Dans la moitié des circonscriptions, soit 33, seuls les musulmans voteront, chaque électeur musulman choisissant un candidat chrétien et un candidat musulman pour le représenter. Dans les 33 autres circonscriptions, les électeurs seront tous chrétiens, chacun d’eux votant aussi pour un candidat chrétien et un candidat musulman. Cela assurera un « pouvoir électif égal » aux deux grandes communautés religieuses.
Afin de répondre à l’objection que le découpage électoral proposé est trop complexe et afin de prouver sa faisabilité, l’auteur a jugé utile de présenter une illustration du « Projet partenariat ». Cet exemple, trop long pour être incorporé dans le présent article, puisqu’il contient 17 tableaux numériques, peut être obtenu de l’auteur à l’adresse e-mail suivante :
paulmourani@gmail.com.
L’article peut aussi être obtenu de l’adresse Internet suivante :
http ://lebanonstatebuilding.files.wordpress.com/2012/02/proposal-illustration1.doc.
Une objection a souvent été émise en ce qui concerne les régions homogènes du pays. Les électeurs des circonscriptions homogènes, comme le Kesrouan, par exemple, auraient-ils à élire un député musulman et un député chrétien pour les représenter ? Où trouver ces candidats musulmans ? La réponse à la première question est oui, et à la seconde que les candidats peuvent être de n’importe quelle région du pays. En effet, les candidats aux élections parlementaires peuvent se présenter dans n’importe quelle circonscription, même s’ils n’y résident pas et qu’ils n’en soient pas originaires. De plus, l’article 27 de la Constitution stipule : « Le membre de la Chambre représente toute la nation. Aucun mandat impératif ne peut lui être donné par ses électeurs. » Il n’est donc pas nécessaire que le député soit intimement mêlé aux problèmes locaux de la région qui l’élit, puisqu’il représente la nation tout entière. Les côtés positifs du Projet partenariat, et des petites circonscriptions électorales en particulier, sont discutés plus bas.
1) Le principe d’égalité entre chrétiens et musulmans auquel se réfère l’article 24 de la Constitution sera réellement respecté. Cela réduira les frictions interconfessionnelles dues au marchandage continu sur le recoupage électoral, sur la question de l’âge minimum des votants et sur celle de l’inclusion des Libanais résidant à l’étranger. Une loi électorale qui respecte réellement cette égalité rassurera les chrétiens et décrispera les attitudes sectaires. Les deux grands groupements religieux se sentiront partenaires égaux dans l’édification d’un État de droit qui défendra la liberté et la dignité de tous ses citoyens.
2) L’unique acte politique au niveau national qui est permis au citoyen libanais, celui de déposer un bulletin dans une urne, exemplifiera le partenariat islamo-chrétien. Cela déréglera les attitudes sectaires et préparera les esprits à une éventuelle élimination du confessionnalisme politique. Il faut noter ici que les bulletins qui ne contiennent qu’un seul nom ne devraient pas être acceptés, justement pour obliger les électeurs à se faire représenter par un membre de chaque groupe religieux.
3) Le nombre de députés à élire dans chaque circonscription sera limité à deux, ce qui simplifiera la décision des électeurs, permettra une évaluation plus facile des candidats, un meilleur suivi de la performance des députés élus et réintroduira la responsabilisation dans la vie politique qui contribuera à réduire la corruption.
4) La petite taille des circonscriptions permettra aux candidats indépendants de rivaliser plus facilement avec les grandes machines électorales contrôlées par les leaderships sectaires. Les dernières élections municipales, organisées dans de petites circonscriptions, ont montré que des alliances locales y ont souvent défié les lignes de démarcation entre les deux grandes formations politiques. Cela aidera au renouvellement de la classe politique.
5) Un quart des sièges parlementaires ira à des chrétiens et un autre quart à des musulmans élus par les membres de leur propre communauté. Ces députés seront les « voix » de leurs communautés et exprimeront leurs aspirations, craintes et frustrations à l’intérieur du Parlement où elles seront entendues, considérées et contenues. Cela évitera la radicalisation des activités extraparlementaires des membres de communautés qui se sentiraient insuffisamment représentés au Parlement.
6) Un quart des sièges parlementaires ira à des chrétiens et un autre quart à des musulmans élus par des électeurs d’une autre secte et d’une autre religion. Ces députés représenteront le centre modéré du Parlement. Cela représente l’attaque la plus directe contre l’emprise des leaderships sectaires sur leurs communautés. Cela changera l’atmosphère politique générale et élèvera le niveau de maturité du débat politique qui pourra alors se concentrer sur les besoins des citoyens et sur le développement socio-économique.
7) Le sentiment qu’auront chrétiens et musulmans d’avoir un certain degré de contrôle mutuel atténuera l’état d’esprit qui « diabolise l’autre » et réduira les grandes anxiétés des minorités qui risquent de dégénérer en violents conflits sectaires et autres comportements autodestructifs.
8) Les différents rapports sur le développement humain du PNUD ont mis en relief les déficiences des élites politiques arabes, surtout dans leur vulnérabilité aux influences et pressions étrangères. Ce problème est particulièrement aigu au Liban où les influences régionales ont été souvent non pas les conséquences des grandes crises, mais leurs détonateurs. La cause historique en est que toute velléité d’autonomie a été effacée chez les élites politiques de certaines communautés libanaises qui représentaient les grandes menaces à la domination de la région par les envahisseurs étrangers (seldjoukides, mongols, mamelouks, fatimides ou ottomans). Ces élites, souvent les mieux organisées dans leur propre communauté, ont souvent trouvé plus confortable de se soumettre à des centres de pouvoirs extérieurs, plutôt que de défendre leurs intérêts à l’intérieur du cadre national libanais. Le Projet partenariat permettra aux communautés, au nationalisme libanais bien ancré, d’élire des leaders qui partagent de mêmes conceptions nationalistes, mais qui appartiennent eux à des communautés dominées par des organisations à perspective régionale. Une fois que le nombre de ces nouveaux leaders indépendantistes atteindra une masse critique, ils pourront s’organiser pour confronter et remplacer les élites qui continuent à suivre une stratégie de survie qui les place dans un état de dépendance envers des forces extérieures. À ce moment-là seulement, un nouveau compromis intercommunautaire (comme celui de Taëf), mais entre formations politiques indépendantistes, aura une chance d’être stable et durable, car il sera préparé à contenir les secousses externes venues d’une région en pleins bouleversements.
9) En cherchant à rétablir le monopole de l’État sur les relations étrangères et sur les forces armées, il faut éviter d’inverser les priorités. La crise actuelle qui se cristallise autour de l’existence d’un armement parallèle à celui de l’État, aussi douloureuse et dangereuse qu’elle soit, n’est pas fondamentale, car elle est la conséquence plutôt que la cause du problème endémique libanais. Ce problème réside dans la déficience d’élites politiques qui ont été castrées de toute velléité d’autonomie et qui recherchent leur part du pouvoir seulement pour l’offrir comme gage de vassalité à des pôles d’influence régionaux dont elles attendent privilèges et protection. Dans cette optique, la tâche primordiale est le développement d’élites et de leaderships indépendantistes, afin de pouvoir consolider le monopole de l’État sur les relations avec l’étranger et de bien cerner la compétition politique des factions libanaises à l’intérieur du cadre national libanais. La question de l’armement parallèle devra être traitée dans le cadre d’un règlement politique global qui, entre autres questions, devra définir le rôle du Liban dans les problèmes régionaux.
10) Il n’est pas attendu d’une loi électorale qu’elle puisse à elle seule résoudre des problèmes fondamentaux. Le Projet partenariat n’est qu’un pas dans la bonne direction, mais il affronte la problématique libanaise à plusieurs niveaux : en appliquant le principe d’égalité entre musulmans et chrétiens de façon équitable et systématique, il rassure les minorités et donne une meilleure garantie pour l’indépendance du pays et pour les libertés individuelles. Il dérègle les attitudes et les liens sectaires, réintroduit la responsabilisation, affaiblit directement l’emprise des leaders sectaires sur leurs communautés et aide au renouvellement de la classe politique. Le plus important aspect politique du projet réside dans le développement des élites indépendantistes dans toutes les communautés.
Le Projet partenariat n’est qu’un des instruments pour combattre le cercle vicieux de corruption, dépendance de l’étranger et sectarisme. Sa contribution, si elle reste modeste, touche cependant à tous les aspects essentiels du problème libanais.
Paul MOURANI