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Culture - Théâtre

"Pourquoi je ne suis pas née en Finlande ?", se demande Praline Gay-Para

Une scène dépouillée, éclairée par deux néons, une femme sans affectation, cheveu court, tenue sombre, racontant « sa » guerre du Liban. Praline Gay-Para a choisi la parole nue, émaillée d’aphorismes libanais et d’anecdotes, pour évoquer à sa manière le pays qu’elle a quitté en 1975, à 19 ans, après avoir vécu la guerre « six mois sur place et tout le reste d’ici », accrochée au téléphone.

Un miroir pour seul décor, pour exprimer « l’envers » des choses.

Une représentation de cinq jours au théâtre des Sources, à Fontenay-aux-Roses, devant un public français intrigué de l’entendre répondre à cette question-titre de la pièce : « Pourquoi je ne suis pas née en Finlande ? » Un miroir pour seul décor, afin d’exprimer « l’envers » des choses, la complexité d’un conflit armé qui « s’est faufilé en passager clandestin, silencieux et envahissant dans les bagages de ceux qui le fuient ». Pendant une heure, Praline raconte l’histoire d’une femme comme elle en exil à Paris, qui apprend la mort de Mariam, sa seconde mère restée au Liban et avec qui elle est demeurée liée. Elle sort sous la pluie porter la nouvelle à Wahid, le neveu de la vieille dame. En chemin, affluent les souvenirs, des bribes de conversations, de vieilles comptines libanaises. L’exil de Praline, ou de son héroïne, n’est pas teinté de nostalgie, mais du regret d’être née dans un pays rattrapé par l’absurdité de la guerre. Lorsqu’elle décide de partir, quelques mois après le déclenchement du conflit, fuyant barricades, sacs de sable et barrages de miliciens, « elle ne sait pas où elle va, elle sait ce qu’elle quitte ».


Ce récit est l’occasion de laisser ouvertement s’exprimer la relation conflictuelle de l’auteur avec le pays, avec elle-même. De dénoncer avec mordant le communautarisme (une « mentalité de boîte de conserve »), la corruption (« comment veux-tu que ça s’arrange dans un pays où l’on pense que celui qui est honnête est un âne ? »), la folie des hommes (« c’est la guerre qui rend fou ou alors on est fou d’abord et ensuite on fait la guerre »). À travers cette parole sans concessions, Praline Gay-Para crie sa révolte, sa colère. « Quand je pense à là-bas, je sens que j’ai inventé un pays qui n’existe pas. »


À l’issue de la représentation, Praline rencontre son public ; c’est l’occasion pour elle de se livrer davantage. Elle parle de ce Liban qu’elle porte en elle et qui lui fait mal. « C’est peut-être le pays où je me sens le plus étrangère », dit-elle douloureusement. Elle y retourne uniquement pour des représentations ponctuelles, comme en 2007, au Liban-Sud notamment, après la guerre israélienne de juillet 2006, ou encore au mois de mai dernier, « quatre jours sans plus ». Ce récit qu’elle a écrit et mis en scène, avec l’aide de Laurence Garcia, est son texte le plus personnel, résultat de notes et d’humeurs consignées sur dix ans. « J’écris et je raconte pour réparer, le temps d’une histoire, la vie où elle me fait mal. » Parlant de ses enfants, son héroïne affirme : « Je ne veux pas leur transmettre la guerre, je veux que leur seul héritage soit la vie. Ils sont leur propre langue, leur propre pays. Ils feront leur propre histoire. »


Pourquoi avoir choisi de vouloir naître en Finlande ? « Parce que c’est un pays mythique, que je ne connais pas et que j’espère visiter. » Séduite par l’épopée nationale finlandaise, le Kalevala, elle a glissé dans son récit ce conte où la mère repêche le corps de son fils noyé dans les eaux du lac, le ravaude patiemment et lui redonne vie. Ce qu’elle aime dans cette épopée, explique-t-elle, c’est le fait que « la mort soit réparable ». En général, « le conte m’émeut par son universalité et par son écriture au cordeau, où il n’y a jamais un mot de trop ».


Celle qui a choisi de transmettre des « récits ambulants », oraux, inspirés de ses rencontres avec d’autres cultures, précise : « Nous n’avons pas une seule identité, nous sommes une identité en devenir jusqu’au dernier jour. » Pourtant, où que l’on aille, l’on reste marqué du sceau de ses origines. N’est-ce pas la leçon de la pièce, qui se termine sur une singulière interrogation ? « Que serait devenu Ulysse si, durant son voyage, son île d’Ithaque avait été détruite ? » se demande Praline, avant de conclure : « D’île en île, d’étape en étape, toutes provisoires, Ulysse aurait erré à la recherche de lui-même, et l’histoire n’aurait pas été la même. »

Une représentation de cinq jours au théâtre des Sources, à Fontenay-aux-Roses, devant un public français intrigué de l’entendre répondre à cette question-titre de la pièce : « Pourquoi je ne suis pas née en Finlande ? » Un miroir pour seul décor, afin d’exprimer « l’envers » des choses, la complexité d’un conflit armé qui « s’est faufilé en passager clandestin,...

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