Au lieu d’interdire le tabagisme dans les lieux public fermés, ils auraient mieux fait d’interdire le blocage des rues menant à l’aéroport. Au lieu d’interdire les publicités pour la cigarette, ils feraient bien d’arrêter les kidnappings.
Les contrevenants et les exploitants des lieux seront soumis à des amendes considérables alors que les milices contrôlent le pays. Un pays où les gens, en toute impunité, conduisent en parlant au téléphone sans mettre de ceinture de sécurité, brûlent les feux rouges et renversent les piétons. Un pays où les usines émettent les gaz les plus toxiques et déversent leurs matières chimiques dans nos fleuves sans qu’aucun responsable ne réclame des comptes à leurs propriétaires. Un pays où des clans, des tribus possèdent des « ailes militaires » (sic) dont les membres enlèvent des innocents, ferment l’aéroport et déclarent la guerre.
Et que font les responsables? Ils s’affairent à interdire la cigarette. À ôter un des rares plaisirs qui nous restent pour faire face à toutes les folies et les catastrophes que nous côtoyons. La cigarette est notre échappatoire et on veut nous l’interdire !...
Avant de contrôler le tabac, qu’on contrôle la vie politique, les prix, la circulation automobile, la pollution, l’agriculture, le chômage, l’immigration des jeunes, les explosions, les vols, les armes de parti ou du tel, l’électricité...
Parce que moi, libanais, face à tous ces problèmes, j’ai choisi de ne rien faire sauf fumer et râler. La citoyenneté est un concept qui m’échappe, le respect des lois ne m’intéresse pas et toujours, face à une règle qui ne me convient pas, j’invente mille raisons et façons pour ne pas m’y conformer.
Une minute de réflexion m’amènerait à réaliser que c’est ma dépendance au tabac qui me pousse à dire des choses qui devraient me faire honte. Mais une minute, c’est du temps perdu, et la honte, c’est un autre concept qui m’échappe.
Face à l’entrée en vigueur de la loi 174 (interdisant le tabac dans les lieux publics fermés, notamment les restaurants, depuis le 3 septembre sous peine d’amende), certains fumeurs, habitués à infliger leur addiction aux autres, se trouvent frustrés et demandent au gouvernement de régler des problèmes plus pressants tout en présentant les arguments cités ci-dessus.
En tant qu’activiste, ayant peiné pendant des années pour obtenir cette loi, je tiens à signaler que parmi les gens qui nous ont aidés tout au long de ces années, se trouvent un bon nombre de fumeurs qui tiennent à la santé publique et au respect des droits des autres.
Malheureusement, nous vivons dans un pays où les lois ne sont jamais appliquées ou très rarement, où la guerre et le confessionnalisme sont des menaces constantes, où les droits le plus basiques de l’homme ne sont pas assurés. Bref, un pays où il est réellement difficile de vivre.
Mais du moment que nous avons choisi d’y vivre, faisons-le avec un peu de dignité, un peu de respect, un peu de bonne volonté, et surtout avec beaucoup d’espoir. L’espoir de voir ce pays renaître de ses cendres, de le voir souverain, de voir les milices enfin désarmées et les honnêtes gens au pouvoir.
L’espoir de pouvoir voir nos enfants grandir et sauver ce pays de la dérive, l’espoir d’avoir un meilleur environnement, une meilleure économie. L’espoir d’avoir de l’électricité 24 heures sur 24.
Entre-temps, nous n’avons pas de baguette magique, nous n’avons pas la potion de Panoramix et les dieux nous ont abandonnés. Si régler nos problèmes devra se faire à petits pas, alors ainsi soit-il. Prenons ce qu’on peut et travaillons avec acharnement pour obtenir le reste.
Si la pollution est une cause qui nous motive, si la pauvreté nous déprime, si la condition de la femme nous irrite, ne fumons pas pour oublier nos soucis, militons pour améliorer nos conditions. Les organismes et organisations qui luttent pour ces causes ne nous demandent que notre aide. Alors, mettons notre pessimisme de côté, mettons notre fameux laxisme de côté et faisons nos premiers pas vers la citoyenneté responsable.
Aux réserves naturelles de l’Afrique du Sud, les gens sont priés de s’abstenir de fumer pour protéger les animaux. Revendiquer les mêmes droits pour l’homme ne semble pas trop demander.
Quant à certains propriétaires de restaurants, ils sonnent le tocsin en disant que la loi 174 sera nuisible à l’économie et au tourisme, qui a déjà beaucoup souffert cette année. Ils ont raison de déplorer la baisse des revenus dérivés du secteur touristique, mais la loi 174 n’est pas le coupable. Il faut plutôt blâmer le manque de stabilité politique, la violence, la situation économique, les turbulences qui saisissent toute la région.
Un des moyens auxquels pourraient avoir recours les restaurateurs consisterait à mieux voter aux prochaines élections. Dans tous les pays qui ont appliqué des lois similaires, des études ont été conduites et ont démontré que la loi antitabac n’affecte pas négativement les revenus. Si tous les restaurants sont non-fumeurs, les gens fumeront simplement dehors comme ils le font déjà quand ils sont en dehors du pays.
Alors disons oui à une loi qui nous rapprochera d’un petit pas des pays civilisés, une loi qui découragera nos enfants de fumer, une loi qui promouvra la santé publique car, que les sceptiques le veuillent ou pas, le tabagisme, s’il n’est pas l’ennemi public numéro un, figure certainement parmi les tout premiers. C’est à nous, les composantes de la société civile, de veiller à ce que cet ennemi soit battu par l’application de la loi 174.