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Moyen Orient et Monde - Le point

Un homme, un journal

Thomas Jefferson à La Fayette, en 1823 : « L’unique sécurité pour tous réside en une presse libre. Rien ne saurait résister à une opinion publique capable de s’exprimer librement. » Des propos comme celui-ci, il en existe beaucoup dans les écrits de l’un des pères de la Déclaration d’indépendance de son pays puis président de 1801 à 1809. Celui-ci entre autres : « Si j’avais à choisir entre un gouvernement sans journaux et des journaux sans gouvernement, je n’hésiterais pas un seul instant et opterais pour le second (terme de l’alternative). »
Autant sinon plus que nombre de ses pairs, un homme qui fut trente-six ans durant l’incarnation même de la liberté d’expression est décédé samedi dernier à Southampton, dans l’État de New York, seize ans après son retrait de la vie active. Son nom, Arthur Ochs Sulzberger, demeure associé au New York Times, le quotidien aux 108 Pulitzer Prizes, qui lui a rendu hommage dans un éditorial remarquablement sobre et digne, intitulé « A Free Speech Warrior », un titre mérité par celui qui reste le journaliste ayant résisté aux pressions pour l’empêcher de publier en juin 1971 les Pentagon Papers, une série de huit articles dévoilant, à partir de milliers de pages de documents, les errements de l’administration américaine dans la guerre du Vietnam. Il lui avait fallu auparavant croiser le fer avec la Maison-Blanche (dont l’occupant était alors Richard Nixon), qui avait obtenu d’un juge de Manhattan une interdiction de publication pour « des considérations touchant à la sécurité nationale ». Armé du premier amendement, il avait porté l’affaire devant la Cour suprême qui lui avait donné raison. La présidence était revenue à la charge, demandant à des intermédiaires d’intervenir pour faire valoir les risques encourus par la divulgation de secrets militaires, susceptibles de valoir la prison à leur auteur.
Avant le triste héros du Watergate, John Kennedy puis Lyndon Johnson s’étaient heurtés à la même intransigeance après de multiples démarches pour obtenir un traitement médiatique moins sévère d’une guerre de plus en plus impopulaire aux yeux de l’opinion publique. Tel était Arthur « Punch » Sulzberger, ardent patriote, ancien « marine » qui servit durant la guerre de Corée, défenseur acharné du droit à la libre parole et de la devise de son journal : « All the news that’s fit to print ». « Toute nouvelle » ? Oui, mais à condition que, précisément, elle mérite d’être publiée, une condition sine qua non que des lecteurs ont parfois tendance à oublier.
L’austérité dans l’apparence de la « grey lady » n’a d’égal que sa rigueur dans le traitement de l’information et de celui qui... la rapporte. Jayson Blair pourrait en témoigner, qui eut à subir les foudres de sa direction, après plusieurs cas de plagiat, en particulier d’un article rédigé par un confrère du San Antonio Express-News. Blair vit du coup sa carrière stoppée net, de même que ses deux supérieurs immédiats, Gerald Boyd et Howell Raines, coupables de négligence.
Avant de céder la barre à son fils, Arthur Sulzberger avait eu le temps d’entreprendre une série de réformes. Inspiré par les idées de l’un des administrateurs, John F. Akers – « Gagner de l’argent pour continuer à faire du bon journalisme » –, il diversifia à tour de bras les ressources, créa de nouvelles rubriques, ce qui lui permit d’obtenir de nouveaux annonceurs, augmenta le nombre de pages et racheta un nombre impressionnant de quotidiens, périodiques, chaînes de télévision et stations de radio. Depuis, le journal figure sur le Web, la couleur a fait son apparition et, en trente-quatre ans, il est passé de la linotype au digital, gagnant en jeunesse et en lisibilité. Dans les années quatre-vingt-dix, les médias du monde entier avaient, émerveillés, signalé un exemplaire de week-end qui pesait 2,3 kilogrammes, avec sa bonne dizaine de suppléments.
L’un des hommages les plus émouvants fut celui adressé par Barack Obama à la mémoire du héros du NYT, un homme « fermement convaincu de l’importance d’une presse libre et indépendante, qui ne craint pas la recherche de la vérité, exige des comptes de la part des hommes au pouvoir et fournit les nouvelles qui méritent d’être rapportées ». En 1896, le grand-père, Adolfe S. Ochs, qui venait de racheter – en empruntant – un Times moribond, décrivit en ces lignes le pari qu’il venait de prendre : « Fournir les nouvelles de manière impartiale, sans crainte et sans favoritisme, quels que soient le parti, la secte, les intérêts. »
Pari tenu, malgré quelques sorties de route, inévitables parfois, rattrapables presque toujours. Porter le fer là où ça fait mal, mais aussi savoir, le cas échéant, porter le cilice : telle est la grandeur de ce qui, plus qu’une profession, est une mission.
Thomas Jefferson à La Fayette, en 1823 : « L’unique sécurité pour tous réside en une presse libre. Rien ne saurait résister à une opinion publique capable de s’exprimer librement. » Des propos comme celui-ci, il en existe beaucoup dans les écrits de l’un des pères de la Déclaration d’indépendance de son pays puis président de 1801 à 1809. Celui-ci entre autres : « Si...
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