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Moyen Orient et Monde - Tribune

Le saut périlleux de l’Amérique

* Javier Solana est ex-secrétaire général de l’OTAN, haut représentant de l’UE pour la Politique étrangère et la Sécurité commune, ainsi que directeur de recherche en politique étrangère à l’Institut Brookings et président du Centre d’économie internationale et de géopolitique Esadegeo.

Région du Pacifique ou Moyen-Orient ? Pour les États-Unis, c’est la principale question stratégique du moment. La recrudescence des violences à Gaza, en pleine réunion entre le président Barack Obama et les dirigeants de l’Asie à Phnom Penh, exprime parfaitement le dilemme des États-Unis. Au lieu de pouvoir se concentrer sur la « réorientation » de la politique étrangère américaine vers l’Asie, Obama a dû passer beaucoup de temps à s’entretenir avec les dirigeants d’Égypte et d’Israël. Il a même dû dépêcher sur place la secrétaire d’État Hillary Clinton dans le but d’établir un cessez-le-feu pour le conflit de Gaza.


Des deux points focaux géopolitiques où les États-Unis doivent porter leur attention, l’un représente l’avenir et l’autre le passé. Même si les questions portant sur l’Asie ont joué un rôle important dans la campagne électorale présidentielle des États-Unis qui a été marquée par des débats souvent houleux quant à la montée de la Chine, ce sont les problèmes du Moyen-Orient dans lesquels se sont enlisés les États-Unis. Outre le conflit israélo-palestinien qui s’éternise, l’instabilité de l’Irak, le printemps arabe, la guerre civile en Syrie et la confrontation permanente avec l’Iran sur son programme nucléaire font partie de tous les autres dossiers prioritaires des États-Unis.


Si le conflit larvé avec l’Iran devait se déclarer, l’axe asiatique de sa politique étrangère ne serait plus la principale priorité des États-Unis. Cependant, si le litige avec l’Iran finit par se régler par le truchement de la diplomatie, il est sans doute possible que le Moyen-Orient soit relégué au second plan, comme le voudrait Obama. La question demeure cependant : l’Amérique s’enlisera-t-elle à nouveau dans une autre guerre dans une région de moins en moins importante pour son approvisionnement en énergie ?


En effet, des développements énergétiques avec des répercussions mondiales énormes ont complètement changé la donne : à savoir la révolution dans le secteur des hydrocarbures non conventionnels, particulièrement les ressources en gaz et en huile de schiste qui, selon les prévisions récentes de l’Agence internationale de l’énergie, feront des États-Unis le plus grand producteur de pétrole d’ici à 2020 et le premier producteur pour toutes les sources d’énergie d’ici à 2030. Pour les États-Unis, l’autonomie en énergie est le prétexte parfait pour un retrait graduel du Moyen-Orient; libérée de sa dépendance énergétique, elle est en mesure de se concentrer sur la région du Pacifique.


Même s’il est vrai que le maintien de la stabilité des cours mondiaux de l’énergie et son alliance avec Israël empêcheront les États-Unis de s’isoler complètement des problèmes du Moyen-Orient, le mouvement vers l’Asie était déjà en branle sous la première administration d’Obama, avec l’annonce de la secrétaire d’État voulant que les États-Unis réorientent la stratégie bien avant le retrait des troupes américaines de l’Irak. Après avoir été réélu, la première visite officielle d’Obama à l’étranger était une tournée du Myanmar, de la Thaïlande et du Cambodge – un choix qui a certainement déplu à la Chine, car ces trois pays sont membres de l’Anase. Sans compter que Myanmar était, avant qu’elle n’amorce son virage vers un régime plus démocratique, un proche allié de la Chine.


L’Asie jouit évidemment en ce moment d’une forte croissance économique, mais l’allègement des fortes tensions nationalistes de la région nécessite la création de structures de sécurité régionales en parallèle à une plus grande intégration économique. La situation devient encore plus complexe lorsque l’on considère ce que le chercheur américain Kenneth Lieberthal et le recteur des études internationales de l’Université de Pékin, Wang Jisi, ont désigné de « méfiance stratégique » dans une communication récente de l’Institut Brookings.


L’établissement d’une confiance sur le plan stratégique entre les grandes puissances du XXIe siècle sera fondamental au fonctionnement harmonieux du système international. Comment y arriver ? Puisque la Chine importera d’ici à 2030 les trois quarts de son pétrole du Moyen-Orient, la coopération de la Chine en constituerait la première étape dans la recherche de solutions aux problèmes de la région.


Après les élections israéliennes en janvier 2013, l’Iran reviendra vite en haut de la liste de la politique étrangère d’Obama. L’intervention militaire en Iran – pays qui tiendra aussi sa propre élection présidentielle en juin – entraînerait une instabilité non seulement pour la région, mais aussi dans le monde entier. Le monde arabe, la Russie et la Chine devront choisir leur camp, mettant sous tension les relations internationales entre les différents pôles de pouvoir et ravivant du même coup les tensions dans le Pacifique. La Chine a donc tout intérêt à collaborer sur le plan stratégique avec les États-Unis pour éviter l’escalade.


Outre l’Iran, la situation volatile dans tout le Moyen-Orient requiert des solutions immédiates. La dernière flambée de violence entre Hamas et Israël fait ressortir l’importance de ressusciter le processus de paix. La guerre civile en Syrie, dans laquelle un nombre croissant d’acteurs régionaux ont participé, ressemble de plus en plus à un banc d’essai d’un conflit généralisé entre les pays musulmans d’obédience sunnite (Arabie saoudite, autres États du Golfe, Turquie, Égypte) et les factions chiites (Iran et Hezbollah) pour exercer leur emprise sur la région.


Les dirigeants de l’Iran semblent croire que les États-Unis, qui ont subi des coûts économiques et humains très élevés pendant plus d’une décennie d’affrontements, voudront éviter une autre intervention militaire. L’opinion publique américaine semble vouloir le confirmer. Un sondage récent du Chicago Council on Global Affairs indiquait que 67 % des Américains estiment que la guerre en Irak n’en valait pas la peine. De plus, 69 % d’entre eux ne croient pas que les États-Unis sont plus protégés contre le terrorisme depuis la guerre en Afghanistan et 71 % déclarent que l’expérience en Irak démontre que les États-Unis auraient dû prendre plus de précautions avant d’intervenir par la force.
Toutefois, si les Américains ne semblent pas vouloir engager des milliards de dollars dans une autre aventure à l’étranger qui ne mène nulle part, les dirigeants de l’Iran, de leur côté, sont submergés de sanctions internationales qui sont en train de faire des ravages dans l’économie du pays. Chaque partie doit croire que la meilleure option, du moins pour l’instant, réside dans la poursuite de négociations.


La résolution pacifique de la question iranienne aiderait les États-Unis à continuer son recentrage vers l’Asie. La Chine ne souhaite probablement pas ce résultat, mais son propre intérêt vital à l’égard de la sécurité des approvisionnements énergétiques du Moyen-Orient devrait forcément l’amener à coopérer. Car après tout, un autre conflit au Moyen-Orient empoisonnerait et fausserait les relations dans la région pendant des décennies – la pire des possibilités – tant pour les États-Unis que pour la Chine.

© Project Syndicate, 2012. Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier.

Région du Pacifique ou Moyen-Orient ? Pour les États-Unis, c’est la principale question stratégique du moment. La recrudescence des violences à Gaza, en pleine réunion entre le président Barack Obama et les dirigeants de l’Asie à Phnom Penh, exprime parfaitement le dilemme des États-Unis. Au lieu de pouvoir se concentrer sur la « réorientation » de la politique étrangère...

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