Rechercher
Rechercher

« Un morcellement de la RDC toucherait la moitié des pays d’Afrique noire » - Interview

« Un morcellement de la RDC toucherait la moitié des pays d’Afrique noire »

Victime de son histoire mouvementée et de sa « scandaleuse » richesse naturelle, Kinshasa est la pièce maîtresse d’un puzzle politique et militaire au cœur du continent, entre enjeux stratégiques et intérêts économiques.

Les rebelles du M23 se sont retirés samedi de Goma après une semaine d’occupation de la ville. Goran Tomasevic/Reuters

Depuis une vingtaine d’années, la République démocratique du Congo (RDC) est en proie à des troubles chroniques. Le 15 novembre, une nouvelle rébellion armée a éclaté dans la province du Nord-Kivu, aux confins du Rwanda et de l’Ouganda. Une médiation africaine a toutefois calmé le jeu. Mais même si la diplomatie porte ses fruits, avec le retrait des insurgés des villes conquises, la stabilisation du pays reste néanmoins problématique : aussi vaste que l’Europe de l’Ouest ; des frontières poreuses héritées de l’époque coloniale et tracées au hasard sans tenir compte des groupes ethniques cohabitant tant bien que mal dans la région (les massacres en 1994 de Tutsis par des Hutus – appelés « génocide rwandais » – hantent encore les mémoires) ; une richesse minière très diversifiée, qui a valu à la RDC le qualificatif de « scandale géologique », suscitant les convoitises peu scrupuleuses de ses voisins... Tous ces éléments conjugués font de la République démocratique du Congo, aux yeux de certains, un État bien trop grand et trop complexe, presque impossible à gouverner.
Bob Kabamba, professeur de politique africaine à l’université de Liège en Belgique et directeur de la Cellule d’appui politologique Afrique-Caraïbes (CAPAC), a effectué pour L’Orient-Le Jour un tour d’horizon du sujet.

OLJ : Dans sa géographie actuelle et vu la diversité ethnique du pays, la RDC est-elle réellement un État trop grand et difficile à gouverner ?
Bob Kabamba : La superficie de la RDC n’est pas un problème, elle ne l’a jamais été. Au temps de la colonisation et même sous le règne de Mobutu, le pays était aisément gouverné et l’État contrôlait les provinces sans difficulté. Aujourd’hui, les problèmes de gestion sont liés à l’effondrement de la structure étatique et non aux dimensions du pays. Éffrité, l’État est incapable de contrôler les régions où sévissent des rébellions, qui lui échappent donc et basculent sous la tutelle des insurgés.

Le Rwanda et l’Ouganda sont parties prenantes de la médiation africaine et en même temps accusés, par la RDC et l’ONU, d’attiser le conflit. Quel est leur véritable intérêt dans ces événements et quel est l’enjeu qui se cache derrière leur double jeu ?
Pour les pays voisins de la RDC, il y a d’abord un enjeu stratégique majeur auquel est venu par la suite se « greffer » un intérêt économique pour les richesses minières congolaises. Le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi et l’Angola ont, comme vous le savez, eux aussi connu la rébellion et la guerre civile. Les mouvements rebelles de ces pays utilisaient la RDC comme base arrière. Après deux guerres régionales (1996-1997 et 1998-2003), les gouvernements rwandais et ougandais ont armé et soutenu des milices et mouvements rebelles congolais pour poursuivre le combat contre leurs propres rébellions sur le territoire de la RDC. À cela s’ajoute la dimension ethnique du conflit entre Hutus et Tutsis, puisque les rebelles rwandais sont hutus alors que l’État est gouverné par les Tutsis. Pour rappel, le « génocide rwandais » en 1994 avait été perpétré par des Hutus contre des Tutsis. L’actuelle rébellion du Mouvement du 23 mars (M23) en République démocratique du Congo est une milice tutsie créée et soutenue par Kigali pour combattre les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda – mouvement rebelle hutu).
L’enjeu stratégique est donc pour les pays voisins de la RDC de protéger leurs populations tutsies contre les rebelles hutus. Ils ont, pour cela, créé dans l’est de la RDC une zone d’influence où leurs milices tutsies alliées peuvent opérer impunément contre les Hutus. Ainsi, chaque fois que Kinshasa tente de reprendre le contrôle de cette zone d’influence, une rébellion éclate pour contrer ces velléités. La dernière en date, celle du M23 (issu du Conseil national pour la défense du peuple – CNDP), est due au fait que Joseph Kabila voulait redéployer d’anciens rebelles tutsis qui avaient intégré l’armée régulière de RDC en 2009, après la signature d’un accord de paix, dans d’autres régions du pays. Les mutins tutsis, eux, refusent toute mutation hors de leur région du Nord-Kivu afin, disent-ils, de protéger leurs familles et les membres de leur communauté qu’ils estiment en danger. Ils accusent Kinshasa de n’avoir pas pleinement respecté les termes de l’accord de 2009 et réclament de revenir aux « ententes initiales » qui leur octroyaient le droit de rester au Kivu.
Il est à noter que la médiation menée par le Rwanda et l’Ouganda était destinée à faire comprendre au président congolais Joseph Kabila qu’il n’était pas assez fort pour reprendre le contrôle de la zone d’influence du Nord-Kivu. Les conclusions de la médiation portaient ainsi sur les modalités effectives du contrôle de la province.

Comment les autorités rwandaises analysent-elles la situation ?
Pour le président Paul Kagame, il y va de la stabilité du Rwanda. Paul Kagame est au pouvoir depuis 18 ans et arrive au terme de son dernier mandat. Il a entamé une démocratisation de son pays et il est essentiel, pour lui, de ne pas affaiblir son régime et de léguer un pays fort à son successeur. Garder la main haute sur le Kivu est donc vital afin de contrer les rebelles hutus. En ce qui concerne l’Ouganda, la situation est plus délicate. Kampala cherche à acquérir une stature régionale depuis que l’Ouganda est devenu la base arrière des opérations américaines et des pays des Grands Lacs dans la traque de Joseph Kony – chef de l’Armée de résistance du seigneur (LRA), mouvement rebelle ougandais, qui est réfugié en Centrafrique.
Récemment, les pays frontaliers de la RDC ont connu une relative accalmie de leurs rébellions. C’est à partir de ce moment-là que la convoitise des richesses naturelles de la RDC a supplanté les enjeux stratégiques pour devenir leur principal intérêt. Ils ont pu ainsi se concentrer davantage sur le pillage systématique de ces richesses. D’où, pour eux (Burundi, Rwanda et Ouganda), l’intérêt de maintenir des milices alliées qui combattent l’État congolais et affaiblissent son emprise sur les régions riches en minerais précieux. Aujourd’hui, ce pillage a évolué en système institutionnalisé. Les groupes rebelles, qui dépouillaient la RDC de ses ressources au profit de ses voisins, ont fait place à des commerçants. Le Rwanda, pour l’exemple, finance des Congolais qui achètent les matières premières dans leur forme brute à la RDC pour ensuite les exporter vers Kigali, qui les raffine et les revend au double, voire au triple de leur prix de base, parfois même plus. Ainsi, attiser les troubles dans les régions minières de la RDC bénéficie à ce trafic lucratif.
Quelles seraient les conséquences d’un éclatement géographique de la RDC ? Certains pays voisins auraient-ils intérêt à ce que cela arrive ?
Un morcellement de la RDC toucherait la moitié des pays d’Afrique noire. Chaque partie, chaque ethnie sera ainsi tentée de vouloir créer son propre État sur sa parcelle de territoire, en partant du principe « si eux l’ont fait, je peux faire ce que je veux ». Il n’y va de l’intérêt d’aucun des voisins de la RDC de laisser ce pays voler en éclats car, à ce moment-là, eux aussi seront menacés d’implosion. Les pays frontaliers de la RDC ont bien sûr intérêt à contrôler les différentes factions et zones d’influence, mais pas à démembrer le pays ; ce qui leur coûterait plus cher.

Comment expliquer le tiède soutien international à Joseph Kabila ? Est-ce à cause de la controverse autour de sa réélection ou y a-t-il des raisons secrètes ?
La controverse autour de la réélection de Joseph Kabila a, certes, largement contribué au désintérêt de l’Occident et à son désengagement en RDC. En fait, la perte de prestige de Kabila a commencé avec les élections de 2006, quand il a négocié avec Pékin le contrat du siècle, connu sous le nom de « contrat chinois » et chiffré à neuf milliards de dollars. Cet accord a naturellement provoqué le mécontentement de l’Occident. Toutefois, les Américains et les Canadiens tentent toujours de s’implanter ; leurs intérêts allant surtout vers le cobalt, le cuivre et le magnésium. Les Français aussi cherchent à obtenir leur part du gâteau, par le biais d’Areva ; l’uranium étant leur principale préoccupation.
Depuis une vingtaine d’années, la République démocratique du Congo (RDC) est en proie à des troubles chroniques. Le 15 novembre, une nouvelle rébellion armée a éclaté dans la province du Nord-Kivu, aux confins du Rwanda et de l’Ouganda. Une médiation africaine a toutefois calmé le jeu. Mais même si la diplomatie porte ses fruits, avec le retrait des insurgés des villes conquises,...