« Je ne suis pas inquiet pour l’immédiat, mais pour le futur. » C’est par cette phrase qu’un responsable sécuritaire résume la situation actuelle du pays. Selon lui, les Libanais mettent chaque jour un peu plus les pieds dans le plat syrien, sur fond d’ambitions et d’intérêts électoraux, sans penser aux conséquences de leurs actions sur l’avenir du pays.
Il y a quelques années, la Syrie facilitait le passage des jihadistes islamistes vers l’Irak pour combattre les troupes américaines. Le régime syrien se croyait très fort et imperméable aux tentatives de déstabilisation. Aujourd’hui, la Syrie est devenue la scène privilégiée du jihad et rien n’indique qu’une issue à la crise soit en vue. Les combattants de l’islam y affluent de tous les coins du monde musulman et il devient de plus en plus difficile de les absorber dans des formations existantes. Les Libanais devraient donc tirer la leçon de cette expérience. Mais au lieu de cela, ils sont en train de s’impliquer allègrement dans la crise syrienne. Le Liban est ainsi en train de se transformer en base arrière (Ard nosra, en termes salafistes). Mais en général, celle-ci est appelée à moyen ou long terme à se transformer en terre de jihad. L’armée confisque d’ailleurs régulièrement des armes envoyées vers la Syrie, mais les personnes arrêtées parviennent par des tours de passe-passe à sortir de prison et tout est à refaire. De plus, la tension confessionnelle est telle que la moindre action sécuritaire est détournée à des fins confessionnelles, paralysant ainsi l’action de ceux qui sont chargés de veiller à la stabilité du pays.
À cet égard, le responsable sécuritaire qualifie la vaste opération menée par l’armée dans la Békaa d’action positive, qui permet de mettre un terme aux abus de tous genres qui avaient lieu dans cette région. Quelque part, le duo chiite (Amal et le Hezbollah) a donné son aval à l’exécution de cette opération en retirant sa couverture à tous les contrevenants. Elle a d’ailleurs été annoncée par le président de la Chambre en personne, pour bien montrer qu’elle bénéficie de l’appui total des deux formations. Ce qui est sans doute en leur honneur. Mais c’est aussi surtout dans leur intérêt. Amal et le Hezbollah n’arrivaient en effet plus à contrôler les tribus qui se partageaient le pouvoir dans les régions chiites et rançonnaient la population, tout en lui faisant subir de nombreuses vexations. En même temps, les deux formations chiites ne voulaient pas entrer en confrontation avec ces clans et ces tribus, dont certains des membres sont enrôlés dans leurs rangs. Elles ont ainsi laissé faire l’armée, et l’opération sécuritaire sert ainsi à la fois les intérêts de l’État, de la population et des deux composantes politiques.
Une source sécuritaire précise à ce sujet que l’opération menée par l’armée dans la Békaa n’est pas liée aux informations relatives à la participation d’éléments du Hezbollah aux combats en Syrie aux côtés du régime syrien. La même source confirme la thèse développée par le Hezbollah selon laquelle il existe des villages chiites et chrétiens peuplés de Libanais du côté syrien de la frontière. Et les habitants de ces villages se battent parce qu’ils sont agressés, le conflit en Syrie ayant revêtu par certains aspects une coloration confessionnelle. L’opération menée par l’armée dans la Békaa, après celle de la banlieue sud, est donc appelée à se poursuivre dans l’intérêt de toutes les parties en présence. L’armée a ainsi arrêté les membres de plusieurs réseaux qui enlevaient des personnes en exigeant des rançons ainsi que les membres d’autres réseaux qui exécutaient des hold-up dans les banques. Elle a aussi arrêté plusieurs trafiquants en tous genres. Elle souhaiterait agir de même dans les autres régions, mais les susceptibilités confessionnelles restent un obstacle de taille.
De même, la source sécuritaire précitée est loin d’être aussi rassurée par l’annonce par le Hezbollah de l’envoi d’un drone au-dessus d’Israël. Même si cette annonce est quelque part un signe de fierté pour le Liban, elle risque de compliquer la position de l’État, qui a d’ailleurs aussitôt été accusé de violer les dispositions de la résolution 1701 par l’administration américaine et d’autres membres de la communauté internationale. Pour le moment, il n’est pas prouvé que le drone ait été lancé à partir du territoire libanais. Il peut l’avoir été à partir de Gaza ou d’ailleurs. Mais dans tous les cas, cet exploit embarrasse les autorités libanaises. Le président de la République et le Premier ministre ne peuvent pas le couvrir car il constitue en pratique une violation de la résolution 1701 de l’ONU, et même si celle-ci est régulièrement violée par les Israéliens, l’État libanais ne peut pas officiellement parrainer une telle action, d’autant qu’on ignore jusqu’à présent quelle sera la réaction d’Israël.
(Lire aussi : L’ONU dénonce les atteintes syriennes à la souveraineté libanaise et rappelle le Hezbollah à l’ordre)
Il est clair que le Hezbollah a sciemment choisi ce timing pour bien montrer que toutes les tentatives qui visent à l’affaiblir et à le discréditer ne peuvent pas le détourner de son objectif et de sa raison d’être, qui sont la résistance contre Israël et la défense du Liban face aux visées israéliennes. La campagne menée contre lui et les menaces dont il fait l’objet sont donc vaines et ne l’empêchent pas d’améliorer en permanence ses performances militaires et ses moyens. Mais en même temps, cette initiative a augmenté la tension interne et a alimenté une nouvelle polémique politique qui accentue son isolement interne puisque le chef de l’État et le Premier ministre n’ont pas pu l’appuyer ouvertement.
Au Liban, chaque partie tente donc de tirer la couverture vers elle, au détriment de l’État libanais et de ses institutions... À moins d’un sursaut national, l’avenir ne s’annonce donc pas serein, surtout que l’issue de la crise syrienne demeure floue.
Il y a quelques années, la Syrie facilitait le passage des jihadistes islamistes vers l’Irak pour combattre les troupes américaines. Le régime syrien se croyait très fort et imperméable aux tentatives de déstabilisation. Aujourd’hui, la Syrie est devenue la scène privilégiée du jihad et rien n’indique qu’une issue à la crise soit en vue. Les combattants de l’islam y affluent de tous les coins du monde musulman et il devient de plus en plus...
Pourquoi donc : "Etat coincé entre deux camps". Mais cet "Etat"-là, n'est-il pas lui aussi un "Camp" !
07 h 18, le 19 octobre 2012