Même Michel Samaha, arrêté, menotté, transféré au commissariat et qui avait lâché cet immonde mais shakespearien « Ce sont les ordres de Bachar », avait gardé une petite once de dignité. Il y a toujours une petite once de dignité dans la prise de conscience, dans l’acceptation – de la réalité, de la défaite, de la chute. Cette dignité-là, Jamil Sayyed ne l’a pas, ne l’a jamais eue. Atteindre le degré infini du pathétique et s’y agripper comme un noyé à sa bonbonne d’oxygène, s’agripper comme un ex-patron d’une Sûreté générale-Vichy à la certitude que le temps béni des Rustom Ghazalé ressuscitera et que cette bonne ville de Anjar sera de nouveau l’espace-temps des gauleiters syriens n’a effectivement rien de glorieux. Mais peu lui importe. À l’heure où l’avocat de Michel Samaha écartait presque la larme à l’œil le concept même d’innocence de son client, Jamil Sayyed éructait. Toutes ses rancœurs, toutes ses haines, toutes ses convictions, il les crachait contre Achraf Rifi. Et Wissam Hassan. Et les autres. Persuadé de vivre encore à l’ère Émile Lahoud-Omar Karamé. Persuadé d’être redevenu intouchable. Que tous les Detlev Mehlis de la planète en général et du Liban en particulier n’oseront plus rien faire contre lui. Persuadé que ses menaces font trembler les hommes. Petit lieutenant d’un totalitarisme alaouite qui vit ses dernières heures, Jamil Sayyed avait hier toute la gestuelle et toute la dialectique histrionique d’un chabbiha d’Assad, persuadé que le Hezbollah le protégera toujours, que le Hezbollah recréera pour lui un nouveau 7 Mai, que le Hezbollah ne survivra pas politiquement s’il ne fait pas de lui un autre Marwan Farès. Convaincu et hermétique. Et aveugle. C’est comme s’il ne voyait pas à quel point le parti de Dieu semble avoir tranché, maintenant que l’Iran est sur le point de négocier et le régime syrien de mourir. Comme s’il ne voyait pas à quel point Michel Sleiman est devenu président de la République. Comme s’il ne voyait pas à quel point les FSI ont les moyens, scientifiques et légaux, d’aller jusqu’au bout. « Nous irons réellement jusqu’au bout et il le sait. Il sait que nous savons et il sait que nous avons toutes les preuves. » Interrogée par L’Orient-Le Jour, cette source autorisée au sein des FSI est d’une sérénité folle. Cette sérénité que Jamil Sayyed assure avoir perdue au cours de ses quatre années d’inique emprisonnement. Pendant qu’il en a encore le temps et avant que le juge ne l’écoute demain, qu’il aille donc faire un stage de quelques heures chez Samir Geagea : lui, c’est onze ans d’embastillement qu’il a vécus. Sans jamais avoir ne serait-ce qu’approché ces abysses, pathologiques, de déréalité.
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et
Et le plus drôle est que cet homme veut devenir député. Un élu du peuple. Le plus triste sera qu'il puisse être élu par cette minorité milicienne du peuple qu'est le Hezbollah. Carlos Achkar
07 h 04, le 12 septembre 2012