La réalisatrice Rania Stephan. Photo Carine Khalaf
Quelle relation entretenez-vous avec l’actrice égyptienne Soad Hosni ?
Ma relation avec Soad Hosni dure depuis longtemps. Depuis que j’étais étudiante en audiovisuel, j’ai appris tous les courants cinématographiques, de la nouvelle vague au cinéma expérimental. Mais jamais le cinéma arabe. Un jour, je suis tombée par hasard sur un long-métrage de Soad Hosni et j’ai été éblouie par sa performance et par l’intérêt du film. Du coup, je me suis mise à voir toutes ses œuvres. Ma thèse a même porté sur cette actrice en tant qu’héroïne du cinéma populaire. Et ce n’est qu’après sa mort que j’ai décidé de lui rendre hommage en retraçant sa propre histoire personnelle à travers tous ses films.
Un hommage que vous rendez au cinéma égyptien également ?
Oui, exactement. J’ai toujours pensé que le cinéma égyptien n’a jamais été reconnu comme il le fallait. Et c’est à travers Soad Hosni que j’ai eu la chance de célébrer ce cinéma, porte-parole du 7e art arabe.
Que voulez-vous dire par les « 3 disparitions » dans le titre du film ?
L’idée principale était la disparition tragique de l’actrice. Mais en faisant mes recherches, je me suis rendu compte que la vie professionnelle de Hosni a évolué simultanément avec le cinéma égyptien. À partir des années 2000, ce cinéma s’est mis à régresser et la vidéo à disparaître. Je peux alors dire que la disparition de « Sousou » (j’aime à l’appeler ainsi) a marqué un tournant dans l’industrie du cinéma égyptien. Cela est mon point de vue, car je souhaite garder au spectateur cette liberté d’interpréter ce chiffre 3 à sa manière.
Combien de temps a nécessité ce film ? Parlez-nous un peu de votre démarche.
Tout a commencé en 2001, lorsque je suis allée à Londres filmer le Stewart Tower, là où Soad Hosni est décédée. Ensuite, j’ai réalisé que je ne visais pas cette approche classique de documentaire puisque la comédienne était absente. J’ai donc décidé de me servir de toutes ces archives et de mes recherches pour en faire un film. J’ai donc visionné tous ses films, je les ai triés, découpés en thèmes, en dialogues, en musique... pour finalement me rendre compte que l’image vidéo n’était pas juste un support, mais un élément dans la narration du film. Par la suite, j’ai trouvé un fil conducteur qui me permit de raconter une fiction avec des éléments de fiction. Et c’est de là que le montage s’est mis à se former.
Adopter cette approche n’était-il pas un risque à prendre ?
J’étais terrifiée et à la fois très excitée. Je ne savais pas si cette idée était vraiment réalisable. J’avais peur que le spectateur ne puisse pas comprendre mon univers. Aujourd’hui, je me réjouis d’apprendre que différents publics ont apprécié le film. Cela prouve que j’ai réussi en quelque sorte à leur transmettre ma passion. Je vous avoue que je ne me lasse jamais de Soad. Je suis capable de voir et de revoir ses films une dizaine de fois. Il y aura toujours ce quelque chose qui perdurera au-delà de la fiction.
Quel est exactement le genre de votre film ?
Dans mon travail, j’aime brouiller les limites entre un genre et un autre. Par ailleurs, je trouve que le documentaire se rapproche beaucoup de la fiction puisque celle-ci révèle beaucoup plus de facettes que la réalité elle-même. On peut dire que mon film est aux frontières des deux genres. Les archives représentent l’image la plus vraie de ce qui reste de Soad Hosni et ma propre interprétation représente le virtuel de l’histoire. Mon film crée ainsi sa propre forme.
Où le film a-t-il voyagé ?
Après avoir gagné le meilleur prix du documentaire au Doha Tribecca film festival à Qatar, le film a remporté le prix Renaud Victor à Marseille. Il a également été projeté dans des musées comme une œuvre d’art : un mois à la galerie Serpentine, à Londres, et 3 mois au Musée d’art moderne, à New York. Ainsi, cette œuvre multiforme peut être présentée en tant qu’œuvre artistique dans les musées et en tant qu’œuvre cinématographique dans les salles de cinéma.