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Diaspora - Enquête

L’entraide communautaire libanaise, mythe ou réalité ?

L’entraide entre les migrants libanais est-elle un pur mythe ? Si pour certains, un légendaire esprit de soutien mutuel s’instaure entre les Libanais à l’étranger, d’autres sont plus sceptiques et estiment que la réalité est bien plus complexe. Enquête aux États-Unis.

SPRINGFIELD (capitale de l’Illinois, États-Unis), Pauline M. KARROUM

Quatorze ans. C’est le nombre d’années qu’a déjà passées aux États-Unis cet ancien étudiant en médecine de l’AUB. Installé aujourd’hui avec sa famille à Springfield, celui qui est devenu un brillant professeur associé en cardiologie pédiatrique tente par tous les moyens de tendre la main à ses concitoyens libanais.
Dans sa demeure familiale, il est très fréquent de croiser de nouveaux arrivants du Liban. La majorité reste inadaptée au système américain, et a continuellement le mal du pays. Ici, on vient d’ailleurs se confier sur ses difficultés d’insertion, ses problèmes d’adaptation. Une nostalgie ressentie lorsqu’on est loin de son pays d’origine qui n’est pas sans rappeler à ce médecin, qui a voulu garder l’anonymat, son propre vécu.
Il explique: «Lorsque je suis arrivé en 1998 à New York, je n’avais personne à qui me confier. J’en ai souffert et j’ai décidé que lorsque je le pourrai, j’apporterai une attention particulière à mes concitoyens. Je sais à quel point c’est important de faire sentir à un nouvel arrivant qu’on comprend ses souffrances, ses coups de blues.»
Ce soutien moral est primordial, certes, mais il n’est pas le seul qu’apporte ce médecin aux nouveaux venus libanais. Sa maison à Springfield est devenue un véritable lieu d’accueil pour ses compatriotes qui n’ont pas encore trouvé d’appartement ou qui sont de passage dans la ville. Déjà, lorsqu’il résidait dans son petit appartement new-yorkais, il recevait des étudiants en médecine venus de l’AUB pour passer un entretien. Et lorsque l’occasion se présentait, il n’hésitait pas à appuyer la candidature de ces derniers devant son directeur de programme. Il insistait également pour que des interviews soient accordées à certains.
C’est un vrai combat qu’il mène maintenant depuis des années, même s’il ne voit pas les choses sous cet œil. «Ce n’est pas un combat. Pour moi, un Libanais est comme un frère, il fait déjà partie de la famille.» Son implication au sein d’un comité qui recrute les étudiants en médecine voulant poursuivre leur résidanat à Springfield a permis à plusieurs Libanais de réaliser leur rêve américain. Outre les étudiants, ses collègues bénéficient de son soutien professionnel.
Qu’est-ce qui le pousse à aider autant ses concitoyens? N’est-il pas découragé par l’ingratitude de certains? Ne prend-il pas des risques en appuyant des personnes qui, parfois, ne sont pas à la hauteur de ses espérances? «Non, assure-t-il. Cela ne me décourage pas et ne m’empêche pas d’agir suivant mes propres convictions.»

Certains préfèrent la distanciation
Et pourtant, ce médecin rapporte que lors de son arrivée outre-Atlantique, ce sont les Américains qui ont l’accueilli à bras ouverts bien plus que ses compatriotes libanais. Il n’est d’ailleurs pas le seul à le constater. Il est très souvent fait référence à cette réalité lors de nos entretiens avec des émigrés vivant aux États-Unis. Pour beaucoup, les Libanais ne font pas passer les intérêts de la communauté en premier, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Ils privilégieraient d’ailleurs une attitude de distanciation entre eux. Le but est de camoufler la rude compétition professionnelle qui parfois les oppose.
En témoignent les propos de ce migrant: «À diverses occasions, on se rend compte que les relations de jalousie ou de rivalité sont féroces. Et comme tous ne sont pas parvenus à la même réussite sociale, ils se déclarent quasiment la guerre». Il ajoute que «les réseaux tissés par les Libanais à l’étranger ne sont pas exclusivement intracommunautaires. Ils sont basés surtout sur la recherche de leur intérêt individuel. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à tourner le dos à leurs concitoyens afin de mieux assurer leur réussite».
Dans une étude, l’anthropologue Isabelle Dubost note que «les Libanais fondent leur système d’appartenance sur des réseaux. C’est un groupe ouvert au monde, en mobilité constante tout en étant là. La référence territoriale à laquelle ils s’identifient est celle d’un réseau mondialisé».
Il est vrai que nombreux sont les Libanais qui se perçoivent comme citoyens du monde, et pas simplement les citoyens de leurs pays d’origine ou d’accueil. La question est de savoir si cela a un impact sur les relations d’entraide entre eux.
SPRINGFIELD (capitale de l’Illinois, États-Unis), Pauline M. KARROUM Quatorze ans. C’est le nombre d’années qu’a déjà passées aux États-Unis cet ancien étudiant en médecine de l’AUB. Installé aujourd’hui avec sa famille à Springfield, celui qui est devenu un brillant professeur associé en cardiologie pédiatrique tente par tous les moyens de tendre la main à ses...