Les relations entre le Liban et la Syrie ont toujours divisé les Libanais, mais à la faveur de la crise syrienne, le fossé s’élargit et les positions se radicalisent de jour en jour, non seulement dans les rangs de l’opinion publique, mais aussi entre les hauts responsables de l’État.
Sous le titre « Damas : celui qui attend un appel d’Assad... devra attendre longtemps », le journal as-Safir a publié dans son édition d’hier un article au vitriol rendant compte d’une offensive généralisée contre le président de la République, Michel Sleiman, menée par le régime syrien et par certains de ses alliés au Liban.
Il y a deux semaines, le chef de l’État avait glissé dans une interview une « petite phrase » qui, comme on pouvait s’y attendre, a suscité la colère des dirigeants syriens. S’exprimant sur fond d’affaire Samaha, M. Sleiman avait dit qu’il « attend un appel du président syrien Bachar el-Assad ». Tenus après sa décision de féliciter ostensiblement le directeur général des FSI, le général Achraf Rifi, et le chef des SR des FSI, le brigadier Wissam el-Hassan, pour leur rôle dans la découverte du complot, ces propos du chef de l’État donnaient à penser qu’il accorde du crédit à la piste syrienne évoquée dans l’enquête et qu’en conséquence, le président syrien lui doit des explications.
L’auteur de l’article du Safir, Nabil Haytham, affirme que la prise de position du chef de l’État a été perçue comme une provocation à Damas. À tel point qu’une personnalité libanaise étroitement liée au régime syrien rapporte ce qui suit de la bouche d’un haut responsable de ce régime :
« La position de Sleiman est un acte offensif dont l’effet n’est pas moindre sur la Syrie que celui qu’elle subit à l’intérieur du fait des groupes terroristes.
« Damas s’est accoutumé, depuis le début de la crise en Syrie, à voir en Michel Sleiman un sermonneur qui se trompe de timing et un porte-parole pour autrui, s’exprimant en américain, en français, en saoudien, en qatari, en turc et en tout ce qui fait montre d’hostilité envers la Syrie.
« Damas considère que de par l’approche qu’il a adoptée au sujet de l’affaire Samaha, Michel Sleiman a entériné l’accusation directe lancée contre la Syrie, ce qui signifie qu’il a pris une décision anticipée de rompre diplomatiquement avec elle. En conséquence, il n’est plus besoin de contacts ou d’éclaircissements ni sur cette affaire ni sur autre chose.
« Pour la Syrie, la phrase de Sleiman comporte deux volets : dans le premier, il s’agit d’une tentative nullement innocente de suggérer que le président Assad est directement accusé dans une affaire qui suscite de nombreux points d’interrogation ; dans le second, il est fait montre d’une méconnaissance réelle du président Assad. Et si Sleiman est sérieux dans ses propos, alors il lui faudra attendre longtemps l’appel promis. »
Ces commentaires semblent recueillir l’aval d’un certain nombre d’alliés de la Syrie au Liban. Le même article cite, en effet, un pilier de la majorité actuelle affirmant que le chef de l’État a rendu le verdict dans l’affaire Samaha et pointé du doigt la Syrie avant qu’une accusation officielle n’ait été prononcée et avant même que l’homme (Michel Samaha) ne soit déféré devant la justice militaire. Et c’est le même Michel Sleiman qui a fermé les yeux sur des dizaines de tentatives de faire du Liban une base d’attaque contre la Syrie (...)
Une autre personnalité connue pour ses liens étroits avec M. Assad estime, de son côté, que la décision du président libanais de hausser le ton à l’égard de son homologue syrien « s’inscrit dans le cadre d’une lecture présidentielle de crise syrienne tombant sous l’influence de l’agenda des puissances impliquées dans la bataille contre la Syrie ».
Mansour et les « bonnes intentions » de Damas
Pendant que le président de la République subissait cette attaque en règle de la part du régime syrien, le ministre des Affaires étrangères, Adnane Mansour, a continué, pour sa part, à prendre fait et cause pour ce régime.
À Téhéran où il s’est rendu pour prendre part à la conférence des « non-alignés », M. Mansour a considéré, dans une interview à une chaîne iranienne, que le régime syrien « a montré à plusieurs reprises ses bonnes intentions en ce qui concerne le règlement de la crise et la poursuite des réformes ».
Mettant en garde contre toute velléité de mettre en place des zones d’interdiction aériennes en Syrie, il a affirmé que « cela n’aiderait absolument pas à la solution et constituerait une ingérence extérieure ».
Pour le chef de la diplomatie libanaise, tout comme pour le régime syrien, « la solution est intérieure et doit être trouvée entre les partenaires de l’opposition et la direction syrienne ».
Allant dans le même sens que les détracteurs du chef de l’État cités par le Safir, le parti Baas prosyrien a estimé hier, dans un communiqué, que « ce qui se passe aujourd’hui au Liban est un épisode complémentaire de l’agression que subit la Syrie ».
Quant au député PSNS de Baalbeck, Marwan Farès, qui a été reçu hier au siège de l’ambassade de Syrie à Beyrouth par l’ambassadeur Ali Abdel Karim Ali, il a renouvelé « la pérennité de l’alliance » de son parti avec Damas et s’est inscrit en faux contre les appels à dénoncer les traités conclus entre les deux États à l’époque de la tutelle syrienne.
M. Farès a également estimé que « les choses en Syrie vont dans la bonne direction ».
La manif du 14 Mars
Du côté du 14 Mars, on se préparait hier à la manifestation prévue aujourd’hui à côté du palais Bustros pour réclamer l’expulsion de l’ambassadeur Ali du Liban.
Ce sont les organisations de jeunesse au sein des formations de l’opposition qui avaient appelé à ce rassemblement, avalisé par les états-majors. Les manifestants sont appelés à se regrouper à 18 heures, ce soir, dans le grand parking attenant au campus de l’USJ rue Huvelin. Une marche partira de cet endroit en direction du siège du ministère des Affaires étrangères, montée Accaoui.
Des personnalités politiques du 14 Mars participeront à la manifestation, mais seulement les dirigeants des organisations estudiantines devront y prendre la parole.
« Nous descendrons dans la rue pour donner une image civilisée de notre mouvement pacifique et démocratique, au contraire de ce que fait le 8 Mars qui bloque des routes et brûle des pneus », a déclaré hier à l’agence al-Markaziya le chef du département des étudiants au sein des Forces libanaises, Nadim Yazbeck.
Il a précisé que l’objectif essentiel de la manifestation était d’obtenir du ministre des Affaires étrangères l’expulsion de l’ambassadeur de Syrie, mais aussi d’amener M. Mansour à « remplir son devoir diplomatique et politique au sein du gouvernement lorsque la souveraineté du Liban est violée par un autre État ».
Réuni hier comme chaque mardi sous l’égide de son chef, Fouad Siniora, le bloc parlementaire du Futur a repris en écho la demande d’expulsion de l’ambassadeur syrien, réclamant en outre le gel des traités et accords signés entre les deux pays, le démarchage de la Finul pour « étudier les moyens d’aider l’armée libanaise à contrôler la frontière » libano-syrienne et la réactivation du dossier des détenus et disparus libanais en Syrie.
Allant plus loin encore, un député de ce bloc, Atef Majdalani, a affirmé que le 14 Mars étudiait actuellement les modalités d’une « escalade » visant à obtenir le limogeage du ministre des Affaires étrangères, « d’autant plus qu’il a refusé d’obtempérer aux directives du président de la République qui lui demandait de convoquer à son bureau l’ambassadeur de Syrie ».
Dans cette bataille entre pro et antisyriens, seul le camp aouniste paraît être de plus en plus en retrait. Le bloc du Changement et de la Réforme « est contre la transformation du Liban en théâtre enflammé par les événements de Syrie », s’est ainsi contenté de dire le député Alain Aoun, à l’issue de la réunion hebdomadaire du bloc.
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08 h 35, le 29 août 2012