Il n’est sans doute pas très réaliste de réclamer l’expulsion de l’ambassadeur de Syrie, comme l’exigeaient mercredi les jeunesses du 14 Mars, comme le faisaient à leur tour hier les étudiants du Parti socialiste progressiste.
Pour commencer, on voit mal le gouvernement actuel accéder à une telle exigence, contrôlé qu’il est par le Hezbollah et nanti d’un ministre des Affaires étrangères si soucieux des intérêts syriens qu’il mériterait bien de siéger à Damas plutôt qu’à Beyrouth. Et même si un tel coup de théâtre survenait, ce serait quasi certainement la rupture pour longtemps, à l’initiative des Syriens et en guise de représailles, de ces relations diplomatiques dont nous avons longtemps souhaité l’instauration, y voyant en effet une reconnaissance plus que formelle du Liban, en tant qu’État indépendant et souverain.
Salutaire, revigorante et fort utile pourtant aura été cette vague de protestations, et c’est tant pis pour le réalisme. Pour peu en effet que Ali Abdelkarim Ali fasse son travail d’ambassadeur – lequel consiste, entre autres tâches, à renseigner correctement son gouvernement –, il ne pourra que rendre compte, en direct, de l’impopularité croissante d’un régime baassiste qui, non content de massacrer son propre peuple, s’emploie maintenant à exporter son chaos au Liban. Il devrait, de même, alerter ses patrons sur la désaffection croissante de leurs vieux alliés locaux, qu’atterre l’effritement, lent mais régulier, du pouvoir des Assad. Il pourrait tout aussi bien relever leur évident manque d’enthousiasme à cautionner les projets terroristes de Damas, révélés par la récente arrestation de l’ancien député et ministre Michel Samaha. Et qui sait, en poussant un peu plus la conscience professionnelle, l’ambassadeur pourrait signaler, au vu de toutes ces manifestations, quel pesant boulet pour la diplomatie syrienne en terre libanaise est devenue sa propre, envahissante et arrogante personne.
Plus sérieusement, les démonstrations des derniers jours sont surtout remarquables en ceci qu’elles traduisent un regain de vitalité du camp souverainiste, au terme de la longue léthargie qui l’affectait depuis que la majorité parlementaire avait basculé en faveur des forces politiques prosyriennes. D’autant plus effectif, au demeurant, est ce réveil, que c’est sur la place publique – et plus précisément autour du buste du journaliste assassiné Samir Kassir, prophète du printemps de Syrie – que s’opéraient hier les retrouvailles du 14 Mars avec les fidèles du leader druze Walid Joumblatt, artisan du séisme parlementaire de l’an dernier.
Oui, il est bon que les griefs libanais aient été clamés à la face de l’ambassadeur Ali Abdelkarim Ali, même si cela ne suffira probablement pas pour le convaincre de rentrer chez lui . Et tant qu’à parler de séisme, c’en est un de taille que vient de susciter le président égyptien Mohammad Morsi en s’en allant chez les Iraniens, qui accueillaient la conférence au sommet des pays non alignés, pour condamner sans appel le régime oppresseur de leur protégé syrien. Il en va parfois de la politique comme du grand spectacle : rien ne vaut le direct !
Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb
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OLJ / le 01 septembre 2012 à 00h50