Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Feues les sciences humaines, ou l’âge des manipulateurs

Les sciences dites humaines, telles que développées dans la plupart des facultés les plus prestigieuses dans le monde, sont-elles vraiment humaines?
La propension à l’académisme, le halo de prestige des sciences de la nature et de leur efficience, la tendance à une scientificité qui ravale les sciences humaines à des sciences «sociales» à tendance plutôt quantitative, la bureaucratisation de la recherche, le recul des « Humanités » dans l’enseignement préuniversitaire avec la prédominance des branches dites scientifiques sont un ensemble de facteurs qui propagent une perception dominante préjudiciable à l’humanité des sciences humaines.
Des esprits éclairés, ayant peut-être perdu l’espoir d’humaniser les sciences dites humaines dans la scientificité ambiante, parlent aujourd’hui de science de l’humain et commencent à montrer, et démontrer, une réalité apparemment banale que l’humain est, aussi, scientifique, et que le subjectif, même au sens le plus péjoratif, est aussi une donnée du problème et objet de science.
La sociologie, la psychanalyse, l’anthropologie... ont constitué pour les sciences humaines un approfondissement et une renaissance par rapport au savoir conventionnel.
Mais le carriérisme universitaire en ce qui concerne les enseignants, le mercantilisme de la recherche et sa bureaucratisation, et surtout l’enseignement des méthodologies par des répétiteurs plutôt que par des chercheurs et scientifiques chevronnés... débouchent sur une mentalité en vogue qui consiste à tout quantifier, mathématiser, et même à considérer que plus c’est quantitatif et mathématisé, plus c’est scientifique!
La dérive a ravagé, depuis une vingtaine d’années, l’enseignement du droit, le plus souvent réduit à sa dimension technique contentieuse (ce qui est fort utile et nécessaire), mais cela ne forme pas des législateurs, des magistrats, des jurisconsultes, des acteurs pour la promotion de la justice. La sociologie est souvent réduite à la statistique et à des calculs de pourcentages sans la hantise du lien social.
La dérive a ravagé la science politique où les organisations les plus prestigieuses, la revue internationale hautement «spécialisée» (on souhaiterait qu’elle le soit moins), l’organisation internationale qui regroupe les membres... n’abordent que des problèmes globaux, avec propension à dégager et à formaliser des paradigmes et à produire des schémas comme s’il s’agit de problèmes de chimie ou de physique..., pour dire enfin que le paradigme et le schéma et la mathématisation proposée ne correspondent pas tout à fait à la... réalité!
Pire encore, la pédagogie, par essence relation et science relationnelle, est souvent réduite dans des sessions dites pédagogiques à sa dimension didactique, c’est-à-dire aux techniques, procédés et moyens, ce qui est fort judicieux et nécessaire. Mais la pédagogie en tant que relation éducative est ailleurs.
En lisant des études purement cognitives, on a envie de crier, tout comme Axel Kahn (oui le grand biologiste, on ne nous fera pas de la surenchère): Et l’homme dans tout ça? Plaidoyer pour un humanisme moderne (Paris, Nil édition, 2000, 376 p.).
Si tant de paradigmes, de schémas et de figures géométriques et mathématiques ne correspondent pas à la réalité, comme le constatent les auteurs eux-mêmes quand ils ont assez d’honnêteté intellectuelle, c’est que, au départ, la réalité elle-même n’a pas été observée, vécue, soumise à l’expérimentation, analysée par l’induction et la déduction, et que les hypothèses n’ont pas été confrontées à des faits et à des preuves puisées de la confrontation des idées aux faits.
Nul n’est plus actuel aujourd’hui pour la promotion de sciences vraiment humaines que le grand Claude Bernard (1813-1878) et son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865) où il voulait montrer, à l’encontre de ses contemporains, la complexité de la science médicale et justifier la scientificité de la méthode expérimentale.
C’est en parlant des calculs et des statistiques dans les phénomènes de biologie que Claude Bernard écrit: «Il faudrait que les données soumises au calcul fussent des résultats de faits suffisamment analysés, de manière à être sûr qu’on connaît complètement les conditions des phénomènes entre lesquels on veut établir une équation (...), l’étude qualitative des phénomènes devant nécessairement précéder leur étude quantitative» (Paris, 1865, éd. Le Monde – Flammarion, 2010, pp. 170-171).
Quel est le danger quand les sciences humaines ne sont pas, ne sont plus, humaines? C’est l’aliénation culturelle, au sens marxiste, et l’invasion de l’espace culturel, et surtout politique, par des experts en manipulation qui, eux, savent fort bien comprendre le réel et agir sur la réalité.
Le chercheur, ou plutôt le cogitateur en sciences humaines peut-il se comporter comme grand horloger au-dessus des pauvres humains, en tant que technicien de haut niveau qui règle la montre sans se soucier de ceux qui sont hantés par la gestion de leur horaire de vie au quotidien? Quel est donc le but, la finalité, des sciences humaines?
Heureusement qu’il y a des chercheurs, des écrivains et des journalistes spécialisés... dont la revue Sciences humaines, pour redonner de l’oxygène à la scientificité formelle de recherches bureaucratisées et formalisées.
Quand l’humanisme recule dans les sciences humaines, c’est le prêt-à-consommer intellectuel qui se répand, la tyrannie de l’opinion, le terrorisme intellectuel et de terrain. C’est la banalisation du crime, des attentats et des martyrs. C’est la perte de la boussole et des repères que nous vivons douloureusement. C’est l’âge des manipulateurs qui, eux, savent combler la vacuité que laissent des bureaucrates du savoir.

 

***

 

Que faire? Revenir presque partout à des approches du type anthropologique, aux Humanités, au grand Claude Bernard... Littérature, philosophie, histoire... sont les premières des sciences humaines. Revenir aux sources et origines des sciences humaines, aux pionniers et précurseurs.

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel
Professeur à l’USJ

Les sciences dites humaines, telles que développées dans la plupart des facultés les plus prestigieuses dans le monde, sont-elles vraiment humaines? La propension à l’académisme, le halo de prestige des sciences de la nature et de leur efficience, la tendance à une scientificité qui ravale les sciences humaines à des sciences «sociales» à tendance plutôt quantitative, la...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut