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Dossiers Liban - Ressources maritimes

Pétrole et gaz naturel en Méditerranée orientale : chances et défis pour le Liban

Il est primordial pour le Liban de ne pas perdre la zone de quelque 850 km2 de ses eaux territoriales qu’un accord israélo-chypriote attribue arbitrairement à Israël. Il s’agit même d’une double urgence : non seulement l’État hébreu va lancer vers la fin de cette année la production à partir des gisements de Tamar et Leviathan, mais il risque également d’agir avec le Liban comme il avait agi avec les Palestiniens et les Gazaouis après les découvertes gazières au large de Gaza. Israël avait tout fait pour que leur exploitation soit complètement gelée. Conseiller pétrolier, M. Nicolas Sarkis explique.

Un pétrolier commercial s’apprêtant à charger sa cargaison dans le Golfe. Photo US marine

Il est, pour le moins qu’on puisse dire, complètement anormal que, selon les statistiques disponibles, le Liban soit le seul pays du Moyen-Orient, et l’un des très rares pays au monde, à ne pas avoir un seul baril de pétrole ou un seul mètre cube de gaz naturel de réserves prouvées. Non moins anormal est le fait que le Liban ne possède, depuis plus de vingt ans, aucune capacité de raffinage et soit obligé d’importer la totalité de ses besoins en produits pétroliers, sans oublier son énorme déficit électrique en dépit de ses ressources hydrauliques ; et sans oublier non plus le retard pris dans le développement de sources d’énergie renouvelables dont, entre autres, l’énergie solaire et éolienne.

 

(Pour mémoire : Roy Mahfouz parie sur le vent pour ramener la lumière au Liban)


Il est par contre tout à fait normal que cette situation peu reluisante soit le résultat logique d’absence, pendant plusieurs décennies, d’une politique énergétique tant soit peu cohérente. Pour ce qui est en particulier des hydrocarbures, si le nom du Liban n’est suivi que d’un zéro dans les statistiques mondiales sur les réserves pétrolières et gazières, ce n’est pas parce qu’il n’y en a pas dans son sous-sol, mais tout simplement parce que les travaux nécessaires d’exploration pour en trouver n’ont pas été réalisés. Les velléités annoncées de temps en temps d’entamer des campagnes de géophysique et de forage n’ont généralement pas été au-delà des effets d’annonce ou d’une gesticulation improvisée ou dictée, dans le meilleur des cas, par des considérations électorales ou autres bien loin du vrai problème.


La découverte toute récente d’un potentiel colossal de gaz naturel et de pétrole sous les eaux de la Méditerranée orientale prend donc de court un Liban qui, pas plus que bien d’autres, ne s’y était préparé, et qui le place face à des espoirs énormes et des défis non moins énormes. Les litiges qui n’ont pas tardé à surgir entre le Liban et Israël, ou entre la Turquie et Chypre, sur la délimitation des eaux territoriales et des zones respectives d’exclusion économique donnent un avant-goût de la grande partie de bras de fer qui s’est subitement engagée autour de l’immense trésor trouvé pas loin des côtes méditerranéennes. Bien avant le Liban ou la Turquie, les Palestiniens avaient déjà eu l’occasion de prendre à leurs justes mesures les visées et les menaces de l’État hébreu en la matière. Contrairement en effet à ce qui est trop souvent dit et écrit ici et là, les premiers gisements de gaz découverts dans cette zone ne sont pas ceux de Tamar et de Leviathan annoncés en 2009 et 2010 respectivement, au large d’Israël, mais bien ceux mis au jour depuis une quinzaine d’années au large de l’Égypte et du delta du Nil, puis ceux de Gaza Marine-1 et Gaza Marine-2 découverts en 2000 au large de Gaza, dans le cadre d’un accord signé en novembre 1999 par la société britannique British Gas (BG, 60 %), avec l’Autorité palestinienne (10 %) et la société libano-palestinienne Consolidated Contractors International (CCC, 30 %) basée à Athènes. Le même accord BG-AP-CCC comprenait également la construction d’un gazoduc sous-marin destiné à évacuer le gaz découvert vers la Grèce.

 

(Lire aussi : Pour que le pétrole ne se transforme pas en une plaie écologique...)


Les découvertes au large de Gaza n’ont pas manqué d’aiguiser les ambitions d’Israël, d’autant plus que les maigres ressources en gaz de ce pays étaient en voie d’épuisement et que la sécurité de ses approvisionnements énergétiques devenait un objectif prioritaire de plus en plus menacé par les ruptures récurrentes de ses importations de gaz égyptien. Différents moyens ont alors été mis en œuvre par l’État hébreu pour mettre en échec l’accord anglo-palestinien, dont des pressions sur BG, des menaces à l’encontre de l’Autorité palestinienne et, pour finir, l’invasion de Gaza en 2008. Faute de pouvoir s’accaparer les ressources en hydrocarbures découvertes au large de Gaza, Israël aura ainsi pu geler, jusqu’à nouvel ordre, la mise en valeur de ces ressources par les Palestiniens et les Gazaouis. Pour la petite histoire, il convient de rappeler ici que les découvertes, par des sociétés américaines, d’hydrocarbures au large d’Israël ont démenti la fameuse boutade de Golda Meir selon laquelle l’État juif est le seul point de la planète où il n’y a pas une goutte de pétrole. Il n’en reste pas moins que ce sont surtout les gisements de Tamar et Leviathan qui ont été les premiers à confirmer le gigantisme du potentiel en hydrocarbures de la Méditerranée orientale. Tamar est crédité de réserves évaluées à 270 milliards de mètres cubes, tandis que les réserves de Leviathan sont estimées à 560 milliards de mètres cubes. À ces deux gisements s’ajoutent cinq autres plus petits qui portent les réserves dans cette zone, dont une partie revient en fait au Liban, à quelque 1 000 milliards de mètres cubes, soit près d’une fois et demie le total de la production gazière annuelle de l’ensemble des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, y compris l’Algérie, l’Égypte, le Qatar, l’Arabie saoudite et l’Iran.

 

Un bateau sismique, en mission au large des côtes libanaises en septembre, avait

repéré un important gisement azier. Photo AFP

 


Un nouveau Golfe arabe en Méditerranée ?
L’importance des découvertes faites jusqu’ici sous les eaux de la Méditerranée orientale a fait dire que le potentiel en hydrocarbures de cette région pourrait être du même ordre de grandeur que celui du Golfe arabe. Pour le moment du moins, cette comparaison semble hasardeuse. Selon les estimations les plus fiables, dont celles de l’US Geological Survey, le potentiel de ce qui est maintenant appelé le « Bassin du Levant », situé au large des côtes d’Israël, de Gaza, du Liban et de la Syrie, est évalué à 1,68 milliard de barils de pétrole et à 3 450 milliards de mètres cubes de gaz naturel. À cela s’ajoute un potentiel non encore découvert dans le bassin du Nil (délimité par le bassin du Levant au sud, le cône du Nil à l’ouest, par Strabon au nord et par les failles de Pytheus et de Chypre à l’est), estimé à 1,76 milliard de barils de pétrole et 6 850 milliards de mètres cubes de gaz. Le total pour la Méditerranée orientale dans son ensemble est ainsi estimé à 3,4 milliards de barils de pétrole et 9 700 milliards de mètres cubes de gaz naturel.


Ces derniers chiffres représentent grosso modo plus du double des réserves pétrolières prouvées de l’Algérie, aussi bien pour le pétrole que pour le gaz. Il faut toutefois souligner que : 1) les estimations avancées pour la Méditerranée orientale concernent pour l’essentiel des réserves possibles et récupérables, 2) les travaux d’exploration en Méditerranée n’en sont encore qu’à leurs débuts et qu’il n’est pas du tout exclu que de nouveaux forages donnent lieu à des découvertes encore plus importantes que ne l’indiquent les relevés sismiques et les forages, encore très modestes, opérés au cours des dernières années.


Quoi qu’il en soit, les gisements déjà découverts permettent de penser que les pays riverains se trouvent à l’aube d’une nouvelle ère énergétique, avec la possibilité de couvrir leurs propres besoins de consommation pour les décennies à venir, de devenir des exportateurs plus ou moins importants, surtout de gaz naturel, et de bénéficier de flux financiers qui pourraient se chiffrer en milliards de dollars par an, d’investissements considérables induits, directement ou indirectement, et d’autres retombées économiques.


Au niveau international, les nouvelles découvertes en Méditerranée bouleversent dans une large mesure la donne et les perspectives énergétiques régionales et mondiales. Elles interviennent en effet dans un contexte global marqué par l’érosion de la part du pétrole dans la consommation énergétique mondiale (de 48,9 % en 1973 à 33,1 % à présent et à près de 26 % en 2035) au profit, essentiellement, du gaz naturel dont la part dans la couverture des besoins énergétiques mondiaux était d’à peine 15 % il y a 40 ans, avant de passer à 23,8 en 2011 et probablement à 25-26 % dans une quinzaine d’années. Cette évolution a permis à l’Agence internationale de l’énergie, basée à Paris, de parler dans deux rapports volumineux publiés en 2010 et 2012 de l’âge d’or – « golden age » – du gaz naturel qui a commencé. Un âge d’or explicable par les nouvelles découvertes, l’explosion de la demande et l’impact bien moins polluant du gaz, surtout le gaz naturel conventionnel, sur l’environnement. De toutes les énergies fossiles, le gaz naturel est en effet le plus recommandé pour lutter contre le réchauffement climatique.


Cela ne peut que favoriser l’exportation du gaz de la Méditerranée orientale vers l’Europe, un marché tout proche dont les besoins d’importation vont grandissant. Sans oublier pour autant les possibilités d’exportation du gaz sous forme liquéfiée (GNL) vers les marchés asiatiques et autres. La situation actuelle et les perspectives du marché mondial du gaz expliquent par ailleurs le vif intérêt manifesté par les sociétés internationales pour les dernières découvertes en Méditerranée, y compris les quelque trente entreprises qui s’impatientent de conclure des contrats d’exploration avec les autorités libanaises. Mais cela n’est nullement une raison pour le Liban de mettre la charrue devant les bœufs et de signer au pied levé des accords qu’il risque de regretter plus tard. Il s’agit pour le moment de réfléchir à ce qu’il faut faire et de procéder méthodiquement et par étapes, en se hâtant... lentement !

Nécessité absolue d’une politique cohérente
Il va sans dire que la découverte récente d’hydrocarbures sous les eaux de la Méditerranée orientale représente pour le Liban une occasion en or et une chance historique inespérée pour couvrir ses besoins énergétiques, redresser son économie, régler sa très lourde dette et, peut-être, devenir un pays exportateur de pétrole et de gaz naturel. Encore faut-il, pour que ceci ne soit pas un rêve, éviter les écueils et prendre des mesures concrètes dans le cadre d’une politique nationale cohérente et à long terme.

 

(Pour mémoire : Exploration du gaz offshore : tout est prêt... ou presque !)


Pour commencer par le plus urgent, sans pour autant perdre de vue le reste, il est de la plus haute importance de déployer tous les efforts nécessaires pour bien délimiter et faire valider par les Nations unies les tracés des eaux territoriales du Liban, dont ceux de la zone d’exclusion économique qui lui revient. Dans l’immédiat, cet objectif est primordial pour ne pas perdre la zone de quelque 850 km² des eaux territoriales libanaises que l’accord israélo-chypriote attribue arbitrairement à Israël. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le tracé sur la carte de la ligne imaginée par cet accord pour délimiter les eaux territoriales revendiquées par Israël, et ce sans consultation et a fortiori sans un accord avec le Liban. Or cette zone de 850 km² couvre une partie des gisements gaziers découverts, qui s’étirent des deux côtés de la ligne de partage des eaux territoriales libano-israéliennes.


Le règlement de ce litige revêt un caractère d’urgence extrême pour la simple et bonne raison que les préparatifs vont bon train pour démarrer, dès la fin de cette année ou tout au début de l’année prochaine, la production à partir des gisements de Tamar et Leviathan. Par ailleurs, aujourd’hui comme demain et après-demain, le Liban se doit d’être toujours sur ses gardes pour déjouer les visées et les manœuvres de son voisin du Sud et éviter l’amère expérience des Palestiniens et des Gazaouis à propos des découvertes gazières au large de Gaza, dont l’exploitation est complètement gelée. À cela s’ajoute le fait que les sociétés qui vont bientôt commencer à extraire le gaz pour le compte d’Israël ne manqueront probablement pas de « siphonner » des quantités appartenant au Liban. À défaut d’un règlement préalable sur les frontières maritimes et sur le partage des réserves et de la production, il serait extrêmement difficile pour le Liban de se faire dédommager.


Parallèlement à la délimitation des eaux territoriales avec Israël, ainsi d’ailleurs qu’avec les autres pays voisins comme Chypre et la Syrie, le programme d’action à mettre en œuvre comprend, tout particulièrement, les points suivants :


1 – La mise en place d’une Haute autorité ou d’un Conseil supérieur de l’énergie, ayant pour mission de définir les grandes lignes de la politique énergétique du pays et de veiller à son application. Cet organisme devrait logiquement être placé sous la supervision du chef de l’État, du président du Parlement et du Premier ministre, et compter parmi ses membres les ministres compétents et des personnalités ayant l’expérience et la compétence requises en la matière.


2 – L’intensification des efforts en cours pour identifier les structures sédimentaires susceptibles de receler des prospects pétroliers et/ou gaziers sur terre et en mer au large du Liban.


3 – L’élaboration d’un contrat-type, la préparation et le lancement des appels d’offres pour l’exploration, après la division des zones à explorer en blocs et en fonction des résultats des premiers relevés géologiques et géophysiques.
Le Liban est loin de manquer d’hommes (ingénieurs, économistes, juristes, etc.) pouvant être mis à contribution pour relever le grand défi que représente la mise en valeur, ô combien nécessaire, du trésor apparemment énorme qui dort au large de ses côtes. Cela requiert évidemment de la part des dirigeants politiques un consensus autour d’une politique nationale dictée uniquement par les intérêts communs de tous les Libanais, dans un domaine d’une importance vitale pour le pays. Les enjeux économiques et politiques pour le Liban et pour son avenir sont trop grands pour souffrir l’improvisation ou l’amateurisme.

 

Il est, pour le moins qu’on puisse dire, complètement anormal que, selon les statistiques disponibles, le Liban soit le seul pays du Moyen-Orient, et l’un des très rares pays au monde, à ne pas avoir un seul baril de pétrole ou un seul mètre cube de gaz naturel de réserves prouvées. Non moins anormal est le fait que le Liban ne possède, depuis plus de vingt ans, aucune capacité de...

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