Premier dirigeant né après la fondation du régime par Mao en 1949, Xi Jinping est le fils d’un héros révolutionnaire et à ce titre l’un des « princes rouges » qui forment la nouvelle nomenklatura de la deuxième puissance mondiale.
Massif, visage poupin et cheveux de jais partagés par une raie impeccable, Xi Jinping a succédé jeudi à 59 ans à Hu Jintao, de dix ans son aîné, comme numéro un du Parti communiste chinois (PCC), tout-puissant parti unique, et donc du pays.
En contraste avec l’allure austère et la gestuelle « robotisée » de son prédécesseur, M. Xi passe pour plus affable et plus décontracté. Il l’a prouvé jeudi, semblant à l’aise pour sa première apparition en tant que dirigeant suprême, prononçant avec le sourire une allocution singulièrement expurgée du jargon léniniste répandu dans les hautes sphères du parti. Lors de ce discours, il a reconnu que la nouvelle équipe faisait face à « d’énormes responsabilités » et que le parti était confronté à de « graves défis » dont la corruption. « On parle de lutte contre la corruption depuis au moins vingt ans. M. Xi a affirmé lui aussi qu’il allait la renforcer. Cependant, il y a fort à craindre qu’il ne prendra pas les seules mesures qui seraient efficaces, à savoir la création d’une commission indépendante pour enquêter sur les biens des cadres et de leurs familles. Il ne mettra pas non plus un terme à la censure de la presse. Or une presse libre est un instrument indispensable pour lutter contre la corruption », estime Jean-Philippe Béja directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Même son de cloche pour Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), pour qui il est difficile de faire changer les choses. « Mao avait réussi pendant les débuts de son règne à éliminer un petit peu la corruption, puis la Chine est retombée dans ses vieux travers. Depuis les années 70, il y a des problèmes de corruption, parce que Mao lui-même s’est servi une grande part de gâteau et Deng Xiaoping, son successeur, a très largement favorisé sa famille. Les dirigeants suivants font pareil. »
En partant, Hu Jintao avait d’ailleurs prié Xi Jinping de faire « le ménage » dans la maison Chine, ravagée par la corruption : « Si nous échouons à traiter cette question correctement, elle pourra s’avérer fatale pour le parti, et même provoquer son effondrement et la chute de l’État. » Or le président sortant n’a donné aucune piste pour guider son successeur. « Si l’on est optimiste, on peut dire qu’il lui a laissé les mains libres pour entreprendre les réformes qu’il veut pour répondre à ces défis. Mais on peut également penser que ni Hu ni Xi ne sont prêts à prendre des initiatives importantes dans le domaine de la réforme du système et que celui-ci poursuivra la politique de “maintien de la stabilité” », souligne M. Béja.
M. Brisset rappelle de son côté que Hu Jintao est quelqu’un qui a été élu par défaut, « il n’avait pas de retentissement; finalement il a passé sa vie à empêcher les gens de se battre, maintenant une unité de façade à la tête du parti. Il ne veut pas faire de changement, parce que c’est quelqu’un qui ne savait pas faire et qui n’a jamais osé prendre parti d’un côté ou d’un autre, il est donc logique qu’il ne donne pas de piste ni de solution à M. Xi ». Dans le même temps, « il ne faut pas voir Xi Jinping comme quelqu’un qui sera forcément le grand chef charismatique et qui sera la seule tête qui dépassera. Les gouvernements en Chine sont quand même très collégiaux, c’est toujours une coalition entre les tendances à l’intérieur du Parti communiste », rappelle le spécialiste de l’IRIS.
« L’atelier du monde »
Désormais patron de l’« atelier du monde », Xi Jinping devra en outre s’employer à réinventer le modèle chinois. La Chine de demain, a décidé le congrès, veut rivaliser avec les économies occidentales les plus développées. Mais la « décennie d’or » de Hu Jintao va laisser la place à une croissance ralentie à 7,5 %, la plus basse depuis la crise financière asiatique de 1997-1998. « La croissance est ralentie, non pas parce que la Chine ne peut pas faire davantage, mais parce qu’elle n’a plus tellement de clients. D’une part, parce qu’elle a pris 100 % du marché mondial dans de nombreux domaines et, d’autre part, les clients occidentaux sont beaucoup moins à l’aise maintenant financièrement qu’ils ne l’étaient. À partir du moment où l’exportation diminue, il y a un gros problème tant qu’on ne réussit pas à basculer vers la consommation intérieure. Et pour basculer vers la consommation intérieure, cela veut dire augmenter les salaires, rendre plus chers les produits chinois (donc diminuer ce qui enrichit la Chine). C’est quelque chose d’extrêmement complexe à gérer », souligne Jean-Vincent Brisset.
Cette situation donne déjà lieu à une agitation sociale récurrente. M. Xi est attendu par une classe moyenne de bientôt 700 millions de consommateurs, la plupart étrangère à l’idéal communiste et un pays où l’indignation monte devant la richesse souvent extravagante de la nouvelle « aristocratie rouge ». « Il faut rappeler que l’obsession des dirigeants communistes, c’est la paix sociale et cela passe avant tout le reste », indique M. Brisset.
La question qui se pose donc, est est-ce que Xi Jinping va pouvoir endiguer la crise ? Pour Jean-Philippe Béja, le nouveau dirigeant ne pourra pas le faire tout seul. « Il faut voir qui sont ses partenaires. Certains dirigeants pensent qu’il ne faut pas se contenter de recourir à la répression et qu’il faut entamer un dialogue institutionnalisé avec la société. M. Xi ne s’est pas prononcé dans ce débat. On verra rapidement s’il est capable de prendre des initiatives courageuses de réforme politique lors des prochaines crises sociales. »
Le cas Xiaobo
Le nouveau dirigeant du PCC devra parallèlement affronter la contestation de certaines minorités ethniques qui se plaignent de la négation de leur culture ou de leur religion. Un adolescent tibétain de 14 ans s’est ainsi immolé jeudi dernier. Le rythme de ces suicides s’est accéléré depuis le début du congrès du parti, dans les régions tibétaines sous tutelle chinoise. « Les dirigeants chinois sont depuis longtemps au courant du mécontentement des Tibétains. Mais leurs revendications ne rencontrent guère d’écho dans la population Han qui est ultramajoritaire. Ce ne sera pas une priorité pour la nouvelle équipe, sauf si elle veut par là envoyer un message de conciliation à la communauté internationale », explique M. Béja.
Toujours en matière des droits de l’homme, M. Xi devra décider s’il fait libérer de prison le prix Nobel de la paix 2010, le dissident Liu Xiaobo. « Si Xi Jinping veut adresser à la société un message pour annoncer sa volonté de lancer une réforme politique, un geste en faveur de Liu Xiaobo ou au moins de son épouse Liu Xia serait une possibilité. Là encore, il est trop tôt pour savoir s’il a effectivement l’intention de relâcher la répression pour empêcher l’aggravation de l’agitation sociale ou si, au contraire, il souhaite poursuivre dans la voie de ses prédécesseurs », poursuit le directeur de recherche au CNRS.
Jean-Vincent Brisset estime quant à lui que le problème des dissidents n’est qu’un « petit problème en ce qui concerne les droits de l’homme en Chine. Les vrais problèmes sont les avortements forcés, les interdictions de pratiquer une religion, de se déplacer dans le pays, le vol des terres des paysans... Là, à mon avis, la Chine a encore beaucoup à faire ».
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