Tout bon professionnel de la politique est un peu historien sur les bords. Un vétéran raconte ainsi que le flux de l’émigration a touché les chrétiens du Levant du temps de la moutassarifiya à cause de la famine et non pas de la sécurité, qui était sévèrement assurée par les claque-talon ottomans.
Dans ces conditions, quand il fut décidé d’agrandir ce qu’on appelait Liban, le mobile principal n’était pas d’ordre politique ou démographique, mais de nature économique, et même de subsistance. L’opération s’est effectuée sans prendre en compte les objections des communautaristes qui déclaraient que le rôle des chrétiens s’amenuise forcément dans un pays élargi, et se gonfle dans un petit Liban.
En 1943, une large frange de chrétiens, cornaquée par le BN du président Émile Eddé, sans être contre l’indépendance estimaient qu’il lui fallait protection, via un traité avec la France.
Il y a eu conflit intérieur. Mais, comprenant les craintes de leurs compatriotes, les dirigeants musulmans, le président Riad Solh en tête, sont convenus de les rassurer en leur cédant des prérogatives essentielles au sein de l’État. Ils leur ont laissé une présidence de la République d’une puissance régalienne : pouvoir de former le gouvernement, et de choisir parmi ses membres un Premier ministre, et non un président du Conseil, une sorte de primus inter pares. Pouvoir de limoger un ministre, ou tout le cabinet. Pouvoir de dissoudre le Parlement, etc.
En sus, les chrétiens se voyaient accorder, dans le système de copartage des postes-clés de la machine étatique, les rouages les plus importants, tant au niveau sécuritaire que sur le plan judiciaire, dans l’administratif ou la diplomatie.
Lors des événements de 1958, les chrétiens ne se sont pas dressés contre le partenaire musulman en tant que tel. Mais contre le nassérisme rampant. Ils ne voulaient pas que leur Liban se trouvât englouti comme l’était encore la Syrie voisine.
La guerre
Même réflexe à la fin des années 60 vis-à-vis de l’irruption des Palestiniens armés, chassés de nouveau par les Israéliens puis par Hussein de Jordanie et qui se rabattaient sur le Arkoub, baptisé Fatehland. D’où ils allaient grignoter de larges pans du pays, faisant de Beyrouth-Ouest leur capitale. Les chrétiens ont eu sérieusement peur que l’on n’ait décidé de prendre le Liban à ses enfants, pour le donner comme solution de rechange à Arafat. Ils ont pris les armes, se sont battus pendant 15 ans pour défendre leur pays.
Une fois établie, la tutelle syrienne a imposé une mascarade dite démocratique, élective dans la forme, mais bien plus proche en réalité du système de parti unique despote régnant à Damas. Car le gauleiter syrien installé à Anjar désignait pratiquement ministres et majorité parlementaire. Les urnes, encore en usage, ne filtraient qu’un nombre restreint de vrais représentants du peuple. Il y avait la fameuse troïka, Baabda, Sérail ou place de l’Étoile. Et quand des différends y apparaissaient, c’était le voyage, en commun ou séparément, à Damas, pour arbitrage...
Finalement, les excès étaient tels qu’au bout de quelque temps, la composante musulmane du pays a commencé à rejoindre les protestataires chrétiens. D’où l’assassinat du président Rafic Hariri, qui a eu un effet boomerang. Car ce crime a suscité la révolution du Cèdre, mené de concert par des chrétiens et par des musulmans, qui a débouché sur le retrait des troupes d’occupation syriennes.
Les Libanais restent divisés sur l’armement du Hezbollah, monté au départ, avec l’aide de la Syrie et de l’Iran, pour libérer le Sud occupé par Israël. Un but atteint en 2000, à l’exception de l’enclave de Chebaa, dont la libanité n’a pas encore été homologuée. Et qui est soumise à la résolution de l’ONU numéro 242 (Golan), non à la 425 (Liban-Sud et Békaa). Mais le départ des Israéliens, et la disparition de leur annexe dite du Liban libre dirigée par Saad Haddad puis par Antoine Lahd, n’a pas suffi pour que le Hezbollah désarme. Il garde son arsenal, dit-il, jusqu’à ce que tout menace israélienne soit effacée. Et cela, en violation de la 1701. Le problème, c’est que, comme on l’a vu d’abord le 7 mai puis diverses fois ensuite, un peu partout, cet armement dit résistant s’est tourné vers l’intérieur. Pour défendre les intérêts d’un Hezbollah qui, après le retrait du parrain syrien, a dû prendre le relais. En s’impliquant directement dans la politique locale, participer aux législatives, aux municipales et au gouvernement.
Sa ligne, qui va dans le sens de l’axe syro-iranien, entrave, selon les souverainistes chrétiens ou sunnites du 14 Mars, l’émergence d’un État de droit libanais souverain, libre, indépendant, maître du territoire de son intégralité et du droit de la violence légitime, et du monopole des armes.
Si les chrétiens sont encore tentés d’émigrer, c’est principalement pour des raisons économiques. Mais aussi, quelque part, parce qu’ils craignent de ne plus pouvoir vivre, en toute dignité, dans un climat de liberté, de démocratie et de coexistence bien comprise. Car une épée de Damoclès se balance au-dessus de leurs têtes...
Marie Joe, mes meilleures salutations à toi et Wadih. - Kamel, je te comprends très bien pour tes parents et les Chiites envoyés à une mort certaine par les Ottomans. - Christian, Merci. Anastase Tsiris
12 h 50, le 07 octobre 2011