Une fois de plus, la crise syrienne s’impose dans toute sa complexité sur la scène libanaise. Ce qu’on appelle désormais « l’affaire Michel Samaha » n’en est qu’un nouvel exemple. Indépendamment des charges retenues ou non contre l’ancien ministre et député, et sans tenir compte des fuites de l’enquête – qui devrait être secrète à ce stade des investigations – rapportées à profusion par la presse depuis jeudi matin, le timing de l’arrestation et la manière dont elle a eu lieu ainsi que l’identité du service qui a exécuté l’opération ne peuvent pas être dissociés de la crise syrienne.
Les milieux du 8 Mars estiment ainsi que cette arrestation constitue en quelque sorte une réponse indirecte à la visite de Saïd Jalili au Liban au début de la semaine, au cours de laquelle le responsable iranien avait rappelé aux autorités libanaises qu’il ne faut pas faire basculer le Liban dans le camp de l’opposition syrienne sous le couvert de la politique de dissociation. En ce sens, selon le 8 Mars, le timing est très significatif. L’arrestation est aussi intervenue alors que la bataille d’Alep, sur laquelle l’opposition syrienne et ses parrains misaient pour renverser le régime ou accélérer sa chute, est en train de tourner à l’avantage du président Assad... Quant à la manière, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est musclée et injustifiée – surtout quand on pense que l’ancien ministre rentrait tranquillement de vacances et dormait paisiblement dans son lit, sans gardes du corps autour de la maison ni éléments armés –, elle viserait essentiellement à créer un choc psychologique et à intimider non seulement M. Samaha et les membres de sa famille, mais aussi tous ceux qui comme lui continuent d’appuyer le régime syrien et sa thèse de complot international et arabe fomenté contre lui.
Pour les milieux du 8 Mars, le choix de M. Samaha n’est pas dû au hasard. Il fallait frapper une figure symbolique connue pour montrer d’une part la toute-puissance du camp libanais proche de l’opposition syrienne et pour montrer qu’aucune tête, même celle qui se croit protégée par ses relations au-delà des frontières, n’est à l’abri. Enfin, les milieux du 8 Mars sont convaincus que l’arrestation de Samaha et la mise en scène qui l’a entourée sont aussi un test des forces et des réactions. En effet, le 14 Mars a ainsi montré qu’il continue de contrôler une partie de la justice, sans parler de l’efficacité de l’unité des informations au sein des FSI pourtant largement contestée par le 8 Mars, face à un gouvernement en principe à coloration unique mais qui apparaît de plus en plus incolore et impuissant. Il reste maintenant à attendre la réaction du 8 Mars, notamment du Hezbollah et d’Amal.
Si la base de ces deux formations considère que l’arrestation de Michel Samaha est un coup direct qui exige une réaction (certains font même la comparaison avec le 5 mai 2008 et l’affaire des caméras près de l’aéroport), les commandements, eux, préfèrent attendre un peu, le temps de voir l’évolution de l’enquête judiciaire. Jeudi soir, l’unité des informations au sein des FSI a envoyé les principaux points du dossier au Hezbollah et au président de la Chambre, pour expliquer qu’il s’agit bien d’une affaire sérieuse et que l’ancien ministre est quasiment indéfendable, dans une tentative de les pousser à calmer le jeu et à ne pas réagir violemment en organisant des sit-in et en coupant des routes comme il en avait été question. Si les détails de l’enquête restent encore confus, les milieux du 8 Mars mettent en doute les informations véhiculées dans les médias. Qu’on l’aime ou pas, Michel Samaha est un homme du verbe, un intellectuel, et on le voit mal se transformer soudain en convoyeur de bombes comme le dernier des voyous. Il ne dispose pas d’une immunité de député ou de ministre et encore moins de diplomate pour qu’on lui demande de transporter des explosifs dans sa voiture. Il y a aussi tellement d’explosifs au Liban qu’on voit mal pourquoi il ne se servirait pas, s’il en a besoin, sur place au lieu de les amener de Syrie. De plus, Samaha a souvent défendu la thèse selon laquelle le régime syrien a tout intérêt à ce que le Liban-Nord reste calme pour ne pas avoir à sa frontière une zone totalement hostile. Enfin, le régime syrien dispose encore de beaucoup de petits groupes alliés, voire d’agents au Liban, pour être obligé d’avoir recours à Michel Samaha dans l’exécution de ce genre de besogne.
Pour toutes ces raisons, la thèse selon laquelle il aurait convoyé des explosifs à bord de sa voiture dans le but de préparer des attentats au Liban-Nord, notamment contre les députés Khaled Daher et Mouïn Meraabi, ne semble pas très plausible. Même si ceux qui répandent ces informations font état de preuves indiscutables. Mais en cette période de développement technologique, tous les montages sont possibles, le Hezbollah ne cesse lui-même de le répéter.
Pour l’instant en tout cas, le mot d’ordre du 8 Mars est donc d’attendre. Mais si l’affaire s’avère purement politique, il ne pourra pas se taire sur une manipulation aussi grave. De toute façon, il ne peut pas laisser l’équilibre actuel des forces au Liban basculer à l’avantage du 14 Mars. S’il a la preuve qu’à travers Michel Samaha c’est lui qui est visé, ainsi que ses options régionales et arabes, il devra réagir.
Ballotté entre deux pôles d’influence rivaux, le Liban est plus que jamais l’otage de la crise syrienne. Pour l’instant, il est l’arrière-cour du conflit...
commentaires (5)
Les ténors HUIT Bélzébuthiens qui claironnent à haute voix et s'érigent en champions de la justice, si certain de l'autre côté est épinglé pour quelque futilité, gardent un silence profond et coupable dans cette affaire, claire comme le jour, qui aurait fait des centaines de victimes et mis le feu aux poudres dans le pays. Silence plus que coupable ! SILENCE CRIMINEL !!!
SAKR LEBNAN
13 h 15, le 11 août 2012