Qui pouvait se douter que cela viendrait si vite ? On venait à peine de mettre les cahiers au feu. Dans quelques jours, débordants de tendresse pour les petites bouilles si brunies de soleil qu’on croirait sentir le pain chaud en les embrassant, nous éteindrons les rêves en ouvrant les volets. Debout. La brosse à dents, l’horrible verre de lait, le klaxon du bus, la cloche, l’envie de faire pipi toujours au pire moment. Tandis qu’encore bouffis ils lutteront contre le sommeil pour accorder leurs mains, leurs yeux et leurs oreilles à la voix de la maîtresse, nous serons à nouveau dans les embouteillages. C’est parti. C’est tout.
Qu’y a-t-il de plus rassurant, au fond, que la rentrée des classes ? On voudrait que cela n’arrive jamais, puis on se rend compte qu’il y a un confort très doux dans ces journées qui se rythment, ce temps qui arrête de se diluer au soleil, ces heures remplies d’avance où la vie gagne en densité ce qu’elle perd en désinvolture. Apprendre. A-t-on plus nécessaire, plus fondamental à faire dans un parcours d’homme ?
À l’heure où l’on assiste, dans le monde en général, au Liban en particulier, à une dégradation du niveau de l’éducation sinon de l’enseignement ; à l’heure où l’on constate les dégâts que ce recul occasionne dans tous les domaines, sur les routes, dans les administrations, dans les commerces, dans les relations entre les gens, la qualité des conversations, le bon goût, la qualité de vie en général, plaidons pour une meilleure rémunération des enseignants. Ils nous sont bien plus indispensables que les militaires et fonctionnaires. Il est bien connu que les armes ni les armées ne suffisent à gagner les guerres. En négligeant l’instruction, nous nous condamnons à régresser inexorablement jusqu’à devenir une cible immobile pour le premier prédateur venu. Alors debout ! La brosse à dents, le lait, le bus, la cloche, les yeux, les oreilles...