Peu importe en vérité que les meurtriers de Kadhafi passent en jugement, comme s’y engagent les chefs de la révolution libyenne, ou que ce ne soient là que vagues promesses visant à apaiser les organisations humanitaires, comme à sécher les larmes de crocodile versées à retardement par de vertueux gouvernements. Le fait est que par la faute des lyncheurs, le seul procès qui eut vraiment compté n’aura jamais lieu, celui du défunt chef de la défunte Jamahirya.
Mouammar Kadhafi affamait son propre peuple, mais il inondait pêle-mêle de ses pétrodollars organisations terroristes, milices, partis et aussi responsables politiques d’un peu partout. Tour à tour stipendié et courtisé par maintes puissances jusqu’à sa disgrâce finale, l’extravagant colonel aurait pu, devant la Cour pénale internationale saisie de son volumineux dossier criminel, embarrasser plus d’une capitale. D’où peut-être le flou artistique qui continue d’entourer les circonstances dans lesquelles le convoi du dictateur fuyant son fief de Syrte a été repéré, pourchassé et pulvérisé par l’aviation de l’OTAN...
Dans ce funeste tour de passe-passe, les Libanais perdent certes une bonne opportunité d’être fixés une fois pour toutes sur les dessous de l’affaire Moussa Sadr, l’imam fondateur du mouvement Amal, disparu avec deux de ses compagnons, alors même qu’il était l’hôte de Kadhafi. Mais fort paradoxalement, leur légitime quête de justice internationale ne s’en trouve que confortée. Frustrée de sa proie en Libye, cette même justice n’en devrait manifester que plus de détermination au Liban, dans le cadre d’un contexte bien différent il est vrai.
Avec la mise en place puis l’entrée en action d’un Tribunal spécial, le tout premier créé par l’ONU pour juger des actes de terrorisme, le décor du drame a été planté. Et rien, absolument rien, ne pourra stopper ou même en entraver le déroulement : ni un refus du gouvernement de s’acquitter de son lot du budget de cette juridiction, au risque d’attirer de graves sanctions sur le pays ; ni encore une éventuelle démission du Premier ministre Mikati, laquelle ne ferait que saborder le seul gouvernement ayant jamais fait la part belle aux ennemis du tribunal, lesquels se recrutent, de manière significative, parmi les alliés de la Syrie et de l’Iran ; ni ensuite la suppression, au moyen de prétendus suicides ou d’attentats, de quelques-uns de ces maillons faibles que recèle fatalement toute chaîne criminelle.
Par une curieuse coïncidence, c’est au moment précis où Beyrouth se fait régulièrement houspiller pour honorer ses engagements internationaux que le secrétariat général de l’ONU s’alarme, devant le Conseil de sécurité, de l’impact que peuvent avoir les déboires du régime Assad sur la situation politique et sécuritaire du Liban, objet de fréquentes incursions militaires syriennes. Or même la politique de la terre brûlée, un épouvantail périodiquement agité en relation avec les événements de Syrie, ne changerait probablement pas grand-chose au cours d’une justice instituée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies, lequel ne laisse aucune latitude de contestation aux États membres.
De miner une partie de sa bande frontalière, à hauteur du Akkar, peut certes aider Damas à dissuader les contrebandiers accusés de livrer des armes à la contestation populaire. Mais la question est loin de se résoudre à quelques kalachnikovs vendus à prix d’or : il est à nouveau question d’une condamnation à l’ONU, la Chine elle-même donne de premiers signes d’impatience face aux agissements du régime et c’est une zone d’exclusion aérienne que réclament désormais les manifestants syriens. Ce qui est miné en réalité, c’est bien l’ère de la dictature tranquille.
Issa GORAIEB
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(O)mission de justice
OLJ / le 29 octobre 2011 à 01h04