Une vague laïcisante impute au confessionnalisme le mal-être social libanais. L’équation est simple: d’une part l’école publique, créatrice de cohésion sociale; de l’autre, l’école privée, porteuse de divisions et profondément confessionnelle! Les écoles communautaires renforcent-elles les clivages communautaires?
Une solution fréquemment avancée est la sécularisation. Les écoles religieuses céderaient alors la place à l’école laïque, en mesure de produire l’identité nationale et la cohésion sociale. La démonstration est théoriquement plaisante. Dans la réalité, la complexité du tissu social libanais laisse sceptique.
Considérer que l’école laïque peut à elle seule créer l’unité et l’identité commune à l’ensemble des Libanais revient à lui accorder le monopole de la socialisation politique des enfants. Or l’école n’est pas le seul canal de socialisation, a fortiori dans des sociétés multicommunautaires. Chaque instance de socialisation occupe une place, avec des messages diversifiés plus ou moins intenses. L’individu capte et intègre les informations reçues en fonction du contexte dans lequel il évolue.
La famille est l’agent de socialisation primaire par excellence. L’enfant y construit sa propre image du monde politique et social en fonction des représentations qu’il emprunte à ses parents. Cet agent est vite secondé par la deuxième instance de socialisation, l’école, qui permet à l’individu de prendre des distances avec les stéréotypes hérités de son milieu familial.
Dans les pays comme le Liban qui cumulent clivages communautaires et longues périodes de troubles politiques ponctuées de conflits ouverts, il est moins aisé de cloisonner les différents canaux de socialisation. La stratification confessionnelle donne à la famille un rôle prépondérant. Cela permet à la famille de transmettre en masse ses propres valeurs à l’enfant, valeurs qu’elle détient elle-même de la communauté à laquelle elle est rattachée et aussi du milieu.
Les lacunes dans l’apprentissage de la citoyenneté démocratique sont à chercher plus loin que dans le simple clivage école privée communautaire/école publique. Les élèves sont déjà communautarisés au sein de leur famille, bien avant qu’ils franchissent la porte de leurs écoles.
Un problème de mixité
Une observation plus poussée de la vie éducative libanaise montre, pour les écoles publiques, que dans un contexte où se côtoient des enfants issus de milieux défavorisés et où l’école, par manque de moyens, est incapable de créer de l’émancipation sociale, les réflexes de replis identitaires sont bien plus nombreux que dans le cadre des écoles privées. Dans les établissements privés, la mixité sociale et communautaire que l’on observe dans les classes, renforcée par une ambiance propice à la bonne tenue des cours, encourage et consolide la cohésion sociale.
Les barrières érigées entre l’école publique et l’école privée sont souvent des barrières imaginaires. Dire que les élèves des écoles religieuses sont « confessionnalisés » et incapables de devenir de bons citoyens, c’est renforcer des suspicions intercommunautaires. La réalité est que les élèves, qu’ils soient issus des écoles privées ou de l’école publique, restent profondément marqués par les réflexes traditionnels qu’ils ont hérités de leur famille. Néanmoins, conscience de la nécessité du vivre ensemble qu’ils concrétisent autour de valeurs qui font consensus chez l’ensemble des Libanais.
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Au-delà de l’entreprise complexe et hasardeuse qui consiste à laïciser formellement l’ensemble des établissements, il faut tout simplement encourager la bonne application des programmes d’éducation civique. Ces programmes, qui ont fait l’objet de longues années de réflexion et qui s’imposent indifféremment aux écoles privées et publiques, sont la voie opérationnelle pour la diffusion des valeurs d’unité et du pacte national.
Dans un pays où la vie publique a, depuis longtemps, oublié la civilité, l’éducation est plus que jamais l’issue de secours des jeunes générations et le gage d’une société apaisée et solidaire.
*Le texte est un extrait d’un mémoire de mastère en études politiques, Institut de sciences politiques à l’USJ : Formes et enjeux de la socialisation politique au Liban, dir. Fadia Kiwan, juil. 2012, 102 p.