Le président du RDCL, M. Zmokhol, et le président du Conseil d’État, M. Sader.
« Nul besoin d’être un expert en droit pour se rendre compte que le projet-décret qui nous a été soumis la semaine dernière par le gouvernement pour avis consultatif n’est pas conforme à la loi », a souligné M. Sader en introduction à son allocution. En effet, selon lui, le texte comporte de nombreuses irrégularités qui vont à l’encontre de certains articles du code du travail et des idées les plus élémentaires de la Constitution, comme la non-intervention de l’État dans l’économie de marché du pays.
Un texte truffé d’imprécisions
« Jusqu’à preuve du contraire, le Liban a adopté un système d’économie libre, où les prix sont déterminés par l’offre et la demande sur les différents marchés. Si, après étude, il s’avère nécessaire de modifier un quelconque mécanisme pour des raisons sociales ou humaines, cela doit se faire par un dialogue entre les syndicats des salariés et le patronat. L’État n’a pas vocation à assumer ce rôle et ne peut nullement imposer aux acteurs économiques une décision unilatérale », a indiqué le président du Conseil d’État, se référant aux articles 44 et 45 du code du travail.
Quelles sont alors les devoirs qui incombent à l’État en matière de salaires des employés ? M. Sader invite à examiner en détail la loi 36/67 du code du travail, relative au salaire minimum des employés. Deux prérogatives sont attribuées à l’État. La première, celle de définir le salaire minimum en fonction de la cherté de vie, « car celui-ci ne peut être uniquement le fruit des règles du marché, mais doit pouvoir assurer aux salariés les plus pauvres un minimum de dignité », a expliqué M. Sader. Par contre, selon le président du Conseil d’État, l’article n’accorde en aucun cas à l’État le droit de décider des indemnités de transport ou de scolarité, comme le prévoyait le projet de décret.
Toujours selon l’article 6 de la loi de 1967, la deuxième prérogative de l’État est de fixer annuellement l’indice de cherté de vie, en collaboration avec la commission nationale pour l’indice des prix, et de veiller à son application. Selon M. Sader, « le problème réside dans l’interprétation de la phrase veiller à son application ». Le président du Conseil d’État met ainsi en évidence une zone d’ombre d’un texte qui prête à confusion, ou du moins à différentes interprétations. « Certains y verront un moyen pour que l’État puisse influer sur toutes les tranches de salaires, alors que plus haut dans le texte, il est clairement spécifié que l’État n’a vocation à intervenir que sur le salaire minimum », a ajouté M. Sader.
Quand au projet de décret lui-même, le président du Conseil d’État y voit plusieurs irrégularités, notamment la façon dont les majorations ont été fixées. « Elles ne sont basées sur aucune étude scientifique relative à la hausse du coût de la vie et vont à l’encontre du principe constitutionnel d’égalité entre les salariés », a indiqué M. Sader. Rappelons que le texte prévoyait une augmentation de 200 000 livres pour les salaires inférieurs à un million de livres, et de 300 000 livres pour les salaires entre un million et un 1,8 million de livres.
Comment sortir de cet imbroglio ?
« La situation n’est pas désespérée, en tout cas pas d’un point de vue juridique », a estimé M. Sader. Selon lui, il est très facile de modifier le projet actuel pour qu’il soit en conformité avec les lois libanaises. « La difficulté réside dans la prise des bonnes décisions macroéconomiques, qui ne soient pas adoptées pour faire plaisir à tel ou tel autre camp, ou pour éviter une grève ponctuelle », a ajouté le président du Conseil d’État.
Comment concilier par exemple un décret sur la majoration des salaires qui prenne en compte toutes les tranches salariales, tout en sachant que l’État n’est habilité qu’à modifier le salaire minimum ? Le président du RDCL, Fouad Zmokhol, plaide pour une stratégie économique globale, qui prenne en compte tous les problèmes économiques du pays et qui encourage la collaboration entre les partenaires sociaux. Selon lui, le problème principal n’est pas le niveau des salaires, mais bien dans la baisse du pouvoir d’achat des ménages, due au ralentissement de l’activité économique du pays. Rappelant les difficultés financières auxquelles font face un grand nombre de petites et moyennes entreprises (PME) libanaises, il a mis en garde contre les retombées économiques graves que pourrait avoir une hausse des salaires prise dans l’urgence, comme une inflation galopante, une réduction des investissements privés, une hausse des licenciements de certaines entreprises qui ne pourront plus gérer l’augmentation prévue de 39 % de leurs charges salariales.
Que représente donc la décision du Conseil d’État ? « Le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité externe du projet de décret, c’est un avis purement consultatif. La balle est maintenant dans le camp du gouvernement qui doit, au pire des cas, publier le décret tel quel, sans changements, ou bien proposer un nouveau projet, qui tienne compte de nos remarques », a indiqué M. Sader. « Connaissant les failles juridiques et économiques de ce document, le gouvernement a bien entendu tout intérêt à le modifier, car nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude », a conclu le président du Conseil d’État.