président de la commission parlementaire de la Santé a fait de grands heureux (les non-fumeurs) et de grands malheureux (les patrons de restaurants et de pubs) - à condition, naturellement, qu’elle soit suivie… Le député de Beyrouth ne s’est pas arrêté là : sa croisade contre le trafic de médicaments, notamment contre le frère d’un ministre hezbollahi, a été exemplaire et courageuse. Jolie année

 

 

14) Nadim Lahoud

 

2012 aura incontestablement été l’année de la censure la plus zélée et la plus pandémique que le Liban ait connue depuis des années, entre Fetih 1453My Last Valentine In BeirutBeirut HotelTannoura Maxi, etc. Le jeune financier, aidé par SKeyes et parallèlement aux activités de l’association March, a initié et produit une websérie d’anthologie : Mamnou3. Le rire comme antidote ultime contre la bêtise, himalayenne, de certains Libanais. Bravo.

 

 

15) Ranya Sarakbi

 

Ridley Scott l’adorerait. Moebius l’adopterait. La grotte de Lascaux serait son placenta. La designer, qui a collaboré cette année avec le tandem Dagher/Joreige et Johnny Farah, aime (en)serrer, muséifier les cous ; aime figer le vivant, un serpent, un oursin, etc., dans le bronze et l’or pour mieux le faire (re)vivre, éternel, immortel. La fusion entre le métal et la peau est un climax de beauté et les torsions de l’artiste une opération à cœur ouvert. Royale.

 

 

16) Nadim Gemayel

 

Il n’a peut-être pas (encore) la popularité de son cousin ni son intérêt pour la politique politicienne ; il n’empêche, le jeune député de Beyrouth a initié et coordonné une magnifique initiative cette année : Achrafieh 2020. Et avec la Fondation Bachir Gemayel et/ou main dans la main avec Michel Pharaon et ses trois autres colistiers, il a réussi à alléger un tant soit peu les souffrances des survivants des drames de Fassouh et de Sassine. De la belle ouvrage.

 

 

17) Baroudi/Hibri

 

À l’heure où la planète regardait avec pitié un Liban mutilé de partout par des pneus en flamme et pendant que les rares touristes qui s’y étaient aventurés se dépêchaient de le quitter, le tandem Bokja giflait somptueusement tout le monde en customisant, tonnes de glitter et d’intelligence à l’appui, des dizaines de pneus. Le glamour comme arme de reconstruction massive – l’IMA à Paris, dans des conditions certes pas idéales, en a été aussi le spectateur.

 

 

18) Hamed Sinno

 

 

Le malheureux épisode du pas très smart boycott des Red Hot Chili Peppers mis à part, 2012 a furieusement été l’année du chanteur de Mashrou3 Leila et de ses copains, entre apothéose à Baalbeck, concerts inouïs en Europe (la reprise en arabe de Ne Me Quitte Pas à Montreux était à mourir de bonheur…) et préparation d’un nouvel album sous la férule fraternelle mais implacable de leur producteur, Karim Ghattas. Une voix et des tripes en or.

 

19) Sandra Dagher

 

Elle avait commencé toute jeune à l’aube du IIIe millénaire, dans un espace SD doux et confortable - sans plus. Sauf que dans ses veines et ses artères, il y a la passion de l’art qui coule et bouillonne, et qui a amené la galeriste, douze ans après, main dans la main avec Lamia Joreige, à concevoir et ouvrir le BAC, avec, pour 2012, une mention excellent : Richter, le White Wall, les révolutions du XXe siècle, Ranya Sarakbi, etc. Elle est une passeuse.

 

 

20) Joe Maalouf

 

Dans la France de l’après-occupation allemande, il aurait eu le crâne rasé en place publique. Cet animateur de télévision (Enta Horr/MTV) a fait de la délation et de son combat quasi-mystique pour la promotion de la vertu et la répression du vice un commerce extrêmement lucratif. Ayatollah et chef taliban à la fois, il peut s’enorgueillir d’avoir accéléré la résurrection d’une mode qui a fait s’étouffer le monde entier : le test anal au commissariat de Hobeiche. Glorieux.

 

 

21) Michel Sleiman

 

2012 n’a pas vu la fin du monde mais le coming-out du président de la République, 4 ans après son accession à Baabda : entre ses ras-le-bol, ses coups de poing sur les tables, ses critiques d’une fermeté sans précédent contre le Hezbollah, son triptyque et son drone, le régime syrien et son manque d’alternance et ses félicitations aux FSI dans l’affaire Samaha, le Michael Phelps de Baabda s’est carrément transfiguré. Même si ce n’est toujours pas, loin de là, assez…

 

 

22) Claude D. Serhal

 

Réussir à semer le doute dans la tête des spécialistes du monde : et si Europe était une déesse sidonienne et non pas tyrote !..., mener des fouilles jusqu’au bout du bout de Saïda et être anoblie par Elisabeth II : cette archéologue d’une ténacité et d’une pugnacité insensées, véritable Indiana Jones au féminin, a su, en 2012 plus que jamais, déranger les pierres pour mieux les faire chuchoter. Gardienne de leurs secrets, elle n’a sûrement pas, encore, tout dit.

 

 

23) Rim el-Jundi

 

 

La peintre au noir a compris qu’elle était un magnifique capteur/ transmetteur de lumière ; compris que son désir de reproduire sur ses toiles l’un des plus beaux mots du monde : métissage, et donc famille, est devenu réalité. Cette prise de conscience personnelle, picturale et politique a été le point d’orgue, l’un des moments-soleil de 2012 dans cette galerie Janine Rubeiz que Nadine Begdache réussit à réinventer année après année.

 

 

24) Omar Rajeh

 

C’est lui que les Libanais(e)s amateurs de danse, de corps en apnée, de muscles qui hurlent comme des poèmes et de chorégraphies bigger than life doivent remercier. Le jeune chorégraphe a fondé BIPOD, le désormais fameux festival international de danse à Beyrouth et la sélection 2012, entre Carolyn Carlson, Thierry de Mey, Carlo Stellato et Hiroaki Umeda et les autres, était une cuvée belle comme une rencontre entre Méphistophélès et la fée Clochette.

 

 

25) Rida Antar

 

S’il est loin d’avoir le niveau sur le plan international et qu'il se la joue überdiva, il reste l'emblème de l’équipe nationale et tous les Libanais, de l’avocat au plombier en passant par le romancier ou la PDGère, étaient braqués sur ses jambes zizouesques durant les éliminatoires de la Coupe du monde. Les Libanais y ont cru, mais un seul footballeur, fût-il capitaine, ne fait pas une équipe. Et le voilà retourné à Shandong Luneng, en Super League chinoise…

 

 

26) Ziad Doueiri

 

Il avait disséqué une sexualité plus ou moins acnéique dans l’oubliable Lila dit ça, mais aussi dans le somptueux West Beirut ; voilà le jeune cinéaste au creux d’un Proche-Orient affolé et affolant, à l’intérieur des cordons ombilicaux intercommunautaires : il a adapté L’Attentat (The Attack) de Yasmina Khadra, présenté cette année à Marrakech (primé), Toronto et Dubaï. S’il réussit à être projeté à Beyrouth en 2013, ce film provoquera un séisme. Yes he can.

 

 

27) Robert Fadel

 

Si le député n’a (vraiment) pas brillé par son activité législative et politique, le PDG, ancien de Science Po et de l’ENA à Paris, a réussi en 2012 un beau, un très gros pari : rénover et réinventer l’un des plus grands et plus vieux malls du Liban, l’ABC de Dbayeh, même pas effrayé par une réalité économique tuberculeuse. Et ce ne sont pas les 1 500 salariés de la boîte, emmenés de main de maîtresse par leur vice-présidente, Tania Ezzeddine, qui vont se plaindre…

 

 

28) Sophie Schoucair

 

Elle est pratiquement la seule de sa promotion de l’École Hôtelière de Lausanne à avoir ouvert son restaurant. Chef méticuleuse, presque maniaque, elle a férocement réussi à rappeler que la cuisine italienne en général, sicilienne en particulier, est à la fois raffinée et robuste, élitiste et populo, blanche et noire. Fifty shades of grey et téta Marinella doit sourire de là où elle est… Seul bémol : un an après, la patronne refuse (mais jusqu’à quand…) d’ouvrir le soir.

 

 

29) Simone Kosremelli

 

Variations sur un même t'aime : cette architecte est une grammairienne. Une sorcière aussi : elle a créé une symbiose, une fusion, entre le traditionnel et le contemporain, l’ancien et le nouveau, le passé, le présent et le futur… En 2012, elle a publié A Lebanese Perspective, une sélection de projets réalisés au cours des 30 dernières années, le sigma de ses talents et de comment elle voit et conçoit le(s) mondes. De la grâce à l’état sauvage.

 

 

30) Saad Hariri

 

La seule personnalité de ce Top 30 à avoir buzzé, cette année, par une retentissante absence, que même l’assassinat de Wissam el-Hassan n’a pas réussi à rompre. Personne ne demande à l’ancien Premier ministre, patron du courant du Futur et composante essentielle s’il en est de l’Alliance du 14 Mars de se découvrir une vocation au martyr(e), mais de se souvenir que les législatives sont dans cinq mois et que les absents ont toujours tort…

 

 

 

Lire aussi:

2012-2013 : kif-kif ?, la chronique de Nagib Aoun


La rétrospective 2012 de L'Orient-Le Jour

 

Diaporama:

Le Liban en 2012 et en images

 

 

 
1) Amin Maalouf
 
Ses mots, tropismes à eux tout seuls, assénés en habit et épée or et vert pendant que flottait, heureux, le fantôme de Claude Lévi-Strauss, étaient une absolue arche de Noé, noyée dans une Méditerranée métastasée de murs, de barrières, de bunkers identitaires et culturels. Tous les Libanais, du Akkar à Nabatiyeh en passant par Zahlé, Baakline ou Beyrouth, se...

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