Les journaliers de l’EDL essayant de forcer les grilles du siège de l’office à Nahr, le 30 mai dernier. Photo Michel Sayegh
Très contesté par les députés des Kataëb, du CPL, des Forces libanaises, des Marada, du bloc des députés d’Achrafieh, de Zahlé et du Tachnag, auxquels le bloc du Futur s’est associé, le mode de vote intervenu lundi soir risque de faire voler en éclats l’édifice gouvernemental fragilisé à la base par les tiraillements entre ses membres et d’ébranler certaines alliances, si le Parlement ne fait pas machine arrière.
Or le président de la Chambre, Nabih Berry, a fait savoir hier, on ne peut plus clairement, qu’il n’est pas question pour lui de soumettre de nouveau le texte de loi au vote. Il a jeté la balle dans le camp du chef de l’État et des députés, en affirmant qu’une solution constitutionnelle est possible : soit le chef de l’État refuse de signer la loi et la renvoie au Parlement, soit, s’il l’approuve, les députés peuvent présenter un recours en invalidation devant le Conseil constitutionnel. Il s’exprimait ainsi au cours de l’audience hebdomadaire qu’il accorde aux députés, mais qui a été boycottée hier par les députés du bloc du Changement et de la Réforme.
Le bureau de la Chambre doit se réunir cet après-midi, sous la présidence de M. Berry, pour approuver (ou non) le procès-verbal de la réunion de lundi, et surtout, pour discuter d’une affaire dont la gravité ne réside pas seulement dans la tournure confessionnelle qu’elle prend, mais dans le fait qu’elle touche directement au principe de la séparation des pouvoirs.
Les députés contestataires reprochent à la présidence du Parlement non seulement un vote nébuleux, auquel il a été procédé au mépris des règles constitutionnelles, mais une tentative de rogner les prérogatives de l’autorité exécutive. Cette tentative s’est manifestée à la faveur de l’examen du dossier des journaliers et des percepteurs de l’EDL et a été vivement dénoncée par le CPL, dont le ministre de l’Énergie et de l’Eau, Gebran Bassil, s’est fait l’écho, au terme d’un entretien avec le Premier ministre, Nagib Mikati, ainsi que par l’ensemble des députés chrétiens, à l’exception de ceux qui sont membres des blocs Berry et du Hezbollah.
Un sujet, deux textes
L’équipe Mikati a en effet soumis au Parlement depuis près de six mois un projet de loi prévoyant l’entrée au cadre, sur base d’un concours, de près de 700 journaliers et percepteurs de l’EDL. Ce chiffre, approuvé sur proposition du ministre de l’Énergie et de l’Eau, correspond aux besoins de cet office en effectifs humains et n’accable pas trop son budget déficitaire. Mais dans le même temps, une proposition de loi avait été présentée par les députés Ghazi Zeayter, Ayoub Hmayed (bloc Berry), Nawar Sahili (Hezbollah), Akram Chehayeb (bloc Joumblatt) et Mohammad Kabbani (bloc du Futur). Selon des sources parlementaires, les deux textes avaient été examinés simultanément en commissions. Mais même à cette époque, des grincements de dents s’étaient fait entendre, les députés du CPL reprochant à leurs collègues d’accorder la priorité à la proposition plutôt qu’au projet de loi. La proposition de loi prévoit la titularisation de près de 2 500 journaliers et percepteurs, ce qui implique une masse salariale supplémentaire de près de 150 milliards de livres par an, qu’EDL n’a pas la possibilité d’assumer. Les contestataires avaient fini par se retirer de la commission en signe de protestation, d’autant qu’ils avaient été écartés d’une sous-commission qui avait été chargée, sous la présidence de M. Kabbani, d’étudier les deux textes pour dégager une formule unifiée.
Face à la pression exercée par les journaliers de l’EDL, il avait été décidé d’inscrire les deux textes à l’ordre du jour de la réunion parlementaire. On connaît la suite. « On ne nous a même pas donné le temps de défendre le projet de loi », s’est insurgé M. Bassil au Sérail.
De toute évidence, le vote, que des députés ont qualifié d’irrégulier, a répondu à des exigences politiciennes électorales. L’accepter, c’est créer un précédent grave, à deux niveaux : constitutionnel, puisqu’il représente une atteinte flagrante aux prérogatives du gouvernement ainsi qu’au règlement intérieur de la Chambre, et administratif, puisqu’il permettra à des contractuels dans d’autres administrations de recourir au même procédé pour entrer au cadre.
Dans les milieux du groupe parlementaire contestataire, on insiste sur le fait qu’il appartient au président de la Chambre de rectifier le tir, en mettant en relief la responsabilité qu’il assume à ce niveau et le fait qu’une initiative qu’il prendrait dans ce sens ne peut pas être assimilée à une défaite. « Nous voulons seulement pouvoir introduire les amendements qu’il faut au texte », a observé un parlementaire, en relevant que l’affaire a pris une dimension nationale.
Concertations avant la réunion du bureau de la Chambre
Le président Michel Sleiman y a fait allusion devant le conseil de l’ordre des journalistes, en affirmant que le système libanais est l’un des meilleurs pour la gestion des affaires publiques, « à condition de ne pas l’exploiter pour paralyser l’État ». Bkerké s’y est aussi arrêté dans son communiqué mensuel, en insistant sur « le respect des règles constitutionnelles, du pacte de coexistence et des exigences de la participation » au pouvoir.
La réunion, cet après-midi, du bureau de la Chambre devrait donner une indication sur l’orientation que prendra cette crise, d’autant que les journaliers de l’EDL envisagent de recourir de nouveau à l’escalade. « Dans tous les cas, un bras de fer ne mènera nulle part », relève un parlementaire qui juge nécessaire une initiative conciliatrice de Nabih Berry. Selon des sources concordantes, le bureau de la Chambre ne pourra pas approuver l’ordre du jour de la séance de lundi, la majorité de ses membres étant hostile au mode de vote du texte de loi contesté. Si tel est le cas, le blocage constitutionnel est appelé à s’accentuer : aucune des lois approuvées le même jour – les dépenses hors budget ou le code de la route – ne pourra être mise en vigueur et, face à la détermination des députés à boycotter le Parlement et le Conseil des ministres, c’est l’ensemble de l’État qui sera de nouveau paralysé.
Mais d’ici là, une solution pourrait intervenir, espère-t-on dans plusieurs cercles politiques. Les concertations se multiplient d’ailleurs entre les membres de la « nouvelle opposition ». Ces derniers, a indiqué hier le député Ahmad Fatfat, coordonnent leurs positions et envisagent de boycotter les réunions parlementaires à venir si M. Berry s’abstient de toute initiative réparatrice. Les députés Samy Gemayel, Ibrahim Kanaan et Georges Adwan sont en contact permanent. Aujourd’hui, le vice-président de la Chambre, Farid Makari, tiendra une réunion de coordination, à Meerab, avec le chef du parti des FL, Samir Geagea, pour examiner les moyens d’améliorer l’action du Parlement.
Parallèlement, Gebran Bassil et Ibrahim Kanaan ont rendez-vous dans la matinée avec le président de la République et seront ensuite reçus à Bkerké par le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï.