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À La Une - Reportage

Les villages libanais frontaliers, sauf ceux des alaouites, terrorisés au quotidien par leur voisin syrien

Le long de la frontière nord et nord-est du pays, le pilonnage de villages libanais par l’armée syrienne, postée à quelques kilomètres de là, est devenu un fait divers d’une banalité déconcertante et surtout effrayante pour les habitants.

Une vue du territoire syrien à partir d’une porte criblée de balles, à Menjez.

Située dans le point de mire de l’artillerie de l’armée régulière syrienne, cette région névralgique continue de subir au quotidien les foudres du pays voisin.
Les obus qui ponctuent le rythme de vie de ses habitants, poussés à fuir les lieux le plus souvent durant la nuit, ne ménagent personne depuis pratiquement le début de la crise syrienne. À l’exception de quelques villages alaouites, tels que Aïn ez-Zeit notamment, qui semblent encore relativement épargnés, pour des raisons évidentes.
Malgré le déploiement de l’armée libanaise dans la région, rien n’a changé pour les populations démunies du coin, sauf, peut-être, un réconfort moral que les patrouilles effectuées par la troupe ont apporté, sans plus. La frustration est d’autant plus grande que les soldats libanais sont incapables, par leur simple présence, de protéger la population des bombardements ou de dissuader leurs confrères syriens qui persistent à poursuivre leur campagne punitive contre la région.
Les rumeurs les plus fantaisistes circulent sur l’infiltration d’hommes armés en Syrie à partir du Liban –
des membres présumés de l’ASL –, ou encore les tirs de nuit qui visent la troupe syrienne de l’autre côté. S’ils sont vérifiés, ces « ouï-dire » ne peuvent en tous les cas justifier la sanction imposée aux habitants, dont la plupart affirment n’avoir rien à voir avec le conflit armé qui gronde à leurs portes.
C’est ce que relève notamment une veuve de Menjez, un village chrétien situé à 500 mètres à peine à vol d’oiseau de la Syrie qui reçoit quotidiennement son quota d’obus. « Oui en effet, la région est bourrée d’hommes armés et de munitions. Je les invite d’ailleurs à venir s’en servir », ironise Nohad, au bord de la crise nerveuse.
Tournant le dos à la Syrie, Nohad fume cigarette sur cigarette, en contemplant les dégâts occasionnés par les mortiers que l’armée syrienne a parsemés autour de sa résidence, dont la construction vient d’être achevée « il y a à peine deux ans ».

Douleur
Veuve depuis deux ans également, après avoir perdu un fils de trente ans lors d’un accident de travail, elle observe, avec amertume, les ouvriers syriens qui replâtrent sa maison, soufflée il y a quelques semaines par un nouvel obus. D’une voix aigrie, elle crie sa douleur au monde et s’indigne de la fatalité qui la poursuit.
« Je vis toute seule ici. Je n’ai plus ni mari ni fils à mes côtés. Le soleil m’a brûlé les épaules et Dieu, le cœur. Et maintenant voilà que le régime syrien vient en rajouter. Pourquoi, qu’ai-je donc fait? » s’interroge cette femme qui n’arrive pas à comprendre pourquoi sa maison hante tellement l’armée syrienne.
Sept obus de mortier se sont abattus dans le périmètre de sa résidence, à l’entrée, et dans le jardin principalement. Le huitième a frappé de plein fouet sa chambre, qu’elle avait heureusement quittée quelques instants avant l’impact.
« Le Liban n’a jamais tiré un seul obus par-delà ses frontières (en direction de la Syrie). Pourquoi ils nous tirent dessus ? Ils disent qu’il y a des hommes armés qui s’infiltrent à partir du Liban. C’est peut-être vrai. Mais nous ne les avons jamais vus de nos propres yeux », s’écrie encore Nohad, dont le deuil lui paraît interminable.Dans la foulée, elle affirme comprendre « que les autorités syriennes veulent protéger leur frontière » et qu’il est de leur droit de le faire. « Mais pas aux dépens des gens », répète-t-elle à l’envi.
Nohad n’est pas la seule victime de ces actions vengeresses. Le long de la route qui longe la frontière en direction du couvent Notre-Dame de la Forteresse, les traces d’obus sont visibles sur les façades des maisons. Rares sont celles qui ont été épargnées.
Tous les soirs, une grande partie des habitants vivant tout près de la frontière plient bagage pour aller dormir chez des amis, des proches, à l’intérieur du village qui s’étale en profondeur. « Le soir où ils ne pilonnent pas la localité, il faut s’attendre à ce que le lendemain ils nous envoient une dose doublée », nous confie avec un brin de sarcasme Georges. Cet ancien officier de l’armée jure pourtant que ce n’est pas l’appartenance politique des habitants de Menjez qui en est la cause, les allégeances étant ici panachées.
Ce n’est vraisemblablement pas le cas de Nouret Tahta, le village sunnite voisin, dont les habitants, arborent fièrement leur couleur politique préférée et proclament leur soutien à Saad Hariri et à la révolution syrienne.
Ahmad, la trentaine, n’en démord pas. Bien que sa maison, faisant face aux villages syriens de Massyadeh et Hajjar Abyad, a déjà reçu deux obus, il affiche sans ambages sa sympathie ainsi que celle de l’ensemble des habitants du village à l’opposition syrienne. Ahmad assure cependant que les accusations portées contre eux de soutien aux membres de l’ASL sont infondées.
« Nous n’abritons pas les terroristes comme ils l’affirment », se dépêche-t-il de signaler. La seule explication plausible, selon lui, est à rechercher dans « la rancune que voue le régime syrien au Liban depuis la révolution du Cèdre qui a permis de bouter l’armée syrienne hors du Liban ». Au chômage depuis plusieurs mois, il n’a toujours pas pu restaurer la façade abîmée de sa maison et lance pêle-mêle un message aux Nations unies et au ministère libanais des Affaires sociales, en vue d’une aide quelconque.

Appui à Assad chez les alaouites
À une dizaine de kilomètres de là, à Aïn ez-Zeit, un village entièrement alaouite, le poids du voisinage avec la Syrie est nettement moins ressenti. Ici, on entend tomber les obus au loin et on relativise. « Les obus qui tombent à côté de nous ou chez les voisins ne sont pas envoyés dans le but de faire du mal », affirme Salwa qui croit dur comme fer que l’objectif visé est « de faire peur simplement ».
 La jeune femme, qui ne tarde pas à proclamer son soutien au président Bachar el-Assad, affirme qu’il s’agit d’une « riposte aux tirs lancés à partir d’ici. Ils (les soldats syriens) n’auraient pas tiré de obus en direction du Liban si, de ce côté, ils se tenaient tranquilles », dit-elle en essayant désespérément de dédramatiser les conséquences des attaques.
« Les obus qui tombent dans la localité ne font aucun dégât. Ils ne font ni morts ni blessés », assure, à tort d’ailleurs, la jeune femme.
À ce jour, le pilonnage frontalier a fait une trentaine de morts et de blessés, dont, récemment, un soldat de l’armée.
Les Syriens tirent également en direction du Liban « pour intimider les réfugiés et leur faire comprendre qu’ils doivent retourner en Syrie », ajoute Salwa qui souligne que « les trois quarts de la population syrienne se sont déversée chez nous ».
Pour son fils, 16 ans, ce sont des hommes armés qui circulent la nuit tout le long de la frontière en tirant en direction de l’armée syrienne, qui attisent la tension. Déployés dans des zones précises, les soldats de l’armée libanaise ne peuvent pas les traquer ni les empêcher de sévir, explique-t-il.
Affichant sa prudence à l’égard de la thèse de son fils, le papa, un ancien soldat à la retraite, assure que les rumeurs qui circulent sont nombreuses et difficilement vérifiables.
Plus réservé que sa femme par rapport à son soutien au régime syrien, il conclut sur une note d’optimisme, affirmant que sunnites, alaouites et chrétiens « vivent en paix depuis toujours sur cette frontière et continueront de le faire ».
Sauf que la paix intercommunautaire semble aujourd’hui toute relative pour les habitants de ces villages frontaliers, terrorisés au quotidien par la puissance de feu syrienne et désabusés par rapport à l’impuissance de l’État libanais à les protéger.

 

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