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À La Une - Étude

Comprendre la formation des États du Liban et de la Syrie à l’aune des bouleversements actuels dans le monde arabe

La question du Proche-Orient a commencé à interpeller les politiques et les diplomates dès le XIXe siècle et ne cesse depuis de constituer pour chaque génération un problème de grande gravité du fait des intérêts en jeu humains (avec les religions et les communautés) stratégiques (avec les ressources dont sont dotés ces pays) et politiques (avec les conflits, les guerres et les luttes d’influence). Cette région donc mérite attention et intérêt, mais représente également inquiétudes et défis. Dès lors et au vu des développements politiques et stratégiques de ces dernières années et sans vouloir aborder ici la formation des États de Palestine, d’Irak, de Transjordanie et d’ailleurs, puis de la création de l’État d’Israël avec la décision de l’ONU de partage de la Palestine en 1948, attachons-nous à identifier les constituants de la formation des États du Liban et de la Syrie entre 1920 et 1936 pour une bonne évaluation de l’évolution actuelle de situations à tout le moins dramatiques.

Octobre 1918 : débarquement des Français à Beyrouth.

Le 11 novembre 1918, le clairon qui sonne l’Armistice signée par les Allemands devant le maréchal Foch à Rethondes, après l’armistice de Moudros du 31 octobre 1918, sonne également l’effondrement des empires allemand et austro-hongrois, après l’empire tsariste qui avait succombé en 1917 en attendant l’abolition du sultanat ottoman en 1924. L’euphorie de la victoire sur les fronts occidentaux et orientaux de la Grande Guerre dissimulait à tous les conséquences politiques d’une extrême gravité issues de cet effondrement et que le congrès de Versailles – puis plus tard la conférence de San Remo le 25 avril 1920 – devait tenter de résoudre avec des succès bien discutables.
Au Proche-Orient, la retraite des Ottomans de toute cette région régie par eux depuis 1516 constituait un séisme politique et historique majeur et déterminant. En effet, l’activité publique de toutes les générations politiques durant plus de quatre siècles avait pour référence directe et immédiate les sultans et la Sublime Porte. Et voilà que brusquement, l’arrivée progressive des troupes alliées à partir de l’Égypte – et passant successivement par la conquête des wilayets ottomans du Proche-Orient et la moutassarrifiya du Mont-Liban – ouvrait une page nouvelle à laquelle les Libanais étaient peu ou prou préparés. Pourquoi ? Parce que les alliés vainqueurs s’étaient déjà accordés durant la guerre sur le dépeçage de l’Empire ottoman.
Ainsi, les accords secrets établis en mars 1916 au Caire par l’ancien consul de France à Beyrouth François Georges-Picot, le représentant britannique sir Mark Sykes et le représentant russe Sazonov et signés à Saint-Pétersbourg le 11 mai 1916 avaient établi les zones d’influence dans la région proche-orientale. En dénonçant cet accord, la révolution bolchévique va laisser la France et l’Angleterre face à face. Celles-ci vont après de longues négociations délimiter les zones d’influence en zone bleue pour la France et zone rouge pour l’Angleterre. La zone d’influence française couvre alors les régions de la moutassarrifiya du Mont-Liban, une partie de l’ancien wilayet de Beyrouth, la wilayet de Syrie, le Djebel Druze, la Cilicie et Mossoul – soit donc environ 200000 kilomètres carrés avec Beyrouth, Alep, Antioche, Alexandrette et Damas. La zone d’influence anglaise couvre la plus grande partie de l’Irak actuel et la Palestine – tout en relevant que l’Égypte et les émirats du Golfe et du Hedjaz étaient déjà sous influence anglaise.
Mais avant même que d’aborder les fondements juridiques de la formation des États du Liban et de la Syrie, la question de la délimitation des frontières entre les zones d’influence française (Liban et Syrie) et anglaise (la Palestine) mérite d’être rappelée tant sa gravité reste encore d’actualité jusqu’à présent avec le conflit israélo-arabe.
En effet, et exception faite de la moutassarrifiya du Mont-Liban, qui avait fait l’objet en 1861 d’une délimitation de frontière vis-à-vis des zones soumises à l’autorité directe des walis ottomans et qui avait été officiellement et internationalement reconnue par l’Empire ottoman lui-même et les grandes puissances de l’époque, aucune des autres régions du Proche-Orient ne connaissait une délimitation officielle de ses frontières avec une reconnaissance internationale. C’est dire qu’en même temps que l’établissement officiel des États du Liban et de la Syrie, une grave question se posait quant à la délimitation de la frontière des pays sous mandat français et ceux sous mandat britannique (soit surtout la Palestine au Sud).
En effet, la gravité juridique de cette question était d’autant plus considérable que l’établissement définitif de la frontière du Liban avec la Palestine avait suscité une controverse délicate, que des juristes avaient déjà relevée dès 1925. Ainsi, dans sa thèse soutenue à l’Université de Montpellier en 1925, sur « Le Mandat français en Syrie et au Liban », Charles Burckard écrivait :
«La frontière syro-palestinienne de 1916 était finalement modifiée à notre détriment. Elle fut d’abord remplacée en 1918 par une limite de la zone sud plus au nord. Les sionistes trouvaient que ce tracé amputait la Palestine historique de ses territoires septentrionaux et rendait impossible l’existence du nouvel État. Ils demandaient le contrôle des vallées du Haut Jourdain, du Litani et des eaux du Yarmouk, en vue de l’irrigation et de l’utilisation de la houille blanche. Leur projet de frontière, en suivant la vallée du Litani laissée à la Palestine et remontant le Liban, aurait traversé la Békaa pour suivre l’Hermon et aboutir près de Deraa à la ligne Sykes-Picot de 1916.
« De telles prétentions provoquèrent les protestations des Libanais. La Commission administrative du Liban en décembre 1920 proclama la vallée du Litani partie importante du Liban et nécessaire à son développement.
« La convention du 23 décembre 1920 délimitant les pays sous mandat français des pays sous mandat britannique s’en est tenue à un tracé étudié à Londres en février-mars 1920. La frontière syro-palestinienne actuelle part de Ras el-Nakoura au même point que la ligne Sykes-Picot, qu’elle quitte pour laisser à l’État sioniste toute la vallée du Jourdain sur les deux rives du fleuve, du nord de la mer de Tibériade jusqu’à la latitude de Tyr ; après avoir traversé cette mer du nord au sud, elle rejoint, au-delà du chemin de fer du Hedjaz, la frontière de 1920. »
Ainsi, la convention de 1920 par rapport aux accords de 1916 agrandit la Palestine aux dépens de la Syrie. Le foyer juif dessine dans le mandat français une grande entaille profonde de 40 à 45 kilomètres en direction de Damas...
Cette convention du 23 décembre 1920 a été suivie de l’accord Paulet-Newcomb du 3 février 1922 délimitant techniquement la frontière entre les territoires sous mandat français d’une part et britannique d’autre part, de la Méditerranée en remontant jusqu’à la station d’el-Hammé(1). »
Plus encore et dans une étude consacrée à « L’Eau – problème vital de la région du Jourdain », A. M. Goichon devait écrire :
« Pendant la Première Guerre mondiale, en 1916, les sionistes anglais poussaient la Grande-Bretagne à demander tous les terrains en rapport avec le Jourdain, pour les inclure dans la Palestine sous mandat anglais. De plus, ils estimaient que sa frontière nord devait être marquée par le cours est-ouest du Litani, à partir du coude où il quitte son orientation nord-sud.
« Mais lorsque la conférence de San Remo (25 avril 1920) eut placé le Liban sous mandat français, les frontières furent fixées à la demande du Liban, selon le relevé des cartes d’état-major du corps d’occupation français en 1860. Ce tracé fut à l’origine de l’actuel Grand Liban. Le bassin du Litani y était inclus tout entier. »(2)
Il reste que la détermination du statut juridique des pays placés sous influence française exigeait d’être faite. Après bien des atermoiements, le principe des mandats imaginé par le général Smuts, ministre de la Défense de l’Union sud-africaine, emporta l’adhésion des pays(3). Une résolution adoptée par le Conseil des Dix le 30 janvier 1919 deviendra l’article 22 du Pacte de la Société des nations, adopté le 28 avril 1919, qui stipulait entre autres :
«...Certaines communautés qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement, à la condition que les conseils et l’aide d’un mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules. Les vœux de ces communautés doivent être pris d’abord en considération pour le choix du mandataire... »
L’héritage politique et institutionnel était bien présent partout – mais aussi les acquis incontestables des Libanais de la moutassarrifiya, qui réclamaient au moins le maintien d’une autonomie déjà consacrée par le règlement organique de 1861, issu de la Conférence internationale de Beyrouth. Des ouvrages, des articles, des interventions puis des délégations, dont certaines présidées par le patriarche maronite Élias Hoyek, étaient venues à Versailles pour réclamer l’établissement du Liban dans des frontières considérées comme viables et naturelles.
C’est dans ce cadre général d’effervescence politique et diplomatique que doivent être envisagés les arrêtés pris par les hauts-commissaires de France au Liban et en Syrie entre 1920 et 1936 se rapportant à la formation des États du Liban et de la Syrie. Ils reflètent la complexité des situations héritées de la période ottomane et la nécessité d’établir des structures politiques adéquates par rapport aux composantes humaines et religieuses de ces pays. L’analyse de ces arrêtés éclaire singulièrement la démarche adoptée pour la formation des États du Liban et de la Syrie, et les originalités politiques et constitutionnelles propres à chaque État.
Ainsi, entre 1920 et 1936, les arrêtés suivants ont été promulgués quant à l’établissement des États du Grand Liban (A) et de la Syrie (B).

A. L’établissement de l’État du Grand Liban
 Trois arrêtés du haut-commissaire de France de l’époque, le général Gouraud, ont constitué les fondements juridiques de la formation et de l’établissement du Grand Liban, soit donc :
– Arrêté 299 du 3 août 1920 portant rattachement des cazas de Hasbaya, Rachaya, Maallaka et Baalbeck au territoire autonome du Liban.
– Arrêté 318 du 31 août 1920 délimitant l’État du Grand Liban et entré en vigueur le 1er septembre 1920 (article 3 de l’arrêté). L’exposé des motifs de cet arrêté mérite d’être relevé :
« Attendu que la France en venant en Syrie n’a poursuivi d’autre but que celui de permettre aux populations de la Syrie et du Liban de réaliser leurs aspirations les plus légitimes de liberté et d’autonomie ;
« Considérant qu’il importe, pour le faire, de restituer au Liban ses frontières naturelles telles qu’elles ont été définies par ses représentants et réclamées par les vœux unanimes de ses populations ;
« Que le Grand Liban, ainsi fixé dans ses limites naturelles, pourra poursuivre en tant qu’État indépendant, au mieux de ses intérêts politiques et économiques, avec l’aide de la France le programme qu’il s’est tracé. »
– Arrêté 321 du 31 août 1920 déclarant dissous le Territoire autonome du Liban, vu qu’après l’arrêté 318 du même jour instituant l’État du Grand Liban et « par suite des modifications territoriales apportées aux divisions administratives actuelles, la circonscription du Territoire autonome du Liban cesse d’exister ».
On constate ainsi que la formation du Liban moderne est passée par trois étapes juridiques de reconnaissance des droits, des acquis et des revendications des Libanais au cours de plusieurs siècles.
1- Dans une première phase, l’intégration des quatre cazas de Hasbaya, Rachaya, Maallaka et Baalbeck au territoire de la moutassarrifiya, et ceci en reconnaissance des revendications incessantes des Libanais pour la récupération de ces cazas dans leur territoire. Déjà en 1908, dans sa thèse « La Question du Liban », Jouplain, après beaucoup d’autres, s’était fait le porte-parole de cette revendication. Toutefois, l’intégration de ces cazas provoquera de grandes oppositions politiques qui ne seront résolues que progressivement à partir des années 1930.
2- C’est ensuite dans une seconde phase, la création et l’établissement du Grand Liban, intégrant donc le territoire de la moutassarrifiya et les quatre cazas cités. Le terme même de Grand Liban ne se référait pas seulement au territoire du pays qui venait d’être pratiquement augmenté du double, mais parce que le Grand Liban était une continuité du Liban de la moutassarrifiya – dénommé alors le Petit Liban – et qui s’était vu doté à l’issue de la Conférence internationale de Beyrouth en 1861 – première du genre dans le monde politique et diplomatique intéressant un territoire inclus dans les frontières d’un autre pays, soit dans ce cas précis l’immense Empire ottoman – d’un règlement reconnaissant les originalités et les spécificités politiques et humaines qui ne cessent encore jusqu’à présent de nous solliciter et de nous gouverner : à savoir, l’établissement du Conseil administratif et du système judiciaire sur base de la répartition confessionnelle, la création de la gendarmerie nationale, l’autonomie financière...
3- La dissolution de la moutassarrifiya du fait de son intégration dans le Grand Liban. L’arrêté portant dissolution constitue en soi une reconnaissance de l’originalité institutionnelle de ce territoire par rapport au droit international public de la seconde moitié du XIXe siècle. Ainsi la dévolution du mandat à la France par la Conférence de San Remo le 25 avril 1920 justifiait sur le plan du droit international public l’arrêté de dissolution d’une situation institutionnelle qui, par son témoignage, avait balisé la voie à la création du Grand Liban.

B. La Syrie
 L’analyse chronologique et les justificatifs de la promulgation par le haut-commissaire des arrêtés qui ont conduit à la formation de l’État de Syrie montrent bien les hésitations du projet politique.
– Arrêté 314 du 19 août 1920 – portant rattachement des cazas de Jisr el-Choughour, des moudiriyehs de Baher et de Bujack (caza de Lattaquié), la moudiriyeh de Kinsaba (caza de Sahyoun) au sandjak autonome d’Alexandrette à la date du 19 août, et ceci du fait « des modifications territoriales apportées aux diverses circonscriptions administratives de la wilayet de Beyrouth en vue de la formation des territoires du Grand Liban et des monts Ansarieh ».
– Arrêté 317 du 31 août 1920 portant détachement du caza de Massyaf (Omranié) de la wilayet de Damas et son rattachement provisoire, pendant la période d’organisation du groupement Ansarieh, au sandjak de Lattaquié, et ceci du fait « que le caza d’Omranié (Massyaf), dépendance de la wilayet de Damas, est peuplé en très grande majorité de populations alaouites et que ce caza doit en conséquence faire partie du groupement Ansarieh actuellement en voie d’organisation ».
– Arrêté 319 du 31 août 1920 délimitant le territoire des alaouites avec pour justificatif ce qui suit :
« Attendu que la France en venant en Syrie n’a poursuivi d’autre but que celui de permettre aux populations de réaliser leurs aspirations les plus légitimes de liberté et d’autonomie.
« Considérant que les populations alaouites et les minorités qu’elles renferment ont nettement exprimé à maintes reprises leur désir d’avoir une administration autonome sous l’égide de la France.
« Que, pour ce faire, il importe de constituer un territoire groupant la majorité de ces populations pour leur permettre de poursuivre leur développement au mieux de leurs intérêts politiques et économiques selon les vœux qu’elles ont exprimés. »
– Arrêté 330 du 1er septembre 1920 portant la création d’un gouvernement indépendant dénommé « gouvernement d’Alep » (article 1), incluant le sandjak autonome d’Alexandrette qui conservera son autonomie administrative (article 2). Les justificatifs invoqués méritent d’être rappelés :
« Attendu que la France en acceptant le mandat sur la Syrie n’a poursuivi d’autre but que celui de permettre aux populations de réaliser leurs aspirations légitimes de liberté et d’autonomie, tout en assurant la libre jeu et le développement des intérêts économiques communs.
« Attendu qu’il importe, pour ce faire, de respecter, conformément aux engagements du gouvernement de la République française, les volontés populaires librement exprimées et, en conséquence, de prendre en considération les vœux des populations des régions de la wilayet d’Alep et encore rattachées au gouvernement de Damas ;
« Attendu qu’il est nécessaire de mettre fin, en même temps, à une situation de fait qui, par une centralisation excessive et désormais inutile, complique l’administration du gouvernement de Damas et entrave la bonne marche des affaire de la circonscription administratives d’Alep. »
– Arrêté 1470 du 12 juillet 1922 accordant au territoire autonome des alaouites le nom d’État des alaouites.
– Arrêté 1459 bis du 28 juin 1922 créant une fédération des États autonomes de Syrie qui comprend l’État d’Alep, l’État de Damas et l’État des alaouites.
– Arrêté 1641 du 24 octobre 1922 portant création d’un État autonome du Djebel Druze avec pour justificatif « le vœu nettement exprimé par les habitants du Djebel Druze au Houran de former dans le cadre de leurs limites ethniques un gouvernement autonome ».
– Arrêté 2979 du 5 décembre 1924 instituant l’État des alaouites en un État indépendant avec Lattaquié pour capitale (article 1er).
– Arrêté 2980 du 5 décembre 1924 unifiant à dater du 1er janvier 1925 en un seul État les États d’Alep et de Damas et qui prend le nom d’État de Syrie (article 1er).
Cette situation devait perdurer jusqu’à la promulgation des deux arrêtés 265/LR du 2 décembre 1936 et 274/LR du 5 décembre 1936.
(a) L’arrêté 265/LR du 2 décembre 1936 portant promulgation du règlement organique du territoire du Djebel Druze était justifié par les motifs suivants :
« Attendu qu’un accord a été réalisé à Paris entre le gouvernement français et la délégation qui avait été chargée d’établir les bases d’un traité à intervenir entre la France et la Syrie ;
« Attendu que cet accord comporte le transfert au gouvernement syrien des prérogatives de souveraineté dont l’exercice avait été réservé au haut-commissaire par l’arrêté n° 3114 du 14 mai 1938 et la définition des modalités du régime spécial en matière administrative et financière que le gouvernement syrien entend assurer au territoire du Djebel Druze, conformément aux principes définis par la Société des nations. »
Sur la base de ces motifs et compte tenu donc des modalités de l’accord franco-syrien, l’article 1er de cet arrêté disposait que « le territoire du Djebel Druze fait partie de l’État de Syrie ». Toutefois, l’article 2 se hâtait d’ajouter que « ce territoire bénéficie, au sein de l’État de Syrie, d’un régime spécial administratif et financier dont les modalités sont définies dans le règlement ci-annexé ». Et l’article 3 de disposer que « sous réserve des dispositions de ce règlement, le territoire du Djebel Druze est régi par la Constitution, les lois et les règlements généraux de la République syrienne ». Enfin, l’article 4 conditionnait l’entrée en vigueur des dispositions de cet arrêté et donc de l’intégration de l’État du Djebel Druze dans l’État de Syrie à la ratification du traité franco-syrien.
(b) L’arrêté 274/LR du 5 décembre 1936 portant promulgation du règlement organique du territoire alaouite reprenait les mêmes motifs et desiderata exprimés dans l’arrêté 265/LR du 2 décembre 1936 et disposait en son article 1er que « le territoire de Lattaquié fait partie de l’État de Syrie », tout en relevant en son article 4 que « le présent arrêté et le règlement y annexé entreront en vigueur en lieu et place des textes régissant antérieurement ces matières, dès ratification du traité franco-syrien ».
Les arrêtés cités reflètent bien l’évolution originale institutionnelle de ce Proche-Orient au lendemain de la chute de l’Empire ottoman. Et d’ailleurs, les rapports adressés annuellement par le ministère français des Affaires étrangères à la Société des nations sur la situation de la Syrie et du Liban entre 1922 et 1938 montrent bien les tiraillements qui ont marqué la négociation des traités entre la France et l’État de Syrie, avant la promulgation des arrêtés 265/LR du 2 décembre 1936 et 274/LR du 5 décembre 1936, et il est bien utile d’y revenir pour bien montrer la gravité des sensibilités politiques au cours de cette période qui ne cessent, semble-t-il, de se perpétuer.
Ainsi, en ce qui concerne le traité franco-syrien, le rapport annuel adressé à la SDN en 1936 relatif à la Syrie signalait que « l’une des principales critiques portait sur la question de l’unité ». Les lettres annexes au traité de 1933 laissaient bien entrevoir que la puissance mandataire n’était pas hostile à certains liens administratifs entre la Syrie, d’une part, les gouvernements de Lattaquié et du Djebel Druze, d’autre part. Mais cette concession avait été jugée insuffisante et certains représentants caractérisés de la nuance nationaliste estimaient que l’unité devait être réalisée avant qu’un traité pût être signé.
Or la puissance mandataire, de son côté, ne pouvait accepter cette solution radicale. La question de l’unité ne constituait, en effet, qu’un des aspects du problème des minorités dont la protection se trouvait être l’une de ses obligations essentielles. C’est en effet la nécessité de permettre aux minorités compactes résidant sur le territoire des deux gouvernements de Lattaquié et du Djebel Druze de prendre conscience de leur personnalité et de s’épanouir librement qui avait amené la puissance mandataire à donner à ces territoires une structure distincte. II ne pouvait être question de contraindre les populations qui étaient habituées à ce statut à y renoncer sans garanties. La difficulté de résoudre ce problème difficile dominait ainsi la question du traité qui, depuis l’échec de 1933, était resté, en quelque sorte, en sommeil.(4)
Plus loin, le rapport relevait encore pour cette année cruciale : « Par ailleurs, le texte signé à Paris le 9 septembre ne réglait pas définitivement la question du gouvernement de Lattaquié et du Djebel Druze. Un nota bene prévoyait simplement l’institution d’un régime spécial, administratif et financier, analogue à celui qui avait été promulgué en 1930 pour le sandjak d’Alexandrette et qui avait reçu l’approbation de la Société des nations. Mais il était tacitement convenu que les arrêtés de rattachement ne seraient pris qu’après échanges de vues avec les représentants qualifiés des populations locales. »
Dès le retour en Syrie du haut-commissaire, une action politique fut entreprise auprès des populations de Lattaquié et du Djebel Druze en vue de l’application de la politique qui venait d’être définie. En effet, dans l’un comme dans l’autre de ces territoires, les passions politiques avaient été assez exacerbées pendant la période de négociation. À Soueida, certains jeunes, à Lattaquié, certains milieux musulmans sunnites se faisaient les propagandistes de la politique unitaire. Par contre, les milieux locaux qui restaient dominés par l’appréhension de voir dans l’avenir leur statut menacé par les tendances du gouvernement central, auquel ils viendraient à être rattachés, allaient parfois jusqu’à manifester le désir d’une indépendance totale des deux territoires, méconnaissant aussi les possibilités telles qu’elles avaient été formulées dans les conclusions de la Commission des mandats. Cette activité politique s’était traduite par l’envoi de nombreuses pétitions dans diverses directions.(5)
Cette formation définitive de l’État de Syrie en 1936, après celle du Grand Liban en 1920, constitue pour ces deux pays leur dernier état institutionnel à la veille de la Seconde Guerre mondiale et c’est dans cette situation même qu’ils vont accéder à l’indépendance avec le retrait de l’armée française en 1946 puis affronter toutes les guerres, les conflits et les crises de la région avec actuellement les conséquences de la guerre du Liban entre 1975 et 1990, et l’émergence d’un printemps arabe qui apparaît bien pour le moment incertain pour certains pays, et long et sanglant dans d’autres. Le réveil des peuples est toujours porteur de drames, et dans cette région autant et plus que d’autres quand la formation même de ces États porte des risques de fragilités et de défis.

Hyam MALLAT
Avocat et ancien président
de la CNSS et des
Archives nationales


1) Haut-Commissariat de la République française en Syrie et au Liban : « Les Actes diplomatiques » – page 31 et suivants – Beyrouth 1935.
2) A.M. Goichon : « L’Eau - problème vital de la région du Jourdain » – page 8 – Correspondance d’Orient – Bruxelles – 1964.
3) Pierre Fournié - Jean-Louis Riccioli : « La France et le Proche-Orient 1916 – 1946 » – page 64, Casterman 1996.
4) Edmond Chidiac : « Rapports annuels du ministère des Affaires étrangères à la Société des nations sur la situation de la Syrie et du Liban (1922 – 1938) » – page 244 – Espace publication – 2008.
5) E. Chidiac : o.c. – p 246.
Le 11 novembre 1918, le clairon qui sonne l’Armistice signée par les Allemands devant le maréchal Foch à Rethondes, après l’armistice de Moudros du 31 octobre 1918, sonne également l’effondrement des empires allemand et austro-hongrois, après l’empire tsariste qui avait succombé en 1917 en attendant l’abolition du sultanat ottoman en 1924. L’euphorie de la victoire sur les...

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