Il est désolant que « notre » belle langue de Molière, jadis si imagée et fleurie, devienne de plus en plus bâtarde, envahie d’anglicismes comme ce « geek » que nos jeunes utilisent à tout bout de champ pour dire « mordu de quelque chose ». Et tout ces mots issus de l’arabe, comme fiqh, hijab, jihad, hadith, qibla et qassida, ou encore provenant des pays africains, comme cette semoule de manioc attieke... Pendant qu’on y est, que viennent faire les deux sauces anglaises mornay et satay, ou encore, en droite ligne du Japon, tout ce qui a trait aux arts martiaux avec judoka et son féminin judokate, manga et son dessinateur mangaka, sans oublier les expressions propres aux Canadiens, aux Belges, aux Espagnols, comme ces carreaux bleu azulejo ou ce vin rouge rioja ; aux Helvètes, à l’instar de ce vent chaud devenu sèche-cheveux, le foehn, qui vient souffler le chaud et le froid sur des mots en argot et en verlan qui vous hérissent comme meuf pour dire femme, beauf pour dire beau-frère et feuj pour dire juif. Si vous en redemandez, voici les mots d’origine hébraïque avec yeshiva, mitsva et menora, ce chandelier à sept branches. Et encore toute une kyrielle de termes se rapportant au monde de l’informatique et de son network, les deux les plus futés étant ce sympathique verbe « clavarder » qui veut dire chater sur Internet et qui est un mot valise entre « clavier » et « bavarder », et l’astucieux netiquette qui désigne l’ « étiquette » et le « savoir-vivre » sur le « Net », sans oublier le wiki qui n’est autre que Wikipedia, l’encyclopédie du Net, et pourriel qui est le courrier indésirable, contraction également des mots « courriel » et poubelle « .
Eh oui, à l’ère du Nasdaq, un autre mot entré dans le dictionnaire, dépassée et un peu ringarde se retrouve notre langue de salon peut-être, mais tellement précieuse et parlante par ailleurs. Tenez, par exemple, qu’y a-t-il de plus précieux que le mot vénusté, pour designer cette beauté digne de Vénus, ou de plus savant que le terme joliveté pour décrire ce qui est joli à voir, ou de plus mystérieux que le mot alcôve pour parler au XVIIe siècle de la partie de la chambre où les précieuses tenaient salon, d’où les secrets d’alcôve, ou de plus élégant que le nom de Richelieu pour designer non pas celui qui fonda l’Académie française, mais une paire de chaussures ?
Par ailleurs, n’est-il pas exquis de savoir qu’un banal grain de beauté change coquinement d’épithète suivant de l’endroit où il s’exhibe sur votre visage ? Au fait, saviez-vous que la mode des « mouches », petites pièces de taffetas noir collées sur le visage pour faire ressortir la blancheur du teint, s’est répandue chez les coquettes dès la fin du XVIIe siècle ? Au coin de l’œil se trouvait l’assassine ; sur le front, la majestueuse ; dans le pli du rire, l’enjouée ; au milieu de la joue ; la galante, sur le nez d’une belle effrontée ; pour cacher un bouton, la receleuse ; et, tenez-vous bien, à la commissure des lèvres, la baiseuse. Génial! Des amorces d’amour espiègles, rehaussées de jolivetés en l’occurrence, sorties droit de chez Dulac, de la rue Saint-Honoré, ou encore d’une ère magique où Proust, À la recherche du temps perdu, avec un lyrisme inégalé, décrit le grain de beauté de sa dulcinée, qu’il s’était rappelé tantôt sur la joue, tantôt sur le menton, pour finir par s’arrêter à jamais sur la lèvre supérieure, au-dessous du nez...
Somme toute, à cette époque ou les politiciens lèvent leur doigt en parlant, et bien loin du souffle proustien, où les tribunaux sont bâillonnés, où les peuples sont vendus, où l’argent a changé de main et les langages d’éloquence, ces coquetteries de la langue française se situent, il faut le regretter, à des lieues de notre langue fast-food où un des mots les plus prosaïques qui n’est autre que le verbe « kiffer » est venu détrôner en bon « cha3bi » l’aristocratie du verbe aimer.
Lina SINNO Veuillez vous connecter pour visualiser les résultats Il est désolant que « notre » belle langue de Molière, jadis si imagée et fleurie, devienne de plus en plus bâtarde, envahie d’anglicismes comme ce « geek » que nos jeunes utilisent à tout bout de champ pour dire « mordu de quelque chose ». Et tout ces mots issus de l’arabe, comme fiqh, hijab, jihad, hadith, qibla et qassida, ou encore provenant des pays africains, comme cette semoule de manioc attieke... Pendant qu’on y est, que viennent faire les deux sauces anglaises mornay et satay, ou encore, en droite ligne du Japon, tout ce qui a trait aux arts martiaux avec judoka et son féminin judokate, manga et son dessinateur mangaka, sans oublier les expressions propres aux Canadiens, aux Belges, aux Espagnols, comme ces carreaux bleu azulejo ou ce vin rouge rioja ; aux Helvètes, à l’instar de ce vent chaud devenu...