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Économie - Analyse

Liban : S’attaquer à la productivité et la corruption... et vite !

Une analyse du directeur général du ministère libanais des Finances.

Alain Bifani, directeur général du ministère des Finances. Photo archives

Le débat autour de la croissance est bien lancé en Europe. À juste titre, le candidat François Hollande en avait fait le thème principal de sa campagne, et c’est devenu son leitmotiv depuis sa victoire. L’Europe, qui est de manière évidente sa priorité absolue, lui doit d’avoir initié une réflexion commune autour des moyens à mobiliser pour renouer avec une croissance robuste, après une longue période de niveaux modestes. L’Europe, avec la désindustrialisation galopante et des moyens de moins en moins adaptés à ses besoins, en avait grandement besoin.


Pour des raisons comparables et bien d’autres encore, il est capital que le Liban fasse également un point sérieux sur le sujet, pour mettre en place un agenda de réformes indispensables afin de se donner les moyens de se repositionner, alors même qu’il est distancé dans son rôle supposé de prestataire de services à l’échelle régionale, que sa main-d’œuvre dans le Golfe est concurrencée par les nouvelles vagues de travailleurs diplômés de la péninsule indienne, que ses finances publiques souffrent d’un déficit énorme qui est graduellement devenu structurel, et que le manque de compétitivité de son appareil de production et la faible valeur ajoutée qui s’ensuit sont très visibles dans le gros déficit de son compte courant. Ce dernier indicateur est par ailleurs systématiquement négligé par les analystes et responsables politiques libanais, alors qu’il est à mon sens bien plus parlant que celui de la dette publique qui obsède tout le monde. Quand le déficit est important et que la dette augmente, cela veut dire que l’État dépense trop, alors qu’un compte courant fortement (et structurellement) déficitaire signifie qu’il y a un problème de productivité, et que l’économie perd les moyens qui lui sont nécessaires pour croître, engranger des recettes publiques, et donc, à terme, sortir de la spirale de la dette.


En somme, en se focalisant sur la dette publique, on s’intéresse aux conséquences et on oublie de traiter les causes, ce qui explique les échecs permanents. Pendant ce temps, le stock de la dette continue à afficher une taille inquiétante, et les intérêts sont financés par des influx massifs, le plus souvent attirés par des conditions d’intermédiation qui leur sont favorables, ce qui fait supporter une charge de plus en plus lourde aux contribuables. Dans d’autres cas, ces influx ont été générés de manière artificielle pour assurer la survie du système, comme cela fut le cas avec les conférences des pays donateurs, mais ce phénomène, au moins autant que les influx « naturels », a induit des mœurs dangereuses et parfois perverses. La tendance à vivre au-dessus de ses moyens et à produire très peu alors même que l’on consomme de manière effrénée s’est installée lentement mais sûrement, avec un marché de l’emploi qui offre de moins en moins d’opportunités à une jeunesse qui est soit de moins en moins disposée à faire des efforts pour s’imposer au fil des ans comme étant une classe dirigeante de plein droit, soit pressée de prendre le chemin de l’exil par désespoir vis-à-vis des perspectives locales.


On pourrait dire qu’il y eut par intermittence quelque balbutiement de politique qui se voulait favorable à la croissance. Nous sommes passés par un ersatz de keynésianisme pendant une certaine période, qui consista à augmenter la dépense publique jusqu’à vider les caisses de l’État dans l’espoir de relancer la demande, et qui s’est accompagné de malversations en tout genre qui ont accentué les effets néfastes de cette politique et réduit le multiplicateur à un chiffre proche de l’unité. Il y eut également les tentatives de stimulation de l’économie par des baisses mal ciblées des charges fiscales, ce qui contribua à assécher encore plus les deniers publics, même si cela contentait des lobbies puissants et protégeait des intérêts particuliers qui concernent entre autres la grande majorité de l’élite locale. Plus d’argent dans les caisses implique qu’il n’y aura plus de sitôt une politique keynésienne de grande échelle, malgré le besoin de plus en plus massif d’infrastructures physiques dont le manque contribue largement à entraver la croissance. D’ailleurs, il n’y a aucune raison de penser que l’approche keynésienne est une réponse efficace au besoin de croissance soutenue, au vu des expériences passées. Quant à la stimulation par la baisse des recettes, elle n’est plus du tout d’actualité après ses échecs répétés et du fait du besoin impérieux de renflouer les caisses pour espérer assurer les investissements publics nécessaires et les filets sociaux les plus élémentaires. Pour être exhaustif sur le sujet, rendons justice au premier projet de budget 2012 qui avait fait la part belle aux infrastructures nécessaires et aux dépenses sociales longtemps attendues, et qui n’a malheureusement pas vu le jour.


La grande question qui se pose à nous dans l’immédiat est de savoir s’il est judicieux d’essayer de relancer la consommation comme moteur de croissance. Faut-il en clair opter pour une correction massive immédiate de la politique salariale ? Dans le privé, l’ajustement déjà opéré, même modeste, a mis en exergue les limites inquiétantes de la compétitivité libanaise, et la poursuite de l’augmentation du coût du travail risque de porter un coup sérieux à ce qui nous reste de secteurs de production. Dans le secteur public, le surdimensionnement de l’éducation nationale et des forces armées par rapport à une administration publique exsangue empêche la politique salariale de rendre la fonction publique attrayante, en l’absence d’une politique volontariste visant à augmenter la productivité de l’appareil étatique, car chaque coup de pouce donné à l’administration entraîne un coût supplémentaire énorme dans les autres corps – parfois pléthoriques – de l’État.


Une autre tentation possible est de (continuer à) ne rien faire. Sauf que cela suppose que l’environnement extérieur soit de nature à compenser nos difficultés, ce qui est loin d’être le cas vu les développements tragiques en Syrie et les effets de contagion sur les pays limitrophes, y compris les plus puissants d’entre eux.


En résumé, nous ne sommes plus à un point où il nous est possible de choisir les thérapies simples, telles que l’attente, la relance par l’investissement public ou encore par la consommation privée. Il nous faut désormais envisager, et au plus vite, un remède plus long et plus contraignant : un boost de la productivité per capita. Cela nécessite des heures de travail plus longues, des marges brutes plus importantes permettant plus d’investissement privé, une meilleure formation du capital humain, une plus grande capacité d’innovation et d’entrepreneuriat, mais aussi un secteur public où l’on ne substitue plus les emplois improductifs aux compétences requises dont la nécessité se fait de plus en plus cruellement sentir. Cela veut dire qu’il reste une marge très étroite pour les compromis qui rythment notre vie publique, et qu’il devient impératif de donner du champ à ceux qui comptent retrousser leurs manches pour bâtir un avenir différent. Encore un point : il est capital de donner un coup de frein à la spirale de la corruption, d’abord parce que l’échelle de valeurs qu’elle induit est particulièrement néfaste à l’investissement et au bien-être, mais aussi parce que l’argent facile dont notre société raffole est le pire ennemi du dur labeur, de la productivité et de la compétitivité.
Et le temps presse.

Le débat autour de la croissance est bien lancé en Europe. À juste titre, le candidat François Hollande en avait fait le thème principal de sa campagne, et c’est devenu son leitmotiv depuis sa victoire. L’Europe, qui est de manière évidente sa priorité absolue, lui doit d’avoir initié une réflexion commune autour des moyens à mobiliser pour renouer avec une croissance robuste,...

commentaires (1)

toi mon pote tu vas te faire taper sur les doigts par Istiz Nabeuh (pardon Gaby Nasr) pour avoir oser suggérer de dégraisser son "cher" mammouth . Sinon l'analyse est globalement correct sauf que pour le compte courant bien malin celui qui pourra maîtriser les mécanismes internes de transmissions des flux entre la frange purement domestique et celle supra-nationale (les immigres et les flux souverains ou quasi-souverains). Rafic Hariri avait bien compris cela et avait dribblé le problème en faisant du développement infra-structurel de qualité espérant créer une dynamique et un tremplin que les acteurs économique utiliseraient avec enthousiasme pour a terme créer une dynamique positive qui a son tour impacterait les comptes de la nation. une autre politique serait dirigiste et -au Liban- fatalement voué a l’échec

Lebinlon

10 h 00, le 16 août 2012

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Commentaires (1)

  • toi mon pote tu vas te faire taper sur les doigts par Istiz Nabeuh (pardon Gaby Nasr) pour avoir oser suggérer de dégraisser son "cher" mammouth . Sinon l'analyse est globalement correct sauf que pour le compte courant bien malin celui qui pourra maîtriser les mécanismes internes de transmissions des flux entre la frange purement domestique et celle supra-nationale (les immigres et les flux souverains ou quasi-souverains). Rafic Hariri avait bien compris cela et avait dribblé le problème en faisant du développement infra-structurel de qualité espérant créer une dynamique et un tremplin que les acteurs économique utiliseraient avec enthousiasme pour a terme créer une dynamique positive qui a son tour impacterait les comptes de la nation. une autre politique serait dirigiste et -au Liban- fatalement voué a l’échec

    Lebinlon

    10 h 00, le 16 août 2012

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